Difficile de trouver la moindre fausse note dans cette adaptation virtuose d'un thriller de Gillian Flynn (Gone Girl, Dark Places) par Jean-Marc Vallée (Demolition, Dallas Buyers Club, Big Little Lies).
Le casting, la bande son, la direction d'acteurs, l'écriture, la cinématographie, le montage et le rythme sont irréprochables. Chose tout à fait remarquable : la tonalité naturaliste de cette mini-série est excessivement riche en nuances et (bien que les occasions pour l'écriture de tomber dans le misérabilisme, le pompiérisme ou la caricature soient très nombreuse) jamais complaisante.
Le tableau d'une Amérique rurale ici dépeint, tout comme les personnages qui l'animent, est surprenant de fidélité et de justesse. Rarement -si jamais- a-t-on vu au petit écran s'animer des personnages aussi vraisemblables, tout en étant riches et complexes.
Wind Gap n'est pas le bayou mystique et impénétrable de la Louisianne de la première saison de True Detective, ça n'est pas la campagne boisée, brumeuse et oppressante du Winden de Dark. Le caractère hermétique de la communauté ne s'exprime pas ici par une abondance de personnages taiseux, racistes et inamicaux, antagonistes à l'avancée de l'enquête.
Non, rien de tout à fait particulier ne vient alourdir l'ambiance dans laquelle baigne cette petite ville du Missouri si ce n'est le calme reposant de ses rues baignées par un soleil de plomb, et l'ennui profond qui semble étouffer sa jeunesse : malédiction du rural, ici comme ailleurs.
Et comme souvent dans les petites communautés traditionnelles, la jeunesse surcompense son ennui par des comportements particulièrement déviants et ordaliques, la vieillesse s'occupe en ragotant. Tout le monde semble un peu plus concerné par la recherche de popularité ou d'attention de ses pairs qu'à la ville : désireux de ressortir avantageusement aux yeux des autres, tout en manifestant un certain dédain vis à vis de ceux qui ont le courage de s'affranchir d'une façon ou d'une autre de l'esprit de corps.
Les jeunes mères de familles du village, conformées à un rôle traditionnel marqué par la conciliation, et l'abandon de leur assertivité par une dynamique communautaire oppressante et une trajectoire biographique tragique, expriment leur mal-être par des jugements de valeur intransigeants envers les autres, et se laissent aller à un épanchement émotionnel excessif quand le contexte (visionnage d'un téléfilm dramatique en groupe) le leur autorise.
On prend ainsi le temps de décrire cet environnement psychopathogène et les psyché déviantes qu'il produit, et pour peu que l'on aie quelques notions en psychologie, on peut déterminer facilement, en regardant Sharp Objects, qui est borderline, qui est obsessionnel, qui est histrionique, et -surtout- qui est psychopathe. Les indices ne manquent pas, le tableau psychologique est toujours cohérent, et l'étiologie ou la mise en contexte nous est toujours permise.
On peut donc, dés les premiers épisodes, déterminer qui est le serial killer qui fait l'objet de cette enquête. Pas de Deus Ex Machina, pas de facilité narrative, pas de comportements qui ne servent pas leurs personnages mais le récit, pas de retournements de situation tirés par les cheveux. Tout fait sens, et pourtant l'écriture remarquable de la série parvient à maintenir tension et suspense jusque à la fin, et à délivrer des moments de grande surprise.
On appréciera donc aussi Sharp Objects parce que c'est un thriller brillant qui donne les clés au spectateur pour le résoudre sans jamais toutefois devenir convenu et évident. Mais on l'appréciera surtout parce que, comme son héroïne, cette mini-série fait tout dans la retenue et parvient à suggérer, sans s'appesantir en y mettant les mots, toute la complexité qui intervient dans la genèse et la propagation de plusieurs formes de violence.