Raised by Wolves
6.7
Raised by Wolves

Série Max (2020)

Avant tout, comme pour les autres critiques il est utile de préciser la famille cinématographique et à qui peut éventuellement s'adresser la série: Si vous n'aimez pas le science fiction sombre, illuminée et métaphysique, passez votre chemin. Nous sommes sur une oeuvre complexe, dérangeante et torturée, organisée autour d'une famille cinématographique très éclectique, avec en tête scénaristique Aaron Guzikowski, et une famille Scott (le pére Ridley et le fils Luke) qui ont su s'entourer, forts de leur expérience et de leur notoriété, d'une solide équipe d'écriture, de réalisation, de production (on citera entre autre David Zucker qui ne traite habituellement pas ce cinéma là) et traitement de l'image.
On est bel et bien plongé dans un univers à la Scott, très esthétique, avec un image filtrée, dans les tons grisâtres, un montage serré, une narration lente et posée, néanmoins rythmée, mais en aucun sens de ce rythme du film d'action. Il s'agit de construire un univers, d'ailleurs sans explicatifs:pas de textes pour annoncer les dates ou préparer le spectateur, seulement un indicatif de lieu. La construction de l'ambiance, de l'atmosphère est le fil directeur de la réalisation qui reste ici experte chez les Scott, sans précipitation, découpé, très soigné, au service du scénario. On notera que Ridley se trouve plutôt en terrain connu pour ce qui est des androïdes, de la science fiction, et à cette référence déjà connue de "Mother" (Alien, le huitilème passager).
Venons-en au scénario. Le film est construit comme des effets de miroir bien que ça ne soit pas exactement visible au départ, basé sur une mythologie, celle de Romulus et Remus élevés par une louve, ici transfiguré dans deux couples qui n'élèvent pas des enfants qui sont les leurs, le tout centré autour d'une autre opposition miroir, la croyance et la non croyance, sous différentes formes, jusqu'à en aboutir même à l'opposition entre la croyance et la foi, la foi et l'église. Les miroirs ne servent qu'à l'exploration cependant de nos natures humaines.
Aussi trouve-t'on de nombreux jalons, références bibliques et références mythologiques. Les personnages humains principaux se nomment Caleb et Mary, noms bibliques, et deviennent Marcus et Sue, comme pour marquer la distanciation entre cette église de la lumière et la très biblique non religion des athés dans la série. Par le truchement des androïdes on retrouve aussi une culture biblique de la non violence. De l'autre côté la religion est intransigeante, rigide, hiérarchique, et gouvernée par le mystère des écritures et du destin, comme dans le Mithraisme romain, issu de Mithridate, et probablement référencé ici. S'agit-il du poison qui s'insinuerait dans ces âmes? Ou en seraient-il immunisés? La religion et la foi sont questionnés sans cesse tout au long de la narration partie inévitable de la création.
En découlent les autres éléments dont la parenté et l'hérédité, eux aussi questionnés toujours par l'effet miroir, apparaissant tantôt comme une mission, celle d'être père ou mère, et ce qu'engendre ses devoirs, tantôt comme une suite de l'état naturel, cependant perverti par cette même nature humaine dans les deux cas. Car tout ce qui pourrait laisser envisager un manichéisme est ici criblé par l'aller retour du miroir, les athés deviennent croyants en quelque sorte, et la créature meurtrière créée par les croyants devient l'outil des athés.Tous tuent ou font du mal, et portent le masque de la croyance justifiant leurs actes, au nom de ce qui est à créer, au nom de ce qui est supposé comme vérité, la foi, l'église, la vie, l'amour, la raison, la rédemption, le devoir, l'empathie. Et chacun est confronté à son masque, mais sans pour autant y voir son propre visage, le tout très symbolisé par la confrontation de la créature à ses créateur ou du personnage à son double, avatar non désirable. Le créateur dans son essence devient le masque, et le double l'ennemi oblitérant toute réelle prise de conscience, évitant d'endosser la responsabilité des actes, peu importe au nom de quoi ils se réalisent: désirs, dieu, foi, croyance, besoin, violence, jalousie, peur., sacrifice, folie...
D'ailleurs être nommé est très symbolique dans la série. Les androïdes n'ont pas de noms ( sauf Mother) et les parents humains en changent, tandis que les enfants en portent tous les symboles: Tempest, Hunter, Campion, Paul (encore biblique, c'est le seul) Vita, nommés sans doute pour ce qu'il doivent devenir. Et la planète Kepler, symbole de l'héliocentrisme de raison, opposée à une religion dont le créateur serait Sol (si c'est pas un soleil...) accentue la tendance de la série, en références miroirs. L'arche, le vaisseau salvateur, ne sauve qu'un seul animal du naufrage, une souris, symbole de ce que nous serions pour un dieu. Symboles et questionnements sont distillés dans cet Eden cauchemardesque, représentation d'un paradis dont l'espèce humaine n'est pas l'élue et les révélations ne viendront pas d'une pomme savoureuse, mais d'une réalité toute aussi serpentine.
Toutes ces questions sur l'humanité ont une finalité. L'analyse précise de nos individualités émet ce principe que nos travers sont au service d'un seul et grand dessein, voué à la création de la vie, et de celui qui croit élever, devient en fait celui qui est élevé. Symboliquement et par cet effet miroir ceux qui sont les loups- se croyant bien autres que des loups- et croient nourrir, deviennent les nourritures d'un loup qui élève sa parenté, une inversion créateur-créature. Romulus et Rémus élevant leur propre mère pour survivre, une louve.
Malgré une certaine disparité entre les premiers épisodes et le final, due à des changements de réalisation et d'écriture, "Raised by Wolves" ne reste pas moins une oeuvre hallucinée et hallucinante si on si laisse porter, où les loups sont des loups et l'homme un homme pour l'homme, destructeur, prédateur, mais aussi peut être et surtout victime d'une nature animale profonde, vaine à expliquer, qu'il ne maitrise pas.

DjuDju3
8
Écrit par

Créée

le 18 oct. 2020

Critique lue 627 fois

6 j'aime

4 commentaires

Dju Dju

Écrit par

Critique lue 627 fois

6
4

D'autres avis sur Raised by Wolves

Raised by Wolves
AmauryMartin
8

Un peu de fraicheur dans la science-fiction

Un peu de calme et de minimalisme en science-fiction ça ne fait pas de mal...mais je sais que cette série va diviser, car elle ne resemble a aucune autre et ne va pas satisfaire les amateurs de...

le 11 sept. 2020

31 j'aime

10

Raised by Wolves
Arthur-Levain
5

Raised By Wolves (2020)

Raised by Wolves est une série de science-fiction post-apocalyptique en deux saisons, créée par Aaron Guzikowski et tournée en Afrique du Sud. Le titre de la série fait référence à une légende...

le 16 mars 2023

27 j'aime

2

Raised by Wolves
patatedestenebres
4

Bondieuseries en cascade

Alors, je comprend que l'on puisse vouloir y voir un renouveau du genre ou je ne sais quoi, l'aspect futuriste peut laisser penser qu'il va se passer des choses, voir même, y avoir une ligne de...

le 1 oct. 2020

24 j'aime

7

Du même critique

A Dangerous Method
DjuDju3
9

La méthode Cro, n'est pas sans danger....

Je me dois d'apporter mon grain de sel ou de folie (c'est approprié) après la lecture de quelques critiques sur ce film. Pour commencer, et c'est utile, A Dangerous Method ne s'écarte pas...

le 4 févr. 2021

4 j'aime

4

The Wilds
DjuDju3
8

Le Sauvage à sa place, rien d'un sauvetage....

Toutes les séries ne peuvent pas plaire à tous. Certaines valent pour leur éclairage. Il est utile d'abord de savoir que l'équipe qui a travaillé cette série est passée par de la commande au...

le 20 janv. 2021

3 j'aime

2

Phantom Thread
DjuDju3
10

Les illusions dangereuses...

Il est difficile d'entrer dans une oeuvre aussi touffue. La narration est pourtant linéaire, et temporelle. Mais les moments choisis sont si significatifs, si...

le 24 janv. 2021

3 j'aime

5