Gogeta émotionnel
C’est marrant, j’ai eu un abo Apple sans rien mater pendant des mois et là j’enchaine leurs séries. Y’a moins de contenus que Netflix c’est sûr mais la quali est là bordel. Je suis pas fan de tout...
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le 15 mai 2022
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Saison 1 :
« Pachinko », c’est bien sûr une machine à sous japonaise, sur laquelle le joueur peut influer un peu à la manière d’un flipper. Le faîte de la popularité de ces machines au Japon fut dans les années 80, avant que l’économie du pays ne s’effondre dans une terrible récession causée en particulier par une bulle immobilière. Mais Pachinko, c’est aussi et surtout – pour ce qui nous intéresse ici – un roman coréen réputé, qui retrace le parcours d’une jeune coréenne, Sunja, pauvre et illettrée, forcée de s’exiler au Japon au début des années 30, ainsi que celui de sa famille, et ce jusqu’aux années 90 (sa famille est alors propriétaire d’une salle de pachinko, d’où le titre…). Et aujourd’hui, Pachinko, c’est l’une des plus grosses séries « de prestige » de la plateforme Apple TV+, une co-production américano-coréenne tournée partiellement au Canada, et adaptant le roman de Lee Min-Jin.
Ce qui est intéressant, et explique au moins partiellement la réussite incontestable qu’est cette série, qui semble d’ores et déjà destinée à figurer au podium des plus grandes séries télévisées contemporaines, c’est que de la productrice et scénariste Soo Hugh aux deux réalisateurs Justin Chon et Kogonada – un aficionado d’Ozu, ce qui compte ici -, en passant par les scénaristes, tout le monde ou presque est d’origine coréenne. Le sujet de Pachinko est la description - empathique, voire souvent très émotionnelle (il est difficile de retenir ses larmes devant la plupart des huit épisodes de cette première saison) tout en évitant de mélodrame -, des épreuves vécues par les émigrés coréens au Japon : on peut donc penser que le sentiment de justesse, de profondeur que dégage la série n’est pas étranger à l’implication émotionnelle forte de toute l’équipe à l’œuvre…
La narration de Pachinko entremêle de manière toujours très lisible plusieurs temporalités, mais ce sont les deux récits principaux qui en sont les points forts : d’une part, la crise existentielle et identitaire de Solomon (Jin Ha, déjà vu dans Devs), jeune cadre financier bien intégré dans la société japonaise des années 80, qui est confronté, à l’occasion d’une négociation difficile relative à l’expropriation d’une vieille dame coréenne au cœur d’un projet immobilier, à ses origines, soigneusement refoulées pour lui garantir son succès professionnel ; de l’autre, la dure vie de la jeune Sunja (Kim Min-ha, une débutante au charisme remarquable, dont on entendra forcément reparler)… Aussi bien dans son pays natal écrasé sous la botte japonaise que, ensuite, à Osaka, où avec son mari pasteur elle doit faire face à la haine et au racisme des Japonais, exacerbés par l’accession au pouvoir des fascistes qui amèneront le pays au désastre de la seconde guerre mondiale, Sunja, héroïne tragique, fera preuve d’une formidable intelligence et d’une force de caractère galvanisante…
… Et il y a, en plus, ce terrible septième épisode, qui retrace de manière saisissante le cataclysmique tremblement de terre de Yokohama en 1923, du point de vue de l’un des personnages les moins sympathiques de la série, Hansu (et c’est là une belle intuition que de lui conférer ainsi une profondeur dont les « méchants » sont souvent dépourvus dans les fictions occidentales) : là encore, les immigrés coréens feront les frais du désastre, désignés à la vindicte populaire comme des profiteurs de la précarité des survivants, et des pilleurs criminels…
Pachinko ressemble plus à du « vrai cinéma » qu’à une série traditionnelle, et les moyens mis en œuvre, le classicisme d’une réalisation clairement plus « japonaise » que « coréenne » (si l’on se fie aux stéréotypes respectifs de ces deux grandes cinématographies…) et la forme scénaristique y sont pour beaucoup. Mais l’ampleur de l’histoire racontée, la manière dont sont mêlées les considérations historiques, sociales, politiques, avec les drames humains les plus poignants, bénéficient aussi clairement de la « forme longue » de la série TV…
A la fin de cette première saison, qui se termine non sans audace en insérant dans la conclusion du dernier épisode des interviews de vieilles dames coréennes ayant vécu les événements narrés dans Pachinko, on ne peut que se dire, éblouis, qu’on assiste à la fusion parfaite de la forme cinématographique avec la forme télévisuelle, le tout au service d’une grande histoire. Le résultat est un chef d’œuvre.
[Critique écrite en 2022]
Retrouvez cette critique te bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2022/09/07/apple-tv-pachinko-un-chef-doeuvre/
Saison 2 :
C'est dommage, c'est triste, ça fait vaguement du mal de l'admettre et de l'écrire, mais la seconde saison de Pachinko est inférieure à la première. Un peu seulement, mais quand même...
Cette minuscule déception vient sans doute du fait qu'aucun épisode n'atteint tout-à-fait la transcendance de certains passages de la première saison, même si l'on n'en est parfois pas loin, comme au cours du chapitre consacré au séjour de Sunja et ses enfants dans une campagne japonaise qui nous semble idyllique (elle le paraît en tous cas aux enfants) : un segment de l'histoire de Sunja qui semble par instants touché par une grâce "miyazakienne"...
... Et puis il y a ce très beau dernier épisode, où se dénouent deux des principaux fils narratifs de la saison, celui du rapport entre Noa et son père, et celui de "l'aventure" de Sunja âgée avec Kato. Tous deux de manière tragique, ce qui nous émeut évidemment profondément, mais n'est-ce pas là l'essence même de la beauté de la série ?
Peut-être osera-t-on avancer que la construction complexe du récit , avec deux époques entre lesquelles on fait des va-et-vient, semble s'être complexifiée cette fois, avec des sauts temporels dans la vie des enfants, que l'on voit grandir par à-coups (avec changements d'acteurs, bien entendu), et que nous sommes parfois privés de cette douce familiarité qui fait que nous accompagnons les soubresauts de l'histoire de Sunja et des siens avec un plaisir intense ? Les moments forts ne manquent pas, les passages réellement cruels non plus - on songe par exemple au délitement de la relation entre Solomon et Naomi -, mais on est moins saisis par un sentiment permanent d'excellence cinématographique que lors de la première saison (Y aurait-il eu d'ailleurs des coupes budgétaires car la cinématographie est moins spectaculaire, moins uniformément belle qu'avant ?).
Dans tous les cas, malgré ces toutes petites réserves, Pachinko reste une série de très haut niveau. Qui n'a malheureusement pas rencontré la reconnaissance et l'adhésion espérée. Ce qui fait, qu'à l'heure où nous écrivons ces lignes, la production d'une dernière saison, qui bouclerait le récit, n'est pas encore confirmée.
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Créée
le 7 sept. 2022
Modifiée
le 27 oct. 2024
Critique lue 1.5K fois
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