Série atypique (la première série thaï que je regarde intégralement), très belle.
Avant tout pour son aspect social et politique très réaliste. La contestation ici n’est pas timide. Elle fait la trame : les personnages principaux veulent changer la société. C'est l'énergie de la série. En dénonçant et sabotant les affaires d’un homme de pouvoir, business man et trafiquant de drogues. Mais pas seulement. Ils s’intéressent aux cours de droit, en débattent entre eux, illustrent leurs idées critiques et utopiques par leurs pratiques artistiques, questionnent leurs propres comportements (après coup parfois, mais enfin... !). Les trois personnages féminins - dont une femme trans - ne font pas partie du gang (et c’est ma principale critique : à quand des personnages féminins aussi visibles, complexes et importantes que les personnages masculins dans ce genre de série ?). Mais elles ne sont pas réduites à des faire-valoir non plus, et c’est déjà un énorme point fort de cette série à mes yeux (eu égard à ce que j’ai vu des séries thaï, et au-delà). Elles sont toutes trois très engagées, connaisseuses, douées, et respectées comme telles par les personnages masculins. White découvre ses privilèges, ouvre les yeux sur les connivences et complaisances qui maintiennent les classes dominantes au pouvoir, et son indignation sera irréversible. Cette énergie révolutionnaire est plus importante que l'intrigue même : elle ravive nos aspirations.
Pour le suspense aussi. On frémit à chaque fois que White se retrouve coincé dans une situation susceptible de signaler aux autres qu’il n’est pas le frère pour lequel il se fait passer. Et ça arrive souvent. L’acteur joue les deux rôles extrêmement bien. Et puis jusqu’au bout, leur entreprise étant plutôt risquée, on est en haleine. Ça aurait même pu donner lieu à un épisode de plus me semble-t-il.
L’histoire entre White et Sean fonctionne très bien. Comme pour les autres couples de la série, les initiatives amoureuses passent par l’attention au consentement de l’autre, le respect, la douceur. Ce qui fait la beauté des quelques scènes d’amour, où l'on se parle et s'écoute, que ce soit par les mots, le regard, le toucher. Même sur un fond de violence sociale ordinaire, la solidarité et l'amitié sont fortes, là encore indissociables des convictions politiques du gang. Enfin, ce qui marque aussi : l'orientation sexuelle n'est pas un sujet. Il est question d'amour, mais on aime qui on veut et personne n'a honte ni ne sera jugé·e de quoi que ce soit. Si déception amoureuse il y a, le chagrin ne porte que sur l'amour manqué, jamais sur l'orientation sexuelle. Ça crée de l'oxygène en donnant une dimension tangible à la liberté des sentiments. Les revendications juridiques de la communauté LGBTQIA+ sont au cœur d'un très bel épisode, le plus joyeux : la joie est une affaire collective et politique.
Enfin, l’ambiance, l’esthétique. Rien n’est feutré, et c’est beau comme ça. Le réel dans ce qu’il a de brut (un paysage de containers et de toits d'usine, une tente dans un hangar abandonné, un robinet extérieur en guise de salle de bains, la minuscule maison de Yok et sa mère muette dans un quartier qui ressemble à un bidonville - ce qui là aussi permet d'aborder les injustices professionnelles subies par les personnes porteuses d'un handicap, etc. ). La qualité de la photo, du décor, de la musique, des vêtements et des jeux d’acteurs est telle qu’on sent les blessures, la galère, la transpiration. Malgré ou avec le manque de moyens.
Même si certains personnages manquent d’épaisseur, même si je n’ai jamais réussi à croire à celui de Dan, même si les femmes auraient dû avoir une meilleure place encore, cette série montre un regard politique sur la réalité sociale et sur la vie en général qui manque tellement souvent aux autres séries. Que les personnages ne dissocient pas l’amitié ni l’amour du désir d’atteindre ensemble des objectifs politiques, ce n’est pas si fréquent, c’est touchant et ça marche.