Shokuzai
7.5
Shokuzai

Drama WOWOW (2012)

Rien que pour "la poupée française" !

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Introduction

Cinq petites filles s’amusent sur l’aire de jeux déserte de leur école. Parmi elles, Emili a beau être nouvelle dans l’établissement, cela ne l’a pas empêchée de se faire rapidement des copines. Un homme les interpelle alors et affirme qu’il a besoin d’aide pour gérer un problème dans le gymnaste voisin. Son choix se porte sur Emili qui le suit docilement. Voyant que celle-ci tarde à revenir, Sae, Maki, Yuka et Akiko se rendent sur place et découvrent au sol le corps inanimé de leur amie. L’autopsie montrera qu’avant de la tuer, l’assassin a d’abord violé sa victime. Quelques temps plus tard, le jour de ce qui aurait dû être l’anniversaire d’Emili, Asako, en mère endeuillée, invite les fillettes à prendre le goûter. Celle-ci leur annonce alors qu’elle ne leur pardonnera jamais de ne pas avoir réussi à dresser un portrait d’un assassin toujours en liberté. A ce titre, elles devront faire pénitence jusqu’à ce qu’elles parviennent à s’acquitter de leur dette. Cette cruelle séquence, dont on peut aisément mesurer l’impact sur le psychisme de ces innocentes gamines, nous sera systématiquement remise en mémoire avant de retrouver Sae, Maki, Yuka et Akiko quinze années plus tard dans des épisodes qui leur seront indépendamment consacrés. Quatre destins tragiques inévitablement placés sous le sceau du traumatisme mais également de la malédiction. L’heure est cependant peut-être venue pour elles de se racheter auprès de l’impitoyable Asako qui, de son côté, devra se confronter à son propre passé et à ses désastreuses conséquences.


La poupée française

Sae est en proie à de forts blocages psychologiques qui se manifestent sous forme d’absence totale de cycle menstruel. De fait, elle ne se sent pas autorisée à entretenir une relation pérenne avec un homme. Elle fait néanmoins la rencontre d’un richissime héritier qui l’aime depuis le temps où tous deux étaient élèves dans la même école primaire. Comme il semble ne pas porter d’importance aux problèmes physiologiques de Sae, elle quitte son poste d’infirmière et accepte de le suivre dans son spacieux et moderne appartement. Un soir qu’il exprime le souhait qu’elle revête une robe d’une époque largement révolue, elle remarque la présence d’une poupée posée sur le lavabo de la salle de bain. La même poupée dont elle avait constaté la mystérieuse disparition concomitamment à la mort brutale d’Emili.


Que dire de ce premier épisode si ce n’est qu’il s’apparente fortement à un chef-d’oeuvre. On y retrouve tout l’art de la mise en scène qui avait valu à Kurosawa de figurer parmi les maîtres du cinéma d’épouvante à tendance horrifique dont le Japon était le porte-drapeau au début des années 2000. Ses lents mouvements de caméra ainsi que son son sens aigu du cadrage instillent ce qu’il faut d’angoisse dans un scénario qui se fait de plus en plus malaisant. Mais ces éléments perdraient sans doute de leur impact s’ils n’étaient accompagnés d’une photographique à la beauté époustouflante. Tirant habillement vers un noir et blanc sophistiqué, elle capte les ombres et les lumières de l’appartement où Sae se retrouve bientôt recluse afin d’en extraire le caractère profondément mortifère. Que la jeune femme, statiquement fantomatique, se trouve puissamment éclairée (comme on le ferait d’une pièce de musée) aux côtés de l’inexpressive poupée et il se dégage de ce tableau saisissant un onirisme morbide propre à fasciner le plus insensible des spectateurs. Filmé habilement en hors champ pour en accroître la froide violence, l’épilogue parachève superbement un premier chapitre durant lequel l’esthétique a contribué à la puissance narrative de cet extraordinaire moment de cinéma.


Rencontre extraordinaire des parents

Après un tel choc se pose forcément la question de la direction artistique qui sera dès lors attribuée aux autres volets de cette histoire. Or, que ce soit pour Maki, Yuka ou Akiko, Kurosawa usera d’une mise en forme beaucoup plus classique. Il faut dire que leur destinée se prêtent moins à l’onirisme. Ainsi, Maki a choisi la voie de l’enseignement comme moyen de porter protection aux enfants qu’elle a en charge. Ses angoisses la conduisent à adopter une posture particulièrement intransigeante voire inappropriée envers ses élèves, ce qui froisse non seulement sa direction mais également les parents. Toutefois, le jour où un homme armé fait irruption dans la piscine où elle dispense un cours de natation, elle met en fuite l’agresseur et passe soudainement de tyran à héroïne. Kurosawa filme ici les rouages d’un système éducatif où les enseignants sont constamment soumis à la vindicte populaire, peu aidés par une hiérarchie qui se laisse obséquieusement porter par le sens du vent. Quelques années plus tard, Kore-Eda dans son film « L'Innocence » fera également état de la difficulté du corps professoral à se soustraire du poids des rumeurs parfois infondées qui portent atteinte à la réputation de ses membres.

Frère et sœur ours

La destinée d’Akiko est peut-être la moins stimulante de ces histoires. Cette jeune adulte a choisi comme pénitence de se soustraire au monde en restant au maximum cloîtrée dans sa chambre. Elle se lie cependant d’amitié avec la fille de la compagne de son frère dont elle assure régulièrement la garde. Or, elle remarque que l’enfant adopte une attitude parfois craintive envers son père adoptif. Ici encore, Kurosawa fait preuve d’une grande expertise dans l’art de manier la caméra. Ses travellings sont somptueux, de ses plans fixes émane une tension permanente. Toutefois, ce troisième volet souffre d’une trame narrative trop convenue pour totalement emporter notre adhésion.


Dix mois et dix jours

La trajectoire de Yuka, en revanche, est autrement plus intrigante car contrairement à ses camarades de mauvaise fortune, elle est la seule à ne pas se comporter en victime expiatoire. De l’époque du drame, elle a gardé une affection marquée pour le grade de policier et une rancœur tenace envers une sœur malade qui attirait toute l’attention sur elle. Son sentiment de culpabilité, quant à lui, s’est mué en un cynisme que son air enjoué et insouciant laisse difficilement transparaître. Le détachement qui la caractérise, auquel s’ajoute une absence totale d’état d’âme, lui feront commettre des actes d’où n’émane aucune contrition. Avec de tels atouts dans sa manche, elle parviendra à s’extirper du piège tendu par la redoutable Asako allant même jusqu’à lui tenir tête effrontément. Ce n’est qu’une fois sa colère déchargée qu’elle semblera en mesure de trouver une forme de quiétude. Mais les dommages qu’elle aura causés sur le chemin de la paix ne s’en trouveront pas effacés pour autant. Ce « Dix mois et dix jours » constitue un changement de ton par rapport aux trois premiers épisodes qui redonne du souffle à un procédé narratif dont on commençait à sentir l’essoufflement.


Expiation

Reste désormais à Asako de se mesurer au meurtrier de sa fille. Alors que le récit s’était jusque-là attelé à dresser les portraits de jeunes femmes ayant à porter un fardeau qui leur avait été injustement légué, ce dernier chapitre prend l’allure d’un thriller psychologique dont il nous tarde de connaître la teneur. Or, après le conte horrifique, la chronique sociale et le drame, « Shokuzai » réussit là encore à nous gratifier d’un final tout en tension dans un genre qu’il n’avait jusque-là pas exploité. L’intrigue dans sa globalité se déroule sous nos yeux, dévoilant ses derniers mystères dans un final, certes conventionnel, mais que beaucoup de séries policières se seraient fait un plaisir de s’approprier. Il est vrai qu’après le premier chapitre, on se prenait à rêver d’une œuvre en tous points exceptionnelle. Il n’en reste pas moins que si elle piétine parfois, « Shokuzai » a su maintenir notre intérêt en nous narrant des histoires indépendantes qui finissent par former un ensemble d’une grande cohérence et dont on peut louer la qualité de réalisation souvent époustouflante.

vosarno
8
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il y a 5 jours

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