Saison 1:
Sur un pitch initial pas follement original - encore une histoire "d'honnête homme" (enfin, pas si sûr…) entraîné dans des opérations criminelles dangereuses, doublée d'une confrontation "culturelle" entre citadins "sophistiqués" et bouseux de l'Amérique profonde, qui bien sûr, se révéleront beaucoup plus malins que prévu… -, Netflix nous concocte avec "Ozark" une série plus attachante que prévu, en particulier grâce à la surprenante atonalité de la narration, qui refuse le spectaculaire et le suspense facile, et nous livre un portrait profondément dépressif de losers qui se débattent avec l'énergie du désespoir pour ne pas sombrer corps et âme au milieu de l'enfer qu'ils ont eux-mêmes créé.
Cette volonté de dédramatiser des situations qui sont pourtant extrêmes, pour s'intéresser seulement aux mécanismes intellectuels ou viscéraux de survie, et de mettre en scène le tout avec une froideur distanciée - qui surprendra plus d'un téléspectateur, faisons-en le pari - est réellement intéressante, et permet de passer outre pas mal d'invraisemblances dans la narration.
La qualité de l'interprétation (Laura Linney et Jason Bateman sont en permanence excellents, Bateman semblant par ailleurs très impliqué dans le projet puisqu'il réalise certains épisodes) vient encore confirmer l'intérêt de cette série un peu décalée.
[Critique écrite en 2018]
Saison 2 :
La seconde saison de ce petit plaisir quasi secret qu'est "Ozark" poursuit dans la même ligne que la première, non sans une certaine redondance, et n'évite pas une sensation de "sur place", de "ventre mou" : 3 ou 4 épisodes en moins auraient clairement amélioré le rythme, tandis que l'enchaînement perpétuel d'ennuis et d'obstacles sur la route des Byrde est désormais trop systématique pour ne pas irriter.
Ceci posé, ce qui est vraiment passionnant ici, c'est le dévoilement progressif de ce qui devient le thème central de "Ozark", la destruction de la famille (le fondement, on le sait, de la société américaine) du fait de la cupidité des hommes, et la prise de pouvoir des femmes, qui vont parvenir à stabiliser le chaos, à redonner une forme à des relations qui se sont par trop délitées, à redéfinir un futur.
Dans cette seconde saison, tous les personnages masculins ou presque sont veules, lâches, fous ou parfaitement répugnants (on sauvera du lot l'ineffable Buddy, véritable dinosaure condamné à l'extinction par son cœur malade, et Jonah le fils prodigue, néanmoins clairement destiné à reproduire les embrouilles paternelles...), ils seront tous liquidés - ou dépossédés de tout pouvoir, ce qui revient au même - dans la glaçante dernière ligne droite. Et à l'image du personnage de plus en plus froid et complètement terrifiant de Laura Linney, qui tient sans doute là le rôle de sa vie, les femmes seront apparues les plus déterminées, les plus efficaces : les seules à même de pouvoir tracer un chemin vers l'avant. Que cela soit au prix de la dernière étincelle de sincère compassion qui pouvait encore briller dans leurs yeux est toutefois une tragédie.
[Critique écrite en 2018]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2018/12/01/ozark-saison-1-et-2-la-famille-avant-tout/
Saison 3 :
Bon, ça devait arriver : après deux saisons impeccables, notre chère "Ozark" pique du nez. D'une part parce que son atmosphère uniformément dépressive et ses teintes monochromes finissent par lasser, au bout de trois ans : on aimerait des explosions de joie, de couleurs, de violence (bon, il y en a un peu, je l'admets...), quelque chose qui tire tout ça de sa semi-léthargie. En suite parce que, en mettant le couple Byrde en interaction quasi directe avec le narco-trafiquant mexicain dont ils blanchissent l'argent (déjà, un processus assez peu crédible, en fait), la série perd de son abstraction et surtout de sa vraisemblance. Et en enfin, parce que prendre comme principal moteur de l'intrigue durant la première partie de la saison les désaccord conjugaux entre Wendy et Marty ne s'avère pas vraiment passionnant.
Heureusement, la tension monte peu à peu avec les ennuis qui s'accumulent, et l'historie du frère déséquilibré finit par bien fonctionner, rattrapant la sauce dans la seconde partie de la saison. Reste que le coup de théâtre de l'épisode final ressemble plus à un cliché qu'à quoi que ce soit d'autre, c'est-à-dire un défaut que les scénaristes d'"Ozark" avaient évité jusque là.
Ce qui, par contre, reste un point fort de la série, c'est sa détermination à placer ses personnages féminins au centre de l'échiquier, et à montrer la force de caractère, la détermination - frôlant parfois l'inhumanité dans le cas de Helen, l'avocate du Cartel - de ces femmes face à des hommes lâches, arrogants, stupides, ou au mieux transparents comme l'insaisissable Marty. Et ça, ce n'est pas rien.
[Critique écrite en 2020]
Saison 4 - Première Partie :
Comme il est désormais de mise, la dernière saison de "Ozark", une série que nous avons aimée, mais qui a pris un mauvais virage dans sa troisième saison, et s'éternise au delà de ce qu'elle devrait, sera diffusée en deux parties de 7 épisodes chacune. Et il faut bien reconnaître que cette première livraison ne nous rassure aucunement sur la conclusion de la série : après une introduction qui pourrait bien anticiper ce que sera la conclusion finale de la série, nous avons droit à plusieurs longs, très longs épisodes où l'on s'ennuie beaucoup, et qui ne nous offrent que peu de choses "à sauver". En effet la crédibilité semble s'être délitée à tous les niveaux du scénario : que ça soit la partie psychologique qui ne fait plus guère de sens (le fils, Jonah, de 14 ans - joué par un acteur qui en paraît désormais 17 - qui travaille pour les ennemis de sa famille, la drôle de famille constituée par Darlene, Wyatt et Ruth) ou la partie "policière" (le comportement de l'Agent du FBI Maya, la facilité avec laquelle fonctionne désormais le blanchiment des revenus de la drogue, les jeux politiques des Byrde, le deal avec la CEO d'une grande entreprise pharamaceutique...), rien ne tient vraiment la route, tout semble régulièrement bâclé, forcé, comme si le téléspectateur était finalement prêt à avaler n'importe quoi.
Pire, avec la disparition dans la troisième saison d'un personnage aussi intéressant qu'Helen et avec le changement de stratégie inexplicable de Navarro, les enjeux de "Ozark" ont globalement changé, si ce n'est même disparu. Pour compenser ce désert de sens, les scénaristes nous sortent de leur chapeau et injectent dans l'histoire un nouveau mafieux psychopathe et imprévisible, Javi, qui est bien utile pour relancer un peu l'action, mais est largement improbable. Les derniers épisodes rattrapent un peu la sauce, mais au prix de retournements de situation abrupts et trop nombreux pour aller bien au-delà de trucs scénaristiques faciles.
Au lieu d'une telle semi-déroute, les raisons d'aimer encore "Ozark" sont de moins en moins nombreuses : quelques notations politiques bien vues (les références à la crise US des opiacés, les manipulations des urnes électroniques...) et une vision assez pessimiste - et donc pas très consensuelle - de la prise de pouvoir éventuelle des femmes, voilà en tout et pour tout ce qu'on peut sauver de ces 7 premiers épisodes. C'est peu.
[Critique écrite en 2022]