. Il y a des œuvres d’Art en tout genre dont en sent, et l’on sentira toujours qu’elles nous dépassent, qu’elles sont insaisissables et nous échappent ! Des œuvres qui, pourtant acclamées par la critique, se dérobent à notre admiration et à notre sensibilité ; on peut les aimer, mais on est toujours habité par une étrange frustration, car nous n’avons pas réussi à vivre l’expérience esthétique complète et voir pleinement le génie. Personnellement, je n’ai pas pour habitude de faire des critiques d’animés seulement…il y a le « cas Madoka » ^^ ! Mon premier contact avec « Puella Magi Magica Madoka » remonte à Avril 2017, dans un élan de visionner tous les animés incontournables, je ne pouvais pas faire l’impasse sur ce Magical Girl « anormalement dark et anti conventionnel ». J’ai commencé l’animé sans trop rentrer dans le délire graphique psychédélique au ton dépressif, jusqu’aux derniers épisodes, puis les 3 films qui ont fini par me retourner les tripes.
Mais pourtant, mais pourtant ^^…..les mois ont suivi et je ne sais pas ce qu’il s’est passé ; « Madoka » demeurait curieusement dans mon esprit, je sentais que je passais encore à moitié à côté de l’essentiel de l’œuvre, que je ne l’avais pas suffisamment compris. Entre temps, avec l’enseignement universitaire dont j’ai bénéficié en deuxième année de Licence d’Arts du Spectacle, en parallèle, mon sentiment de ne pas avoir pleinement vu/ressenti la « force » de « Magica Madoka » comme il se doit s’est accrue, c’était limpide, il fallait que je le revois et que je le juge autrement, en mettant de côté l’effet de surprise pour vraiment l’analyser et porter un regard critique plus juste et aiguisé dessus. J’ai commis une erreur avec « Magica Madoka », celle de le voir (l’animé) ou du moins de chercher à le voir avant tout par le prisme du divertissement, hors c’est justement en y cherchant le divertissement que je me suis rendu compte que je faisais fausse route. Je le redis, j’avais beaucoup aimé « Madoka » mais je sentais que je ne l’aimais pas comme il le fallait ; je me devais de le revoir en ne cherchant cette fois pas le divertissement en priorité.
. Bon, « Puella Magi Magica Madoka », Maho Shojo Madoka Magika (魔法少女まどか☆マギカ),animé réalisé par Akiyuki Shinbo (également en charge des séries « Monogatari ») et scénarisé par Gen Urobuchi (également scénariste sur « Psycho-Pass » et « Fate/Zero ») diffusé au Japon du 7 Janvier au 21 Avril 2011, nous raconte l’histoire de Madoka Kaname.
. Madoka Kaname, 13 ans, est une jeune collégienne vivant une vie comme n’importe quelle autre jeune fille de son âge. Sa vie bascule le jour où elle et son amie Sayaka Miki font la rencontre de Kyubey, un félin de petite taille blanc que Madoka sauva d’un mystérieux agresseur. La petite créature leur révèle alors qu’il a le pouvoir d’exaucer n’importe lequel des vœux d’une jeune fille en échange duquel, les jeunes filles passent un contrat avec lui et deviennent des « Puella Magi », des Magical Girls dont la mission (et le devoir) est de chasser les forces démoniques baptisées « Sorcières », naissant du désespoir et des ondes négatives des êtres humains. Mais pour une raison inconnue, Akemi Homura, la nouvelle élève de la classe de Madoka & Sayaka, cherche à tout prix à empêcher Madoka de passer un contrat avec Kyubey… . Mais pour quelles raisons Homura est-elle prête à tout pour arrêter Madoka ? Madoka Passera-t-elle un contrat avec Kyubey et deviendra-t-elle une Puella Magi ? Certains vœux valent-ils vraiment la peine qu’on se batte pour eux ? Quel destin sombre et funeste attend ces magical girls qui se battent au péril de leur vie dans le plus grand des secrets ? Madoka, Sayaka et les autres Puella Magi vont peu à peu goûter au désespoir…voilà pour le pitch global.
.Verdict : j’y suis, l’heure est donc venue de rendre cette fois mon verdict définitif sur « Madoka » après redécouverte ! Comme je l’avais dit plus haut, là a été ma plus importante erreur et qui a à moitié biaisée mon avis sur l’animé, c’est une mise en garde d’ailleurs et je ne peux que trop vous recommander d’adopter cette idée si vous n’avez pas encore découvert l’œuvre et que vous comptez la tester : pour aimer « Puella Magi Magica Madoka », il ne faut pas le ranger dans la catégorie « Divertissement » sinon l’animé sera complètement informe. C’est en tant qu’œuvre au sens large du terme qu’il faut prendre cet animé.
. Dis, toi….oui toi là ^^, tu connais les animés de Magical Girl ? Mais siiii, les jolies petites collégiennes toutes moe toutes kawaii avec leurs tenues roses bonbons fushias, leurs froufrous leurs paillettes, les sceptres lumineux ornés d’un cœur, de cloche ou d’ailes d’ange et qui chassent les méchant extraterrestres qui veulent faire le mal sur terre parce que faire le mal c’est bien ^^. T’as forcément regardé « Sailor Moon » (1992-1997), « Card Captor Sakura » (1998-2000), « Tokyo Mew Mew » (2002-2003), “Pichi Pichi Pitch” (2003-2004) où encore « Shugo chara » (2007-2010) hein ?! Eh ben tu sais quoi ? Oubli tout ce que tu crois savoir O_O !!
. Parce que oui, tous ces animés girly, mièvres à l’eau de rose tout mignons… « Magica Madoka » leur fait carrément un gros doigt d’honneur ! L’animé de magical girl d’Akiyuki Shinbo est un véritable « fuck you » au classicisme conventionnel sage du genre !! « Madoka » est l’animé qui prends juste à contrepied total tous les animés de magical girl du genre et met les pieds dans le plat sans se gêner, sans prendre de gants avec une assurance admirable dans sa façon de renverser totalement tout ce conventionnalisme à paillettes. Un grand coup de pied dans la fourmilière pour en finir, abolir les préjugés sur les animés Magical Girl, casser le miroir et permettre au genre de se libérer de son narcissisme, se dépuceler ! « Magica Madoka » a d’ores et déjà son nom gravé dans l’histoire avec un grand H de la Japanimation, en tant qu’œuvre qui l’a fait évoluer, une « Renaissance » du genre magical girl…peut être même quelque part en extrapolant une « naissance » tout simplement d’un genre qui sort enfin des sentiers battus, qui sort de son aliénation au conventionnalisme et gagne enfin en maturité, une maturité insoupçonnée jusqu’à maintenant ! Le magical girl classique est mort pour laisser place à un magical girl moderne, une œuvre profonde, philosophique et psychologique.
. Par où commencer bon sang ! « P.M.M.M » est une œuvre tellement riche, tellement complète et complexe qu’en faire la critique est un exercice bien compliqué et qui demande de se creuser la tête !
On va pas y aller par 4 chemins et on va directement s’attaquer au gros morceau, premièrement, « Madoka » est un pur délire MINDFUCK !! En fait, c’est presque un animé à regarder dans un état second tant on croirait que les mecs derrières étaient des dépressifs sous substances. Ici on sort complètement du Shojo pour transposer le genre madical girl dans la catégorie pourtant complètement contre standard du Seinen. Entre Horreur, Drame, Psychologie, « Puella Magi » a une dimension très « coup de poing » à travers la singularité unique de son visuel complètement atypique ! Le synopsis, faisant au passage pas mal penser sur quelques points à « Stalker » d’Andreï Tarkovsky (1979) va amener une histoire imprévisible qui va complètement nous déconcerter, bien loin des sentiers battus que l’on a l’habitude d’arpenter sagement. Le scénario est complexe, profond, paraissant infiniment compliqué au cours des 12 épisodes mais pourtant, cette complexité nous aspire ! Sur le plan scénaristique, la force de l’animé tient du fait qu’il s’agit d’une véritable réécriture Biblique saupoudrée d’un aspect Contes de fées initiatique moderne ! Alors là, plus incroyable et insensée comme combinaison tu meurs ! Le scénario de « P.M.M.M » est à la fois hyper flexible et solidement bétonné en même temps, stupéfiant et troublant ! Le ton est très grave, pessimiste et déprimant, dans un background cimenté à la transposition/réécriture religieuses.
La Religion et la sous dimension biblique dans « Puella Magi Magica Madoka » sont sa véritable colonne vertébrale scénaristique et constitue une très grande partie de sa richesse. « Magica Madoka » s’élève vers d’autres hauteurs via ses multiples références à la Bible, qui crèvent les yeux. Dans cet animé tout moe en apparence sont en fait véhiculés plus ou moins indirectement les plus grands questionnements métaphysiques !
Dieu, l’Âme, la Liberté…pour la première fois avec « Madoka », les magical girls sont décrites comme étant aliénées à leurs pouvoirs, pour la première fois les pouvoirs magiques girly sont montrés comme une malédiction aliénante et déshumanisante, privant les protagonistes féminins de leur libre arbitre ! « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités », disait l’Oncle Ben à Peter Parker dans « Spider-Man » de S.Raimi (2002), ça a rarement sonné aussi vraie et sensé à mes oreilles qu’avec « Magica Madoka » qui est tout sauf innocent. Dès le début avec ce moment ou Kyubey tentera de faire accepter à Madoka de passer un contrat avec lui et de devenir une Puella Magi, immédiatement Shinbo & Urobuchi dressent la première pierre de leur réécriture biblique moderne avec cette transposition métaphorique de la Tentation d’Eve par le serpent dans la Jardin d’Eden ! Madoka est ici tout au long de la série un personnage de jeune fille encore enfant, habitée par l’innocence et la pureté d’âme, une sorte de sainte vierge innocente pas encore souillée, que le félin extra-terrestre tentera de corrompre, de faire basculer dans son camp en la soudoyant via l’offre alléchante de pouvoir réaliser n’importe lequel de ses souhaits les plus fous. De ce fait, le pouvoir magique des Puella est décrit ici comme un moyen de devenir l’égal de Dieu…même un Dieu en soit ! Tout comme le serpent ment à Adam & Eve en leur faisant croire que manger du fruit de la Connaissance leur permettra de devenir l’égal de Dieu, Kyubey veut faire croire à la jeune Kaname que passer un contrat avec lui fera d’elle l’égal d’une divinité.
Et ça ne s’arrête pas là car par la suite, « Magica Madoka » s’attaquera même aux 7 Pêchés Capitaux (la Gourmandise et l’Avarice incarnés par Kyoko qui passe son temps à manger et qui refuse d’utiliser son vœux pour les autres, Mami qui pourrait représenter l’Orgueil, Homura la colère, Sayaka l’Envie ect) qui sont un vecteur même de caractérisation des personnages dans leur attitude et leur psychologie. A un moment, avec la découverte des Soul Gem qui sont en fait l’âme des Puella, l’animé va même jusqu’à reprendre ce débat philosophique ancestral de l’âme et du corps initié par Platon (qui pensait notamment que notre enveloppe corporelle était la prison de l’âme), la question de la matérialité de l’âme !
. Niveau personnages, là aussi l’animé montrera encore un caractère anti conformiste. Ici, l’animé fait tout l’inverse de ce qu’on attend de lui, là ou habituellement les animés de M.G sont focalisés sur l’histoire et ou les personnages sont strictement fonctionnels, ici c’est tout au contraire la psychologie de Madoka, Sayaka, Mami, Homura et Kyoko qui donne le rythme. La lenteur et la contemplation des paysages désolés hauts en couleurs sont le but, ainsi que le déroulement des conflits psychologiques des adolescentes kawaii dans ce conte de fées-vanité. Nous mettre le plus mal à l’aise possible, nous faire goûter au doute et au désespoir en même temps qu’elles, l’animé cherche à avoir une emprise sur nous, à nous prendre aux tripes. La couleur rose a littéralement pour but de déstabiliser et de nous montrer à nous + à l’héroïne titre que « la vie n’est pas rose », une couleur qui se contredit elle-même puisque elle symbolise de base le bonheur, la tendresse ou encore la jeunesse. Et idem pour les couleurs des autres filles, blue (Sayaka), noir (Akemi), jaune (Mami), rouge (Kyoko), Akiyuki Shino et Gen Urobochi jouent à fond sur les symboliques de chaque pour caractériser les jeunes filles chez qui les symboliques chromatiques sont autant représentées par l’aspect positif que négatif.
. Sur le fond, « Magica Madoka » est à bien des niveaux une thèse hiéroglyphique-symbolique codée de la Religion dans une transposition moderne à travers le médium de l’animation Japonaise, mais sa richesse et son Avant-Gardisme révolutionnaire est bien loin de s’arrêter là ! En effet, « P.M.M.M » nous met une claque visuelle extrêmement violente à travers un style complètement atypique dans la forme ! En effet, l’œuvre nous met une claque en 2 temps, et si elle passe par le fond, c’est tout de même avant tout par la forme esthétique somptueuse fascinante et….carrément dérangeante !! Ca n’aura échappé à personne qui le regarde, « Magica Madoka » est un pur exercice de style alternant visuellement brusquement entre 2D & 3D. Le sombre et le pessimisme ambiant permanant prennent corps dans le visuel. Visuellement, l’animé est juste une PUTAIN D’ŒUVRE D’ART AVANT GARDISTE !!!
. Le monde des Sorcières en 2D est un délire psychédélique graphique, clairement nourri à l’esthétique Fantasmagorique-Expressionniste de Tim Burton façon « L’Etrange Noël de Mr Jack » (1993), « Les Noces Funèbres » (2005), et Henry Selick, « Coraline » (2009). En gros, « Puella Magi » pourrait être synthétisé en un mélange hybride entre le côté initiatique/psychologique d’un « Voyage de Chihiro » (2001), mêlé au kawaii moe d’un « Sailor Moon », contaminé par le wtf de « Akira » de K.Otomo (1988), le côté biblique-dépressif d’un « Evangelion » d’Hideaki Anno (1995) et l’horreur d’un Satoshi Kon style « Perfect Blue » (1999), ouais, tout ça en même temps !! En gros, « Madoka », c’est comme si Tim Burton et Hideaki Anno et Satoshi Kon avaient collaborés pour faire un animé de Magical Girl. Dans le fond c’est un peu comme Godard avec le cinéma français, le mec on lui demande de faire un film conventionnel…et il ne fait jamais rien comme tout le monde XD.
. En fait, en y réfléchissant, personnellement en revoyant l’animé, j’ai tendance à voir en l’œuvre de « Madoka » une situation similaire à la situation artistique expérimentale des avant-gardes des années folles en 1910-1920. Ce n’est pas du tout anodin si le monde des sorcières 2D de « Puella Magi » a un composition très art plastique, stop motion/papier découpé, si l’on y retrouve des arrières plans composés de tableaux connus tels que « Guernica » de Pablo Picasso (1937), l’animé reprend exactement les modalités des mouvements picturaux des années folles, il les digères pour devenir un monument artistique indépendant et proclamer son avant-gardisme propre à l’époque contemporaine. Akiyuki Shinbo montre toute sa géniale polyvalence en exploitant toutes ses connaissances approfondies sur la peinture avant-gardiste du début du XXème siècle. Ainsi « Madoka » arbore des traits du Surréalisme (mouvement artistique englobant tous les Arts : peinture, musique, cinéma, photographie ect à travers un mélange des arts entre eux pour expliquer/montrer le psychisme humain, un « automatisme psychique pur »). Les peintures de Salvador Dali (1904-1989) comme « La Persistance de la mémoire » / « La montre molle », 24 x 33cm (1931), « La Girafe en feu », 35 x 27cm (1935), « L’Enfant géopolitique observant la naissance du nouveau monde », 46 x 52cm (1943) sont clairement des exemples qui ont inspirés l’hystérie de l’animé. La peinture est une seconde nature dans « P.M.M.M », une identité presque schizophrène, partageant le même corps, et qui fait oublier à l’animé tout autre objectif que d’être avant tout esthétique. Ainsi la relation que le spectateur fan de Japanimation entretien avec cet animé est pour le moins bien inhabituelle puisqu’elle est une relation esthétique ; et elle ne peut l’être que si le spectateur prend conscience de cette relation. Je ne pense pas non plus me tromper en affirmant que « Madoka » partage beaucoup de traits commun avec les peintures cubistes telles celles de Picasso ! L’animé fonctionne exactement comme les œuvres picturales cubistes qui en peintures/architecture/sculpture, avaient pour principe de déconstruire, décomposer la réalité et ses objets, de les fragmenter pour tendre vers l’abstraction et donner un nouveau regard sur le monde. En fait pour le dire autrement, Akiyuki Shinbo est « le Picasso de l’animation Japonaise » qui a fait de « Magica Madoka » un animé Cubiste qui démonte la structure habituelle du Magical Girl classique pour le mettre en volume et en montrer une tout autre facette ! En comprenant ça, on comprend en fait la vraie vocation de l’animé, il est de nature expérimentale et à partir de là, son but n’a jamais été de procurer en premier un plaisir au spectateur.
. C’est là qu’on se rend compte que cela rentre dans la philosophie de l’Art de Gilles Deleuze (1925-1995) qui disait que le but premier des œuvres d’art n’était pas de conférer un plaisir, mais de devenir des monuments indépendant.
. Eh bien…critiquer une œuvre telle que « Puella Magi Magica Madoka » n’a rien de facile, c’est même vachement difficile tant l’animé a à offrir et tant il peut faire l’objet de véritables thèses poussées. Mais au final, il y a des œuvres que l’on aime, que l’on comprend au bout de plusieurs visionnages, tels que « Blade Runner » ou « Mulholland Drive » en terme de films, eh bien « Magica Madoka » c’est pareil en animé, c’est un animé que l’on aime au bout de plusieurs visionnages et que je pense il faut revoir au moins une fois pour saisir la plupart des pistes et des nuances, je suis vraiment content d’avoir retenté car je sens que cette fois ça y est, j’ai réussi à cerner l’œuvre. Un immense doigt d’honneur au classicisme, une renaissance du genre Magical Girl, une œuvre picturale avant-gardiste très en avance sur son temps, imprégnée des peintures cubistes et surréalistes des années folles, une réécriture-transposition de la bible et de la Tentation d’Eve, « Magica Madoka » est un véritable chaos esthétique de toute beauté, d’une profondeur inouïe…une œuvre de génie, c’est tout !