Non, le « mockumentaire » – c’est-à-dire le documentaire parodique, créant à la fois des effets drolatiques, mais aussi une bonne dose de gêne – n’a pas été inventé en 2001 par Ricky Gervais et Stephen Merchant avec leur géniale série TV de 2001, The Office, puisque Wikipedia a identifié un film britannique, The Big Blockade, datant de 1942 comme le premier exemple du genre ! Mais il faut bien admettre que les Britanniques (à égalité peut-être avec les Belges – souvenez-vous de C’est arrivé près de chez vous !) sont les rois du genre, et l’étonnante série Cunk on Earth (Planète Cunk, traduction française maladroite qui égare le double-sens du titre original) va encore renforcer cette suprématie…
Philomena Cunk (Diane Morgan, absolument formidable ici, déjà remarquée dans After Life de Ricky Gervais, ce qui n’est évidemment pas un hasard) est une journaliste bien de son (de notre…) époque : totalement inculte, pas très intelligente, et surtout nourrie aux théories conspirationnistes les plus extrêmes, elle dirige et présente cette fois une émission « éducative » du type de celles, célèbres, de la BBC, visant à raconter en 5 épisodes de 30 minutes ni plus ni moins que l’histoire de l’humanité. Parfaite pour les platistes et les fans de Maître Gims et de ses pyramides électriques, Planète Cunk nous révèle donc tout ce que nous devrions savoir et qui nous a été caché par les experts et les scientifiques sur nos origines et celles de nos civilisations. Raccourcis saisissants, interprétations délirantes, anachronismes ridicules, aphorismes bien irrigués de « bon sens populaire », et bien entendu remise en cause systématique de tous les acquis de la connaissance humaine à travers un scepticisme crasse, Philomena Cunk ne recule devant rien…
La série, à la fois hilarante pour ceux qui apprécient l’humour britannique et profondément déprimante, nous offre une bien sombre vision de notre époque, où de plus en plus de personnes rejettent la science et « l’autorité » pour regarder le monde depuis le petit bout de leur propre lorgnette. L’une des idées les plus percutantes de Charlie Brooker et Diane Morgan est d’ailleurs de confronter Philomena Cunk à de véritables universitaires, historiens et spécialistes, qui la prennent a priori pour une journaliste de la BBC (la BBC a produit la série, il ne faut pas l’oublier !), et d’observer l’ahurissement de ces « personnes sérieuses » devant l’infinie bêtise des commentaires et questions de leur interviewer : on retrouve là ces merveilleux moments de gêne qui constituent le meilleur du genre. Il y a fort à parier que nombreux sont les téléspectateurs se cachant le visage dans leurs mains devant l’embarras qui se dégage de ces scènes d’interview !
Et comme il ne faudrait pas oublier que les Monty Pythons, que nous n’avons pas cité en introduction, ont également été très actifs dans le genre du mockumentaire, Morgan et Brooker leur adressent un hommage sympathique en citant, à tort et à travers bien sûr et dans chaque épisode, le célèbre titre Pump Up the Jam : soit le type de gag répétitif et absurde dont étaient fans les Monty Pythons.
Il est toutefois recommandé de ne pas « bingewatcher » l’intégralité de Cunk on Earth, et de savourer au contraire chaque épisode indépendamment : sinon, il y a un indéniable risque de se fatiguer devant la répétition systématique des mêmes procédés humoristiques… Même si les scénaristes tentent visiblement de varier les registres de la bêtise humaine, et même si, surtout sur la fin de la série, certaines considérations sur le futur de l’humanité s’avèrent finalement (presque) sérieuses, il reste quelque chose de profondément accablant dans Planète Cunk…
[Critique écrite en 2023]
https://www.benzinemag.net/2023/07/12/netflix-planete-cunk-a-pleurer-de-rire-ou-a-pleurer-tout-court/