« I look too good not to be seen. »

Méconnu du grand public, l’univers des bals porté par la communauté gay et transsexuelle des afro et latino-américains est mis sous le feu des projecteurs avec la sortie du clip Vogue de Madonna en 1990. Avec sa nouvelle série Pose sortie en 2018, Ryan Murphy (American Horror Story, Glee) met à l’honneur ce monde underground dont les membres ont continuellement dû se battre pour exister, pour la reconnaissance de leurs droits. Je suis tentée de penser que c’est un peu de la même manière que ces figures majeures de la culture mainstream dominante (la chanteuse et le réalisateur) ont donné une véritable visibilité, reconnaissance à ces pionniers des ballrooms. Si Madonna a réemployé le voguing dans son clip (style de danse caractérisé par la pose-mannequin telle qu’elle existe dans les magazines et défilés de mode), Ryan Murphy va plus loin en faisant jouer la plus grande distribution d’acteurs trans de l’histoire de la télé dans ce qui pourrait être leur propre rôle. Il n’y a rien de plus bouleversant que de se dire que les acteurs de la série qui sont tous plus attachant les uns que les autres ont une histoire, un vécu similaire à celui qu’ils interprètent.

L'histoire, c'est celle de Blanca femme trans qui, à l'annonce de sa séropositivité, se lance à la poursuite d'un vieux rêve : créer une maison légendaire qui marquera l'histoire des bals new-yorkais. Bien plus que son ambition, c'est son incroyable combativité et générosité qui lui permet de rassembler autour d'elle une myriade de personnages, dont cinq « enfants » qu'elle poussera à déployer leur talent dans le milieu artistique. Leur histoire, c’est celle d’une identité malmenée par le rejet familial, de la société, mais qui se reconstruit par et dans la communauté. C’est là que les bals occupent une place fondamentale, il s’agit de défilés organisés pour permettre à chacun d’avoir son heure de gloire sous les feux des projecteurs en s’illustrant par la danse, par l’ingéniosité de son costume... Pour les membres de la communauté, c’est l’occasion de défiler dans sa catégorie de prédilection, allant du travestissement à la parodie de genre, de sexualité voire de classe sociale. Chaque prestation artistique est spectaculaire : c’est la beauté de la mise en scène, des jeux de lumières, associé à une bande musicale RnB et hip pop qui restitue parfaitement l’ambiance de l’époque. Sur le plan esthétique, Pose est une série absolument magnifique, mais c’est avant tout sur le plan moral et politique qu’elle se révèle dans toute son originalité.

Le monde des bals dans lequel nous sommes introduit, a été créé pour permettre à une communauté marginalisée par la société de la fin des années 80 de briller alors que toutes les portes semblent être fermées pour ceux qui se trouvent « au plus bas de l’échelle sociale ».

Tu es un jeune homme noir, gay et pauvre, alors ne t’imagines pas que tu puisses prendre qui que ce soit de haut.

Ce message revient constamment comme une réalité inextricable pour nos personnages. C’est dans l’entre-soi des bals que se trouve une échappatoire, mais aussi un moyen d’expression des injustices dont ils sont victimes. Lors des défilés ce sont un certain nombre de codes qui sont empruntés à cette société qui les rejette pour mieux les caricaturer, qu’il s’agisse du monde de la mode, de la haute société new-yorkaise... Alors que la logique capitaliste règne en pleine ère Reagan, cette communauté qui vit dans les quartiers populaires de New-York a arrêté d’espérer que le changement vienne d’en haut, et lutte au quotidien pour améliorer ses conditions. C’est la lutte contre la ségrégation qui leur interdit l’accès à certains lieux, mais surtout la lutte contre l’épidémie de sida qui frappe si durement la communauté transsexuelle et homosexuelle.

Ils ne connaîtront jamais la sensation d’aimer sans s’inquiéter de mourir, ou pire encore, de tuer quelqu’un. Je ne sais pas ce qui est le pire entre se voir confisquer cette liberté ou ne jamais l’avoir connue.

Face aux drames quotidiens, à la mort omniprésente, la résilience de nos personnages force l’admiration, mais elle révèle aussi toute l’importance de la famille d’adoption qu’ils se choisissent. La série présente le système des houses, dirigées par des mères et des pères offrant un espace sécurisant, du soutien et des conseils pour les jeunes noirs et latinos queer à la rue qui font le choix de devenir leurs enfants. La maison Evangelista qu’a mis sur pieds Blanca « recueille toutes les âmes perdues », mais toutes les maisons ne lui ressemblent pas, si les affrontements sur la piste sont fréquents et qu’un esprit de rivalité règne entre les différentes familles, c’est l’esprit d’entraide qui domine. C’est précisément cette solidarité qu’on perçoit dans les rapports qu’entretiennent nos personnages qui rend si passionnante la série. Chaque épreuves, étapes qu’ils traversent est une belle leçon d’humanité contribuant à les faire grandir, aussi bien en tant que personne qu’en tant que membre de la communauté. Pose brille par ses dialogues extrêmement touchant, son scénario qui parvient harmonieusement à allier les scènes tire-larmes aux scènes d’allégresse. Enfin c’est la justesse de son ton, du jeu des acteurs qui rend cette série incontournable.