Nous sommes des créatures de biais. Lorsque l'on me dit que Shingo Natsume réalise un anime, je regarde. Et quand j'apprends qu'il sort un projet très personnel, Sonny Boy (2021), je me sens prêt à défendre bec et ongles la création du maître.
Mais après avoir l'avoir regardé, l'effort dithyrambique devient compliqué face à la nébuleusité de l'oeuvre, qui se veut résolument surréaliste.
L'histoire sonne pourtant relativement simple. Dans cette série de 12 épisodes, nous suivons les élèves d'une même école qui se retrouvent transportés dans une autre dimension, peuplée de mondes étranges avec leurs propres règles régissant une réalité toujours changeante, parfois influencée par certains adolescents qui se voient dotés de pouvoirs surnaturels. Isolés et livrés à eux-mêmes, nous poursuivons avec eux une quête fragmentée ; pour survivre, et trouver la volonté de vivre.
S'il me semble incontestable que Sonny Boy est une oeuvre riche qui a beaucoup à dire, il peut aussi laisser l'impression de ne pas raconter grand chose tant sa narration semble diffuse et tant ses mondes, fascinants soient-ils, se laissent difficilement cerner. Bien que cette série soit spéciale dans le bon sens du terme, sa première partie m'a aussi trop souvent confus quant à ses intentions.
Sonny Boy incarne bien des thèmes, qui convergent dans le but singulier de l'exploration humaine. L'un des aspects principaux de l'oeuvre est la dynamique entre groupes. En effet, les élèves déracinés de leur environnement se divisent en différentes cliques qui vont tirer les individus dans des directions opposées : chaos et ordre, discipline ou libre pensée, résignation contre l'espoir.
Outre les relations conflictuelles entre ces factions, qui ne sont pas sans rappeler le récit de 'Sa Majesté des mouches', Sonny Boy aborde aussi de manière plus individualisée la crise existentielle de nombreux personnages. Entre frustration, réclusion, anxiété, approche de la mort, ennui... une galerie d'émotions saisit les épisodes, parfois dans une grâce sublime, et montre avec plus de tangibilité le parcours d'adolescents ordinaires, qui dans cette extra-dimension gagnent une nouvelle perspective face à leur monde réel. C'est particulièrement le cas du protagoniste principal, Nagara, un garçon timide, solitaire, peu talentueux et pessimiste qui incarne l'antithèse du 'sonny boy', expression fort usitée au Japon durant les glorieuses décennies des booms économiques pour désigner les jeunes actifs dynamiques et plein d'avenir de ces générations.
C'est en tout cas là où mes reflexions m'ont amenés pour cette série mais nul doute que chaque spectateur l'appréhendera de manière différente. C'est ça qui est bon avec Sonny Boy, car rares sont les animes qui peuvent s'interpréter de différentes manières. En ce sens, le caractère sibyllin de l'oeuvre ne devient-il pas un avantage ?
Si ma réponse s'avère nuancée concernant la narration, mon opinion envers ses visuels s'avère bien moins équivoque. La direction surréaliste de Sonny Boy lui donne un look régulièrement unique et on peut dire que l'équipe de Shingo Natsume s'est déchaînée pour cette production. Elle arrive à matérialiser le bizarre pour un résultat expérimental, éthéré, et souvent de toute beauté. L'année 2021 est remplie de séries aux visuels exceptionnels et pourtant Sonny Boy se démarque comme une exception fascinante.
Outre l'aspect graphique poussé de l'oeuvre, j'ai naturellement apprécié la réalisation de Natsume Shingo, dont le sens du rythme et du style continuent de convenir à mes goûts. C'est dans la direction musicale qu'il dévie peut-être le plus de ses autres productions. Aidé par Shinichiro Watanabe (Cowboy Bepop, Zankyou no Terror), reconverti en producteur musical, il laisse la place à beaucoup de silence dans cette oeuvre, et se concentre sur les scènes les plus marquantes en leur accolant morceaux ainsi que chansons venant de groupes variés. Si la conclusion de Sonny Boy s'en trouve particulièrement magnifiée, la plupart des épisodes ne bénéficient pas vraiment de cette approche.
En bref, Sonny Boy est une série comme on en voit peu, une série qui a de l'ambition et qui ose. Malgré des faiblesses apparentes et une nature peu accessible, je retiens surtout d'elle une vraie passion que je ne suis pas prêt d'oublier.