Silex and the City
6.5
Silex and the City

Dessin animé (cartoons) Arte (2012)

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Non. Ceci n’est ni de la satire, ni de l’humour.

Ça m’arrive de temps en temps : parfois je vérifie sur le service public ce qu’on fait de l’argent de la communauté.
On était en février 2021, sur Arte, et je me suis retrouvé par accident face à un épisode de cette série ; épisode de trois minutes qui ne cessait de me dire qu’il fallait être Charlie.
J’ai compris alors que j’étais sûrement tombé sur une rediffusion et que j’observais avec du recul un programme qui, en 2015, en avait manifestement manqué de ce fameux recul.
…Et étonnamment ça m’a fait gamberger.


Pendant un mois j’ai mûri une réflexion.
D’un côté je me disais qu’on ne pouvait en vouloir à toutes ces œuvres et personnes qui avaient à l’époque réagi dans l’émotion, mais d’un autre côté je ne pouvais m’empêcher de me demander ce que pouvait bien valoir une série dont l’identité semblait manifestement être la dérision et la satire et qui perdait son latin sitôt l’actualité l’asticotait un peu.
Il a fallu que je tire tout ça au clair.
Aussi bien en tant que curieux, qu’amoureux de la satire – mais également en tant que citoyen soucieux de voir comment on dépense nos impôts – j’ai voulu explorer par moi-même cette « Silex and the city ».


En toute logique, j’ai commencé par la saison 1, diffusée pour la première fois en 2012.
Quarante épisodes de trois minutes chacun…
…Et pourtant quarante épisodes qui se sont avérés bien longs.
Ça a été d’ailleurs mon premier constat et ma première surprise : l’ennui.
A dire vrai plus j’enchainais les épisodes et plus j’ai commencé à m’interroger sur la démarche de cette shortcom.
Comme je le disais plus haut, l’intention satirique semblait manifeste. Mais malgré ça j’ai eu du mal à voir l’humour.


Pourtant le cadre est vite posé et clairement identifiable.
Chaque épisode met en scène une famille lambda, dans des situations d’actualité, mais toujours derrière le prisme d’une société préhistorique à la façon des « Pierrafeu ».
Les parents sont des profs en ZEP qui ne cessent de se plaindre de la débilité de leurs élèves (…la femme décrivant elle-même son propre travail comme du « repêchage des cas sociaux de la vallée », épisode 3).
Le fils est une caricature de militant altermondialiste tandis que la fille est elle-même une caricature de fashion victim.
De temps en temps on envoie une petite pique au monde de la finance en disant qu’ils sont bêtes et cruels. De temps en temps on envoie aussi une petite pique à la grande entreprise privée du coin qui maltraite ses ouvriers mais qui le cache derrière une politique de communication aseptisée…
…Et puis ici ou là on va se moquer de l’art contemporain ou des femmes voilées ; des politiques démagogues qui prônent la sortie de l’Euro ou bien encore des musulmans qui refusent qu’on caricature le prophète…
Tous les sujets semblent y passer et l’auteur Jul (pas celui auquel vous pensez sûrement) n’a pas l’air d’avoir peur de se moquer de tout et de tout le monde… Et tant mieux car c’est le propre de la satire.
…Mais d’un autre côté, à bien y regarder, il s’agit bien là d’un faux-semblant et c’est bien là tout le problème.


Non, « Silex and the City » ne se moque pas de tout et de tout le monde.
…Et dans les faits on pourrait même se demander si, quand elle se moque, « Silex and the City » reste bien dans le domaine de l’humour.
Car se moquer et faire de l’humour ce ne sont pas deux domaines qui se recoupent automatiquement.
D’un côté moquer c’est railler, tourner en ridicule, voire mépriser. Tandis que faire de l’humour c’est une démarche qui cherche à relever le caractère comique, insolite, ridicule ou absurde d’une situation afin de la désamorcer d’un rire libérateur.
On peut faire de l’humour en moquant. Mais ce n’est pas parce qu’on moque qu’on fait forcément de l’humour.


Et moi c’est justement toute la question que je pose : est-ce « Silex and the City » fait de l’humour quand les profs confondent toujours Mouloud avec Mourad ou bien quand le cours est interrompu par un cannibale qui vient de manger un élève et qui se défend en déclamant avec un accent arabe : « eh mais madame, c’est ma culture ! » (toujours ce fameux épisode 3.)
Est-ce que cette série fait de l’humour quand elle dit que Jérôme Kerviel est sûrement le chaînon manquant de l’humanité tellement il est bête ?
Et enfin est-ce qu’elle en fait toujours, de l’humour, quand elle fait expliquer à ses profs que les élèves devraient s’orienter vers la chasse et la cueillette plutôt que de laisser ces emplois occupés par des « trappeurs polonais » ?


Moi je ne vois aucun humour dans cette série. Je ne vois que de la moquerie.
…Et encore de la moquerie que je trouve clairement inopérante sur des gens comme moi.
Par exemple, quand dans l’épisode 13 Blog visite une expo d’art contemporain, il finit par se plaindre qu’une stalactite ait été laissée en plein milieu de la grotte. Seulement voilà, un Karl Lagerfeld préhistorique intervient alors et lui rétorque immédiatement qu’il se plaint d’une œuvre remarquablement conçue par un artiste visionnaire !
Quand je vois ça, forcément je m’interroge : en quoi cette caricature révèle un quelconque caractère insolite et absurde ?
Qui est étranger à cette caricature faite de l’art contemporain ?
En quoi cette scène expose-t-elle autre chose qu’une représentation déjà ancrée dans les esprits ? (…sans qu’elle soit forcément acceptée, entendons-nous bien…)
Sur ce point je pense qu’on sera tous d’accord : personne n’a été pris au dépourvu par cette blague.
Pas plus qu’il n’a été pris au dépourvu par l’intégralité des blagues qui composent cette série.
Jamais « Silex and the City » ne va plus loin que les images d’Epinal déjà inscrites dans l’inconscient collectif.
…Jamais.


Pourtant, pour qu’il y ait humour, il faut qu’il y ait rupture. Il faut qu’il y ait surprise.
C’est la base même de l’humour.
Il faut qu’à un moment le geste comique nous déstabilise et établisse une connexion qui nous prenne à contrepied. C’est le fait de trouver du sens dans une situation absurde ou de l’absurdité dans une situation qui est censée avoir du sens qui créé le décalage comique et génère ensuite la dédramatisation.
Mais jamais donc « Silex and the City » ne se risque à faire ça.
Toute moquerie présente dans cette série collera toujours aux stéréotypes déjà installés.
On ne cherche pas à créer de rupture ni de surprise, au contraire.
On cherche à se conformer. On cherche à confirmer.
En d’autres mots, ce que « Silex and the City » pense être de l’humour n’en est en fait pas.
Et si certains trouvent ça drôle c’est juste parce qu’ils sont sensibles à ce qui reste rien de plus que de la moquerie…
Et – attention – pas n’importe quel type de moquerie !
…De la moquerie de droite.


Et avant qu’on poursuive davantage il me semble indispensable qu’on se mette tout de suite d’accord sur ce que j’entends par « moquerie de droite ».
Je n’entends pas ici utiliser ce qualificatif dans un but méprisant et disqualifiant.
C’est juste un fait : sitôt cherche-t-on à entretenir les choses déjà installées ; confirmer la légitimité du déjà-existant et ne surtout rien bousculer dans l’ordre établi qu’on est dans une démarche socialement et culturellement « conservatrice ».
…De droite, donc.


Est-ce un problème ?
Eh bah quand on est de droite : pas du tout !
Eh moi ça me va très bien si des gens de droite rigolent à gorge déployée face aux moqueries alignées par « Silex and the City » !
Car s’il est vrai que le rire repose essentiellement sur le soulagement d’une tension, ça ne veut pas forcément dire que ce soulagement est nécessairement lié à une dédramatisation propre à la démarche humoristique.
On peut très bien se poiler un bon coup parce qu’enfin une émission nous rappelle à quel point on a raison de penser ce qu’on pense !
Avec tous ces gens qui remettent toujours tout en cause, ça fait du bien qu’une série comme « Silex and the City » rappelle ce qu’on prend comme des évidences !


Ainsi, quand on est de droite, on pourra se marrer de ces kassos de ZEP qui ne sont dans la dêche que parce que ce sont de gros branleurs et de gros teubés !
C’est bien connu ! Du boulot il y en a ! Si on a recours à des Polonais c’est uniquement parce que les kassos sont trop fainéants pour traverser la rue et chercher du travail !
Et puis ces écolos ! Ils ont beau être mignons, mais c’est quand même des gens idéalistes totalement déconnectés de la réalité ! Heureusement qu’on ne les écoute pas sinon on serait déjà de retour… à l’âge de pierre ! Ho ! Ho ! Ho !
Et puis pour ce qui est des musulmans, on veut bien être tolérants mais il faut quand même avouer qu’ils sont chiants avec leur rigorisme et leurs voiles là !
Et cette série a bien raison de dire qu’à « les laisser s’enfermer dans une identité préhistorique ce n’est pas un service à leur rendre pour quand ils seront dans la vie professionnelle ! » (Episode 7)


Le pire, c’est que l'auteur de cette série est tellement ancré dans un conservatisme culturel qu'il ne se rend même pas compte des symboles qu’il utilise.
Jul a-t-il notamment remarqué que tous les personnages qui parlaient avec des accents créoles, chinois ou d’Afrique noire étaient tous représentés sous forme de singes ?
De même, dans l’épisode 12, quand Blog se lance dans une campagne politique, Jul a-t-il réfléchi aux symboliques que le spectateur pouvait transposer dans cette phrase : « Avec un grand singe à coté de toi, ça ferait liste d’ouverture » ?
Dans l’épisode 37, Jul se rend-il compte du raccourci qu’il opère quand il ose faire dire à un de ses personnages que si les téléphones d’aujourd’hui sont pourris c’est parce qu’ils sont tous fabriqués par l’homme de Pékin ?


Et qu’on s’entende bien : ce n'est pas l’identité de ceux qu’on moque qui me dérange là-dedans mais vraiment comment on les moque.
OK pour qu’on se foute de la gueule des écolos, des femmes voilées, des riches, des pauvres, des kassos, des profs, des Antillais ou des Arabes… Mais qu’au moins on sache le faire dans une démarche d’enrichissement du regard ! …De mobilisation de nouvelles codifications culturelles qui n’ont pas encore été phagocytées par la satire préexistante !
Qu’on fasse des liens qui bousculent nos représentations ! Qui surprennent les esprits !
Parce que là, on est tellement dans une démarche conservatrice et protectrice des représentations qu’à certains moments on n’est même plus dans l’humour ou la moquerie. On est juste dans la morale !
Quand les petits-enfants vont voir leur grand-mère juive et passent un bon moment en famille sur fond de musique tire-larmes, on n’est ni dans la satire ni dans la moquerie. On est dans la morale !
Même quand les petits-enfants surprennent leurs grands-parents aller à une soirée échangiste, la série n’arrive même pas à être dans l’humour ! Elle reste dans la morale ! On ne joue pas du décalage : on se retrouve avec une leçon faite aux gamins pour leur expliquer qu’il faut savoir profiter de la vie ; qu’il n’y a rien de sale là-dedans, etc.
Rah non mais pitié !


Personnellement la saison 1 m’a suffi.
Inutile que je creuse davantage la question. Après tout le fameux épisode « Charlie » par lequel j’ai découvert cette série a été produit trois ans après cette première saison et il semble témoigner à lui tout seul d’une réelle continuité dans la moraline et le conservatisme.
Et puis à quoi bon continuer puisque, de toute façon, j’ai désormais la réponse à ma question !
Car oui, après cette seule saison je sais à présent pourquoi cette série qui se prétend pourtant satirique se révèle incapable de recul et de satire lorsque l’actualité la titille !
Et la réponse est simple en fait…
« Silex and the City » est incapable de recul et de satire lors des moments délicats parce que même en temps normal « Silex and the City » est incapable de ça !
Au-delà même d’une absence de capacité, il s’agit surtout d’une absence de volonté !
« Silex and the City », dès le premier épisode, a toujours été une série moralisante et moqueuse visant à rassurer et détendre les esprits droitards. Rien de plus !
C’est une série inoffensive pour l’ordre en place.
…Une série conservatrice du début jusqu’à la fin.
Pas étonnant d’ailleurs que les personnalités du monde politique et médiatique n’aient pas rechigné à participer aux doublages de cette série…
Dire cela, au fond, c’est tout dire.


Alors soit. Pourquoi pas.
Après tout ils sont nombreux les citoyens et les citoyennes qui se complaisent dans le conservatisme. Et parce qu’il en faut pour tout le monde, alors pourquoi ne pas laisser les services publics financer des séries de droite ?
Certes…
Seulement on pourrait aussi se poser la question autrement…
N’est-ce pas parce que nos services publics consacrent beaucoup de moyens au profit d’émissions conservatrices qu’un grand nombre de citoyens et de citoyennes finissent aujourd’hui par se complaire dedans ?
Car en fin de compte, si cette série n’était pas financée et diffusée par des chaines publiques j’avoue que je ne m’interrogerais sûrement pas sur son cas.
Canal+ peut diffuser du Hanouna pleine balle et M6 faire de même avec Eric Zemmour ou les « Marseillais » que j’aurais presque envie de considérer ça comme normal.
Mais sur des chaines publiques, avec l’argent de la communauté, j’avoue que c’est le genre de trucs qui me chiffonnent.
N’y-a-t-il pas un souci à financer les romans nationaux monarchistes de Stéphane Bern ? (…et d’inviter son copain non moins monarchiste Franck Ferrand au tour de France ?)
Ne pourrait-on pas dépenser l’argent public autrement qu’à remplir les poches de Ruquier et de Nagui pour que l’un invite ses copains faire leur promo et l’autre nous fasse chanter des chansons qu’on connait déjà tous par cœur ?
Le cœur du service public est-il vraiment de divertir les masses tout en entretenant l’ordre en place ?
En d’autres mots, la place de « Silex and the city » n’était-elle pas davantage sur M6, aux côtés de cette ainée dont elle parodie le nom, plutôt que sur des chaînes qui sont censées nous informer en toute objectivité ?


Car s’il me prenait l’envie de faire de la satire j’aurais tendance à dire que ce « Silex and the City » – bien loin d’être une série élevant les esprits – serait davantage proche d’un gonzo pour droitard hollandiste que d’une véritable pastille d’humour.
Tous les jours le service public propose sa petite pastille de trois minutes pour que l’esprit conservateur puisse se soulager ; prendre son pied en assistant à un simple spectacle le confortant dans ses préjugés et ses valeurs.
Et si la comparaison que je viens de faire vous dérange, j’aurais tendance à vous inviter à respirer un bon coup et à prendre du recul.
Prenez conscience comment moi – avec ma remarque – je n’assimile personne à des primates ou à des cannibales. Prenez conscience comment moi je ne traite personne de chainon manquant ou de cas social.
Non. En opérant ma comparaison, je me suis juste contenté de dire que cette série n’était rien de plus que du pignolage pour esprits conservateurs.
Et je ne sais pas chez vous mais chez moi, le pignolage, ça n’a vraiment rien de méchant.
Alors qu’on se détende un peu du slip.
Dédramatisons.
Parce qu’après tout, un peu d’humour – du vrai – ça n'a jamais fait de mal à personne… ;-)

Créée

le 30 mars 2021

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