Samouraï Champloo s'avère être un pari, un pari osé, voire même culotté, mais terriblement agaçant de réussite. Watanabe, tout en respectant la plupart des codes du Shônen, empreint son oeuvre de références à la culture Hip-Hop, présentes à foison. Ce qui semble parfaitement anachronique au premier abord. Or il y a, à mon sens et dépit d'un d'une finalité certaine, un intérêt vraiment précis de la part de ce brave Shinichirô dans l'utilisation parfaitement inappropriée de cette culture, et qui n'a été que très peu traité dans les autres critiques sur le site. Mais chaque chose en son temps.
L'aspect technique est un franc succès : le générique annonce la couleur, avec ses dessins à l'aspect très traditionnel. L'animation quant à elle est de toute beauté, d'une étonnante fluidité et qui ne se complaît pas dans le cas typique d'une action-deux frames et beaucoup de traits pour mimer un mouvement. Technique ô combien appréciée de l'anime lambda. Première preuve de la générosité de la série. Les combats sont toujours bien orchestrés, intenses et j'ai personnellement vibré en sentant le tranchant des lames sortant de leur fourreau. Certains de ces combats sont même très novateurs, j'en veux pour preuve la vue en première personne (épisode 6). Quelques plans sont aussi très audacieux (cf à la fin de l'épisode 14, environ à la minute 18) et relèvent plus du cinéma que de l'anime.
Néanmoins, Samuraï Champloo ne se limite pas, et heureusement j'ai envie de dire, à la réussite visuelle. Auquel cas, ça ne serait qu'un vulgaire Shônen parmi tant d'autres. Parce que oui, Samouraï Champloo peut laisser ce goût de facilité : on reste dans de la baston bien bourrin et pour la psychologie on repassera. La fonction des personnages est parfaitement cliché : la fille naïve, le rônin errant et stoïque (Usagi Yojimbo est passé par là) et Mugen le Tengu, transcendé par la violence. Mais Watanabe est plus subtil que cela et dépasse le cadre même du Shônen. J'ai l'impression qu'il pose les bases élémentaires du genre et les dépasse avec aisance, comme pour offrir une dimension plus profonde, et ce dès l'introduction de Fuu, personnage insupportable mais qui sert de fil rouge. Ironique, n'est-ce pas ? Par ailleurs, les personnages en ont pratiquement rien à foutre les uns des autres, c'est tellement plus agréable que la niaiserie amicale (One Piece, c'est pour toi). La combinaison donc de persos absurdes avec un humour tout ce qu'il y a de plus nawak et pince-sans-rire fait vraiment mouche. Et puis forcément, il y a aussi la patte Watanabe, qui se fait plaisir avec le rythme de l'histoire et les persos. 26 épisodes, c'est bien trop court et ce salow ne le sait que trop bien. Dès qu'on arrive à s'approprier les personnages, hop ! il n'y a plus que quelques épisodes. Il ne reste plus qu'à apprécier -avec un petit pincement- les derniers moments en la compagnie de cette joyeuse brochette de guignols.
C'est alors que l'essence de Samuraï Champloo se révèle : il décrit un splendide tableau d'un Japon en fin de cycle, de l'ère Edo en bout de souffle, et de ce fait, la décadence des bretteurs. Un parallèle très fort avec Usagi Yojimbo se fait à nouveau. Il s'agit de décrire de nouveaux enjeux, plus internationaux (l'art, la religion, la guerre, et par extension la culture). D'où, à mon sens le point le plus important de la série : la présence du Hip-Hop et donc de l'influence Américaine. Par écho, le sens que je leur donne relève encore d'une mutation, celle du Japon à partir de 1945 : la présence des Yankees à laissée un trace non-nulle sur l'archipel nippon, dans leur culture et histoire contemporaine (le Base-Ball, le Hip-Hop, etc).
Or Watanabe semble être critique face à cette influence et défend plutôt l'identité de son bel archipel : la fierté et la tradition de la voie du sabre et le rejet de l'hégémonie du pays de l'Oncle Sam, dont l'exemple même reste pour moi la victoire symbolique et héroïque au Base-Ball, comme le refus d'une intrusion. De même, la thématique du voyage à travers le Japon, qui n'est pas sans rappeler l'Odyssée d'Homère, traduit pour moi, une tentative de poser les bases d'une culture japonaise, comme le fait justement l'Odyssée pour les Grecs. Le thème insulaire à l'appui, et le retour à la maison. Le tout résultant d'une défense du Made In Japan, la recherche d'une identité, d'où l'utilisation du Shônen, associé dans nos esprits au Manga et donc au Japon. Le background Hip-Hop quant à lui serait la volonté de prendre les Etats-Unis à leur propre jeu, un jeu où ils sont les maîtres, mais là où un Japonais vient les affronter et rivaliser avec eux. Un grand merci à la bande-son prodigieuse de Nujabes et Forces of Nature. Mais ce cadre sérieux et un peu formel, combiné avec le chanbara et l'absurde très palpable offre à la série un esprit ultra-décalé, rend le tout d'autant plus délectable.
EDIT : après avoir vu Cowboy Bebop, il est évident que les personnages et l'histoire de SC sont radicalement plus faibles, en comparaison. Pour autant, je trouve le background plus étoffé et l'action autrement plus jouissive. Néanmoins et ce n'est pas plus mal, cela démontre la palette et l'inventivité de Watanabe, tout en éclectisme et finesse.