Près de huit heures, c'est ce qu'il faut pour parler de l'incroyable destin d'Orenthal James Simpson, dit O.J., ancien joueur de football américain, puis acteur, et pris dans le tourbillon médiatique du procès de 1994 qui passionnera le pays tout entier.
En France, O.J. Simpson n'évoque sans doute pas grand-chose, mais celui-ci a joué dans plusieurs films, en particulier Capricorn One, La tour infernale et la trilogie des Y a-t-il un flic... Mais en Amérique, il fut un modèle d'intégration d'un noir dans une société blanche sortant à peine de la ségrégation, pour devenir un grand joueur de football américain, et qui fut très connu pour ses pubs pour Hertz ou des fabricants de chaussures. Son visage était très connu, et O.J. Simpson avait ceci de particulier qu'en tant que noir, il ne prit jamais cause sur la question raciale, au contraire d'un Mohammed Ali, Martin Luther King ou Malcom X. C'est dans son envie de réussir, de devenir connu qu'il s'intégra parfaitement dans un monde de Blancs, et qu'il n'eut jamais à souffrir de discriminations.
Je suis désolé de parler autant de questions raciales, mais ce documentaire-fleuve (cinq parties de plus de 90 minutes chacune) en parle beaucoup, car en parallèle de la vie de Simpson se trace un portrait implacable de la condition des Noirs depuis la fin des années 1960, le mouvement Black Panthers, les diverses injustices auxquelles ils firent face. Que ce soit des personnes acquittées parce qu'elles ont abattues des personnes de couleur ou des policiers qui tabassent Rodney King en 1992, et dont la scène fut filmée en caméra cachée, montrant des bévues, c'est toute une colère sourde qui monta jusqu'aux émeutes de Los Angeles en 1992.
Quant à O.J. Simpson, il divorça de sa première femme pour vivre avec une certaine Nicole Brown, mariage qui parait idyllique, mais qui révéla un homme très différent de l'image publique. A l'aides d'archives policières, on apprend non seulement qu'il était colérique, mais battait sa femme (preuve audio et photos à l'appui), tout en contrôlant sa vie de sorte qu'elle ne fut que sa chose. Ce qu'elle ne supportait plus, pour sa sécurité et celle de ses enfants, et elle demanda le divorce en 1992.
Tout ceci jusqu'en 1994 où Nicole Brown ainsi qu'un ami, Ron Goldman, furent sauvagement assassinés dans la maison de la première, prélude à un incroyable procès qui, à la fois, scandalisera et passionnera l'Amérique. Car à travers cette histoire, c'est non seulement O.J. Simpson que l'on juge, avec des preuves souvent accablantes, mais aussi et surtout un Noir. Le souvenir des émeutes de Los Angeles est encore vivace, d'où la défense qui a l'air de marcher sur les œufs, et qui va commettre plusieurs erreur, dont le plaignant, un détective, qui est accusé d'être raciste. Et donc le procès de Mark Fuhrman, à qui on reproche d'avoir prononcé le mot nigger, et donc d'avoir attaqué O.J. Simpson PARCE QU'IL est Noir, indépendamment du double meurtre.
Je ne vais pas tout révéler du procès, d'autant plus qu'il couvre deux épisodes, mais il faut le voir pour le croire, car tout laisse croire que c'est bien O.J. Simpson qui a commis ces meurtres sordides (d'ailleurs, il y a des photos des scènes de crimes, âmes sensibles s'abstenir), mais parce que le plaignant est censé être raciste, celui-ci va s'en sortir acquitté. Émoi de la population Blanche et soulagement des Noirs qui sont contents qu'un des leurs peut être non coupable dans un procès. Même si Simpson a sans doute fait durer le procès, plus de 9 mois, grâce à son argent, et qu'il continue de s'enrichir en prison grâce à la signature d'autographes !
La suite de son histoire va plonger dans le pathétique ; considéré comme un paria par ceux qu'il croyait être ses amis, Simpson va être attaqué au civil par la famille de Ron Goldman où il devra débourser la somme de 33 millions de dollars. Sans avoir tout cet argent, Simpson va aller en Floride, où ses biens ne peuvent être saisis, et va vivre de manière débridée, jusqu'à un pitoyable braquage en 2008 dans une chambre d'hôtel à Las Vegas où il sera condamné 33 ans en prison. Le documentaire s'arrête ici, conclusion de quarante années d'une vie complètement folle.
Pour parler du documentaire proprement dit, le réalisateur, Ezra Edelman, a eu accès à un nombre incroyable d'archives, vidéo, audio, documents, photos, et également à ceux qui ont connu O.J.Simpson depuis son enfance jusqu'à son arrestation à Las Vegas. Les témoignages sont souvent éloquents sur la personnalité de l'ancien joueur de football, ambitieux, bon caractère, jusqu'à cette cassure qui a été provoquée par la mort accidentelle de sa fille d'un an, noyée dans sa piscine. A ce moment-là se dessine le portrait en privé d'un homme colérique, manipulateur, menteur, jaloux, qui a plusieurs liaisons adultérines, qui vont le mener jusqu'à ce double meurtre.
J'ai été également surpris de la liberté de ton des différentes personnes interrogées ; avocat(e)s, jurés, policiers, familles des victimes, qui ne laissent planer aucune intention sur la culpabilité de Simpson dans ces meurtres ; en France, ce serait sans doute considéré comme de la diffamation...
A noter que ce documentaire, destiné à la télévision, a fait un court passage à Sundance en 2016 où il fit si forte impression qu'il a eu une petite sortie au cinéma, lui permettant de concourir aux Oscars 2016 ... où il remporta un prix.
C'est mille fois mérité, car c'est captivant de bout en bout, et l'auteur a eu l'intelligence de ne pas faire seulement un portrait chronologique de Simpson, mais aussi de l'évolution des mentalités américaines, de la place des Noirs dans la justice ; ces multiples portraits en parallèle tracent le sillage d'un pays toujours en proie à son passé racial.
Pour l'anecdote, j'ai tellement accroché que j'ai tout regardé en une seule journée, c'est dire si ce documentaire est incroyable.