Une saga familiale poignante et visuellement éblouissante

(8.5/10)

Pachinko, la série adaptée du roman à succès de Min Jin Lee, est un récit épique qui retrace plusieurs générations d'une famille coréenne vivant au Japon. Diffusée sur Apple TV+, la série mêle l’histoire personnelle de ses personnages avec des événements historiques majeurs du XXe siècle, notamment la colonisation japonaise de la Corée, la Seconde Guerre mondiale, et les réalités de la diaspora coréenne au Japon. Pachinko se distingue par sa capacité à entremêler des récits intimes avec des enjeux historiques plus vastes, tout en s’appuyant sur une mise en scène somptueuse et un casting brillant. La série réussit à capturer les complexités de l’identité, de l’héritage et des luttes sociales, faisant de cette œuvre un voyage à la fois émotionnel et visuel.

Pachinko se distingue immédiatement par sa narration non linéaire, qui alterne entre différentes périodes de l’histoire, tout en suivant plusieurs générations de la famille Baek. Cette approche peut sembler déroutante au début, mais elle permet à la série de tisser des liens complexes entre les personnages et les époques, tout en explorant comment les choix et les sacrifices des générations précédentes influencent les vies des générations futures.

Le personnage central, Sunja (interprétée à différentes étapes de sa vie par Yu-na Jeon, Minha Kim et Youn Yuh-jung), est au cœur de l’histoire. Son parcours commence dans les années 1910 en Corée colonisée, où elle grandit dans un village pauvre avant de partir pour le Japon. Sunja incarne à la fois la résilience et la douleur de l’exil, et son histoire personnelle sert de fil conducteur à travers le temps. La série montre comment ses décisions, influencées par les circonstances politiques et sociales, résonnent sur les générations suivantes, notamment avec son fils Mozasu (Soji Arai) et son petit-fils Solomon (Jin Ha).

L’alternance entre les différentes époques, bien que complexe, est habilement orchestrée. Chaque ligne temporelle enrichit l’autre, offrant au spectateur une vision holistique de cette famille aux prises avec les changements brutaux de l’Histoire. Le montage est fluide et subtil, permettant d’associer des événements éloignés dans le temps mais émotionnellement connectés, ce qui renforce l'idée de transmission et d'héritage intergénérationnel. Cette structure éclatée reflète également la nature fragmentée de l’identité des personnages, qui évoluent dans un entre-deux culturel, entre la Corée de leurs origines et le Japon, pays où ils vivent en tant que minorité.

Le véritable cœur de Pachinko réside dans ses personnages, dont les histoires individuelles sont autant de miroirs des luttes collectives d’une communauté. Sunja, en particulier, est une figure d’une grande force émotionnelle. Interprétée à des âges différents, d'abord par la jeune actrice Yu-na Jeon puis par Minha Kim dans sa jeunesse, et enfin par la légendaire Youn Yuh-jung dans sa vieillesse, Sunja est le personnage autour duquel tout gravite. Chacune des actrices qui l’incarnent apporte une profondeur et une intensité différentes, reflétant les différentes phases de sa vie, mais aussi la constance de son caractère. Sunja est à la fois douce, résiliente et inébranlable, une femme dont les sacrifices pour sa famille constituent le noyau émotionnel de la série.

L'interprétation de Youn Yuh-jung, oscarisée pour Minari, est particulièrement bouleversante. Elle incarne une Sunja vieillissante, mais toujours pleine de sagesse et de dignité, confrontée aux fantômes de son passé tout en maintenant le lien avec ses descendants. Son jeu tout en retenue capture à merveille le poids de l’Histoire sur ses épaules, tout en offrant des moments de tendresse et de mélancolie.

Le reste du casting est tout aussi impressionnant. Jin Ha, qui joue Solomon, le petit-fils de Sunja, offre une interprétation nuancée d’un homme déchiré entre les attentes de sa famille et son désir de s’intégrer pleinement au Japon moderne. Son parcours, ancré dans la réalité économique du Japon contemporain, reflète les dilemmes des jeunes générations issues de l'immigration, confrontées aux vestiges de la discrimination tout en cherchant à s'émanciper.

Les personnages secondaires, comme Koh Hansu (Lee Min-ho), l’homme mystérieux qui bouleverse la vie de Sunja, et Mozasu, son fils, ajoutent de la complexité au récit. Lee Min-ho, célèbre pour ses rôles dans les dramas coréens, incarne un personnage énigmatique, partagé entre son amour pour Sunja et son implication dans des affaires douteuses. Son jeu subtil et ambigu enrichit l’intrigue, apportant une dimension tragique à son personnage.

La réalisation de Pachinko est un autre point fort de la série. Le réalisateur Soo Hugh (qui a également co-écrit la série) et ses équipes ont su capturer la beauté et la douleur de chaque époque à travers une mise en scène à la fois élégante et immersive. La photographie est sublime, avec une attention particulière aux détails, qu’il s’agisse des paysages luxuriants de la Corée rurale ou de l’agitation urbaine du Tokyo des années 1980.

Chaque époque est distinctement caractérisée par sa palette de couleurs et son atmosphère visuelle. Les scènes dans la Corée des années 1910 sont baignées de lumière naturelle et de teintes douces, contrastant avec les rues encombrées et grises du Japon industriel où Sunja et sa famille luttent pour survivre. La mise en scène accentue le contraste entre le monde rural d’où viennent les personnages et l’environnement urbain oppressant où ils cherchent à construire une nouvelle vie.

La bande sonore, composée par Nico Muhly, vient également enrichir l’expérience visuelle, ajoutant une dimension émotionnelle aux scènes. La musique mêle des éléments traditionnels coréens et des sons modernes, renforçant l'idée de dualité culturelle et d'un passé qui continue de résonner dans le présent.

Au-delà de l’histoire individuelle de la famille Baek, Pachinko traite de thématiques universelles qui trouvent un écho profond dans le contexte mondial contemporain : la migration, la quête d’identité, la discrimination et le déracinement. La série montre comment la colonisation japonaise de la Corée a conduit des milliers de Coréens à s’installer au Japon, souvent dans des conditions précaires, où ils ont dû faire face à des formes de racisme et d’exclusion.

À travers la vie de Sunja et de ses descendants, Pachinko explore les effets de ce déracinement sur plusieurs générations. La série met en lumière la manière dont les personnages naviguent entre leur identité coréenne, leurs aspirations personnelles, et la réalité d’être une minorité dans un pays où ils ne sont jamais pleinement acceptés. La série traite de la complexité de l’identité diasporique, où le sentiment d’appartenance est sans cesse remis en question.

Solomon, en particulier, incarne cette lutte identitaire. Issu de la troisième génération, il a grandi au Japon et a tenté de s’intégrer à la société japonaise, mais se heurte aux limites imposées par son statut de zainichi (Coréen vivant au Japon). Son dilemme est celui de nombreux jeunes issus de l’immigration : comment rester fidèle à ses racines tout en cherchant à se construire une identité propre dans une société qui le marginalise ? Pachinko ne propose pas de réponses simples à ces questions, mais les aborde avec une grande sensibilité et un profond respect pour la complexité des expériences migratoires.

L'un des aspects qui pourrait désarçonner certains spectateurs est le rythme volontairement lent de la série. Pachinko prend le temps de développer ses personnages et ses intrigues, accordant une grande importance aux moments d’introspection et de réflexion. Certains épisodes peuvent sembler contemplatifs, voire un peu étirés, mais ce rythme lent est essentiel pour capturer l'intensité émotionnelle des événements et pour approfondir les dynamiques familiales et sociales qui sont au cœur de la série.

En prenant le temps de s'attarder sur les détails de la vie quotidienne, Pachinko permet au spectateur de se connecter pleinement aux personnages, de comprendre leurs motivations et leurs peurs. Cette approche contemplative est aussi une manière de souligner la lourdeur de l'Histoire sur les individus, montrant comment chaque génération est façonnée par les événements du passé.

Pachinko est une série poignante et magnifiquement réalisée qui explore les thèmes de l’identité, de l’héritage et de la migration à travers une saga familiale profondément émouvante. Grâce à une narration non linéaire habilement orchestrée, un casting exceptionnel, et une mise en scène visuellement époustouflante, la série parvient à capturer l’essence d’une époque tout en racontant une histoire universelle de lutte, de résilience et de survie.

Pachinko est bien plus qu’un simple récit historique : c’est une réflexion sur la manière dont les choix, les sacrifices et les traumatismes des générations passées résonnent encore dans le présent. C’est une série qui vous touche en profondeur, vous invite à la réflexion, et reste longtemps en mémoire après le visionnage.