fint.
La saison vient tout juste de se terminer sur arte, et on peut dire que les deux derniers épisodes permettent de donner à la série toute sa puissance. La force de cette série, c'est son intelligence...
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le 18 déc. 2015
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C’est peut-être l’une des caractéristiques de la sobriété : à la différence de certains concurrents, Arte met en avant ses programmes sans pour autant s’autoproclamer "créateur d’œuvres originales". On pourrait même aller plus loin en qualifiant Arte comme la parfaite illustration du couple franco-allemand, celui décrit dans nos manuels d’histoire comme "un moteur de l’Union Européenne".
Après une série décrivant par l’absurde la naissance des services secrets français et en attendant celle dépeignant la scène politique française (héritée suite au refus poli et gentil de France Télévisions), la case du jeudi était donc dévolue à Occupied. Acoquinement et/ou hasard du calendrier, le pitch de la série renvoie directement à deux occurrences majeures de l’actualité : l’environnement et la Russie.
C’est vrai que de prime abord, le sujet de la série semble frivole. Ainsi, sur fond de découverte d’une énergie propre, la Norvège assiste à son invasion, sa reprise en main et son occupation par la Russie jusqu’à la reprise de la production et la livraison d’énergies fossiles. Pourtant, dessillons d’emblée les choses : Occupied ne va pas verser dans la déprédation systématique et aveugle, plutôt dans les enchaînements de manœuvres géopolitiques, dans l’instillation d’un rapport de force fondé sur des textes.
La série s’attarde donc sur l’une des conséquences du principe d’union de pays, celui d’un abandon de souveraineté au profit d’une entité supranationale. Et forcément cela remue des effluves identitaires, patriotiques et de protection des frontières. En mettant aux prises un pays réputé pacifique (la Norvège) et un pays plus va-t-en-guerre, il est dès lors facile de désigner le tourmenteur et le supplicié. Néanmoins, grâce à un rythme propice à la découverte des intentions, des desseins et des forces décisionnaires, Occupied ventile de manière plus subtile les fins de chacun, loin de caricaturer ni même d’inverser de manière simpliste les rôles.
Suivre Jesper Berg, c’est un peu assister à de la realpolitik par le truchement d’un écran. Volontaire, résolument tourné vers la fin de la dépendance à des énergies polluantes au profit du Thorium, le 1er Ministre Norvégien est un peu le VRP parfait de la COP 21. Et c’est avec un plaisir un peu coupable que l’on assiste à sa déchéance. Elle se fait vis-à-vis donc de l’autorité supérieure, l’Union Européenne. Puis vient le désaveu de son propre Gouvernement, de son propre Parti et enfin de ses concitoyens. Un effondrement certes brusque mais résultant de cette sacro-sainte subsidiarité qui confine dans ce cas précis à une inertie politique flagrante. Loin d’être un brulot anti-Bruxelles, Occupied place les enjeux de pouvoir dans cette zone grise. Celle délaissée lors des élections, celle décriée mais si peu connue, cette zone géographique (cette fameuse "Banane Bleue") où se prennent la majorité des décisions de notre continent mais qui de manière maladroite et involontaire est si peu connue des habitants de cette zone. Et si l’on y ajoute cette posture quasi-formatée de résolution de conflits par le dialogue, la diplomatie, le compromis, on obtient très vite un décalage entre les parties et entre le représentant du peuple et ce dernier.
Si l’exécutif faillit et/ou est mis à mal c’est forcément la sécurité intérieure qui est sur le devant de la scène. De la coopération à la défiance, en passant par la méfiance et la nécessaire coexistence, Wenche Arnesen (Directrice de la sécurité norvégienne) est la personnification des difficultés d’exercer des fonctions régaliennes dans un espace comme l’Union Européenne. Surtout quand c’est votre pays qui est mis à l’index. Le "duel" qu’elle livre avec son subalterne Djupvik étoffe un peu plus le sens donné à cette situation ubuesque : Quid des braises nationalistes ? Comment définir cette collaboration sans pourtant être inféodé à la Russie ?
Cette dernière justement hérite du rôle d’admonesteur auprès de la Norvège. Conseiller franc donc, froid pour que la Norvège revienne sur les rails d’engagements pris auprès des partenaires européens. En jouant sur la "réputation" de ce pays, en n’hésitant pas à montrer sur quoi se base ce renom, la Russie aurait pu être cantonnée au rôle de force d’occupation bateau, se contentant de piller et montrer les muscles. La série va un peu plus loin en y ajoutant deux dimensions intéressantes : l’importance d’intermédiaires auprès de l’exécutif norvégien (comme l’ambassadrice Irina Sidorova ou les renseignements russes) et surtout en partant du principe que les Etats-Unis ont quitté le commandement de l’OTAN. Pas de résurgence d’une guerre froide en perspective, une coexistence tout au plus condamnant la Norvège à traiter "en direct" avec ses homologues Russes.
Occupied défriche donc des territoires permettant une dramatisation et une narration des plus nerveuses. Et forcément les effets de cette reprise en main par l’UE et la Russie sont asymétriques selon que l’on se place dans les instances exécutives, judiciaires, diplomatiques et du peuple. Avec un découpage astucieux (un épisode = un mois de l’année), Occupied évoque un sujet quelque peu atone mais dont les effets décrits parlent forcément plus. La galerie de personnages dépeinte permet d’assister aux réactions suite à ce qui est interprété comme des privations, des interdictions, de l’ingérence mais surtout comment des bénéfices fortuits sont accueillis par tout à chacun. En ligne de mire, forcément la violence. Cependant, en décrivant ces frustrations, en mythifiant des acteurs jadis honnis (comme l’Armée), en brouillant les intentions des parties prenantes, Occupied parvient à faire de la violence une fin et pas qu’un moyen.
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Créée
le 23 déc. 2015
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