Pas de suspense chez nous, on vous le dit tout net, la série de la rentrée et peut-être de l’année est française, et comique, ce qui n’est pas chose fréquente.
Eric Judor a certainement l’une des carrières les plus (d)éto(n)nantes du cinéma français. Adepte du contre-pied, c’est un mec capable de passer du débilement génial Seuls Two au non moins génial mais pointu Wrong, désappointant à chaque fois ses fans. Il y a ceux qui aiment le Eric de H et ceux qui préfèrent le Judor de Platane. Problème insoluble, auquel pourtant le pendant français de Ricky Gervais semble avoir trouvé la solution, avec Platane, saison 2, qui devrait, chose inédite, satisfaire les deux camps.
Par un tour de passe-passe dont lui seul a le secret, Judor fait de cette schizophrénie comique le sujet de sa série. Car la saison 2 démarre sur un problème embêtant que connaît son héros : Eric, qui s’est reclus quelques années dans le grand nord canadien, ne sait plus jouer lorsque Ramzy l’appelle à la rescousse pour tourner La Tour Montparnasse Infernale 2 à l’aréoport. Il ne sait plus, selon ses propres termes, faire le « gogol ». Et de toute façon, ça ne l’intéresse plus.
Ses bêtises avec Ramzy, le Aymé de H, c’est terminé. Depuis la saison 1 et son souhait de tourner un film sérieux (La Môme 2.0 Next Generation, ndlr), le Eric de Platane montre Wrong à ses amis, pour raconter son sérieux métier. Sa canadienne de femme n’a même pas conscience de son passif de « gogol ».
Dans cette mise en abîme ultra-réaliste, Eric ne fait pas dans la dentelle, et étonne par une maîtrise comique qu’on lui connaissait déjà, mais dont on n’aurait jamais pensé qu’elle puisse surclasser les maîtres US du genre. Tempo millimétré, concept exploité à fond, Judor tutoie véritablement les sommets. Sa géniale idée de déclinaison de concept le verra petit à petit recouvrer le sens du jeu du « gogol », et devenir paradoxalement à l’écran bien moins drôle pour son rôle d’idiot dans La Tour Montparnasse Infernale qu’en héros réaliste de Platane.
Et le Eric, le vrai Judor ?
On en vient à se poser la même question que face à un imitateur : c’est quoi, sa vraie voix ? Qui est le vrai Eric Judor ?
Rare en interview, le vrai Eric souhaite manifestement cultiver le mystère. Homme sans âge, sans étiquette, plein de mystère, et qui ne se livre finalement qu’à travers son oeuvre. Aussi, l’amalgame est-il tentant entre l’Eric de Platane et le Judor de la vraie vie, d’autant plus qu’il suscite l’hilarité, et même, ô étonnement, une sympathie difficilement justifiable. Eric, c’est ce gaffeur, ce comédien donc mythomane – il n’a de cesse d’expliquer que jouer c’est mentir, dans cette saison 2 – qui laissera s’enchevêtrer les mensonges jusqu’à ce que ceux-ci viennent à lui retomber sur le coin du nez, et ce, quitte à causer du tort aux gens qu’il aime. Comment s’attacher à un tel personnage ?
C’est un fait, presque inexplicable d’ailleurs : on en vient forcément à s’attacher au Eric de Platane. Parce qu’il y a parfois dans les yeux de Judor ce petit scintillement qui le rend humain, extrêmement timide, incapable d’admettre ses torts, d’aller au conflit, de faire directement de la peine à quelqu’un. Eric préfère la lâcheté à la confrontation, si désagréable soit-elle.
Et le téléspectateur d’enfin applaudir une série comique non-sous-titrée. De Seuls Two à Wrong, de Platane à H, de Eric à Judor, le scénariste-réalisateur-acteur ne cesse de repousser les limites tricolores du comique, prouvant qu’il est possible, dans la langue de Molière – on venait presque à en douter – de faire hurler de rire le badaud. Encore !
Platane, Saison 2. 12 épisodes de 32 minutes. Première diffusion le 16 septembre sur Canal Plus.
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