Severance, c'est l'histoire des employés de Lumon, une grande entreprise qui permet aux individus y postulant de scinder totalement leurs vies professionnelles et personnelles. Cela est rendu possible grâce à une technique neurochirurgicale de pointe (la dissociation) qui efface non seulement tout souvenir du travail lorsque le salarie le quitte mais aussi tout ce qui touche à sa vie personnelle lorsqu'il y arrive. Pourquoi y recourir ? Pour fuir 8 heures par jour une réalité trop difficile à supporter, pour ne plus jamais avoir à travailler ou... pour d'autres raisons que l'on découvrira ultérieurement. Le hic ? Ce processus crée deux personnalités distinctes ne sachant rien l'une de l'autre et la personnalité professionnelle peut aisément être assimilée à un détenu, étant donné qu'elle se retrouve prisonnière d'un choix non consenti et donc privée de libre arbitre. La série s'attarde d'ailleurs longuement sur tous les dilemmes, notamment moraux et éthiques, engendrés par la dissociation et interroge sur des sujets fondamentaux comme entre autres notre relation au travail et son importance dans nos vies ou la gestion de la perte.
On entrevoit aisément les possibilités offertes par un tel synopsis si l'écriture les exploite correctement. C'est le cas. Il est passionnant de suivre en parallèle l'évolution des personnalités et opinions de Mark, le personnage principal (puis plus tard des autres), qui vont tour à tour s'opposer, se rapprocher, se rejoindre ou entrer en collision frontale. On ressent très vite de l'empathie pour lui, d'autant plus que l'on découvre Lumon et ses méthodes de travail par son entremise. L'atmosphère qui règne dans l'entreprise est fantasque, voire même fantaisiste parfois. Si cela est déroutant au départ, on finit par s'immerger dans ce quotidien à la fois bizarre et routinier et cette ambiance très particulière est incontestablement l'un des points forts de Severance.
Un autre point fort est la capacité de la série à ménager ses effets. L'intérêt qu'elle sait susciter ne fait qu'augmenter au fil des 9 épisodes et au fur et à mesure que l'on en apprend plus sur Lumon et les personnages. Contrairement à certaines productions récentes, cette première saison ne se perd pas en route, gagne progressivement en intensité et ne déçoit pas sur la fin. L'écriture est habile, sait où elle va et nous y amène de façon fluide, sans oublier de surprendre régulièrement au passage. Le dernier épisode propose notamment un climax admirable et un cliffhanger maîtrisé qui donne envie de découvrir la suite tout en n'occasionnant aucune frustration, ce qui est finalement assez peu souvent le cas ailleurs. Pas de « tout ça pour ça ? » ici donnant l'impression au téléspectateur d'avoir été floué, ni d'artifice grossier pour justifier une deuxième saison. Les choix scénaristiques faits ne sont d'ailleurs pas ceux qui auraient permis la transition la plus aisée vers la suite, ce qui traduit encore une fois l'assurance et la solidité de l'écriture.
Severance respire le soin. Que ce soit dans sa réalisation, ses décors, son esthétique, on sent que tout a été mûrement réfléchi et travaillé. Bien loin de beaucoup de productions de masse actuelles qui se contentent d'une vague musique et d'un logo, on a aussi droit à un vrai générique de qualité. Un autre petit plus qui nous confirme que l'on est en présence d'une série à part. L'interprétation est excellente et s'il serait facile de mettre en avant la prestation brillante d'Adam Scott, je préfère ne pas la distinguer des autres car c'est le casting dans son ensemble qui tire Severance vers le haut, y compris ses personnages secondaires. Une petite mention pour Tramell Tillman, mémorable dans son rôle de superviseur maniant aussi bien le fouet pour sanctionner que le gant de velours pour récompenser.
Severance est incontestablement la bonne surprise de ce premier trimestre en ce qui me concerne et même si la concurrence s'avèrera probablement rude, j'y vois déjà un sérieux prétendant à mon top 3 séries (au minimum) pour cette année.