Star Trek. A ne pas confondre avec Star Wars, même si des hérétiques diront que c’est la même chose. Le grand public connait surtout la série originale (TOS), avec Kirk et le vulcain aux grandes oreilles, et bien sûr les récents films modernes. Grosses productions obligent, les films misent principalement sur le grand spectacle et les effets spéciaux, reléguant la réflexion dans des orbites lointaines, alors qu’elle était généralement mise en avant dans les séries. La dernière en date s’était d’ailleurs arrêtée il y a plus de 10 ans avec Enterprise.
Relancer la production au format télévisuelle avait donc de quoi susciter beaucoup d’attentes. C’était l’espoir de voir une version moderne renouer avec la profondeur, la réflexion et le développement des personnages qui ont fait la renommée de la franchise. D’autant que la série allait se dérouler dans la même continuité temporelle que les œuvres originelles, et non la réécriture effectuée par les films. Baptisé « Star Trek Discovery », la série est en plus produit/crée par Bryan Fuller (Hannibal), un nom porteur de renom. Toutefois, la décision avait été de situer l’histoire 10 ans avant les aventures de Spock, un choix qui avait de quoi rendre dubitatif concernant l’intérêt de cette période (la période antérieure ayant déjà été traitée par « Enterprise »). Mais un choix qui peut s’expliquer par la volonté d’attirer de nouveaux spectateurs : situer l’action après Deep Space 9 (DS9), aurait certes plu aux fans de l’époque, mais aurait risqué de faire fuir de nouveaux adeptes en raison d’une mythologie déjà bien fournie.
Reste que lancer une série moderne qui s’avère être une préquelle pose un certain nombre de contraintes, comme l’ont déjà vécu plusieurs franchises, à commencer par adapter le design de l’époque avec les normes actuelles. La série originelle des années 60 cumulait un manque de moyen avec des effets spéciaux naturellement moins avancés, le rendu ne peut donc pas être le même aujourd’hui. Et si certaines technologies paraissaient innovantes à cette époque, tels les appareils de communication évoquant des téléphones portables, elles paraitraient totalement dépassées de nos jours ! Ensuite Star trek n’est ni « Battlestar Galactica » ni « the expanse », références du space opera actuelles, qui se distinguent par des design sombres et réalistes, là ou Star Trek propose des décors lisses et propres.
Enfin, le risque d’une préquelle est de produire des incohérences, d’introduire des éléments qui n’ont jamais été mentionnés dans l’histoire originale (un des reproches souvent fait à Enterprise).
Raconter une histoire qui se passe avant, c’est ajouter des détails qui n’avaient pas été forcément pensés à l’origine, rendant leur intégration parfois compliquée, surtout si l’histoire se développe sur la longueur. Ce qui explique ainsi que Gotham ait fini par créer sa propre mythologie de Batman bien différente des versions que nous ayons pu connaître.
Et malheureusement, « discovery » n’échappera pas aux pièges des incohérences. Si on peut accepter certains changements de design pour respecter les normes actuelles, il est regrettable que la chronologie des technologies n’ait pas été plus respectée : le vaisseau possède en effet des technologies qui n’étaient pas censées exister à l’époque de Kirk, telle les ascenseurs automatiques ou l’holodeck.
Des erreurs qui sont apparus tels des supernovae aux fans les plus hardcore, à l’affût des moindres anomalies et équipé d’un esprit acéré tel des télescopes de pointe, et dont beaucoup ne sont d’ailleurs pas tendres avec cette nouvelle version.
Une réaction qui peut s’expliquer par le fait que jusqu’à présent, une des grandes qualités de l’univers Star Trek avait été de préserver sa cohérence à travers toutes ces déclinaisons. Même la dernière, « Enterprise », malgré les premières critiques initiales, avait pu justifier ses choix et apporter des éclaircissements sur certains points encore non résolus, en faisant des liens entre diverses époques par exemple, renforçant au final la cohérence de l’ensemble sans la déstabiliser. Ici, il est difficile de trouver des justifications, et l’explication qu’il s’agit d’un vaisseau de classe supérieur à l’Enterprise commandé par Kirk est peu convaincante.
Personnellement, je ne m’y connais pas assez pour entrer dans le détail, et n’étant pas du genre pointilleux, je ne trouve pas les incohérences trop flagrantes pour que cela me gâche le plaisir (cela n’est pas le cas pour toutes les séries…).
Il faut dire que or « Enterprise » (que je n’ai pas encore visionné), les séries Star trek ne sont pas spécialement riches en révélations sur le passé des différentes races, hormis quelques détails sur le lointain passé violent des Vulcains, la légende de Khaless ou la séparation entre Romuliens et Vulcains. Je ne me souviens pas ainsi qu’il ait déjà fait mention des 24 maisons Klingons, qui étaient autrefois séparées avant d’être réunis sous un nouvel élu. Faut-il alors y voir une erreur, un ajout maladroit des scénaristes à la mythologie déjà existante ? Je ne saurais dire.
Oublions donc un moment la question de la cohérence pour évoquer les autres aspects de la série.
Dans le pilote, Starfleet est confronté à la menace Klingon, race guerrière dont les humains n’avaient plus été en contact depuis des décennies. Une race dont la nature belliqueuse s’accommode mal aux idéaux pacifiques de Starfleet. Michael Burnham (Sonequa Martin-Green, qui n’a pas survécu aux zombies de walking dead), humaine ayant grandi dans un milieu Vulcain, comprend alors que leur stratégie habituelle est inadaptée, mais se heurte aux réticences de ses semblables. Elle opte pour des mesures extrêmes et se retrouve alors sous le coup de la justice. Elle est malgré tout recrutée par le capitaine Lorca, commandant aux méthodes peu orthodoxes, plus à même d’évoluer en temps de guerre qu’en période de paix. S’il lui permet d’éviter la prison et s’avère un atout de poids dans la guerre contre les Klingons, sa boussole morale n’incite pas pour autant à lui faire confiance. Un personnage ambigu et possédant un charisme certain.
Burnham fait irrémédiablement penser au fameux Spock, avec qui elle partage plus que la simple opposition raison-émotions. Sorte de version inversée, elle tente de maîtriser au mieux ses émotions humaines pour raisonner de manière logique. En conséquence, elle adopte une conduite plutôt froide, à l’image des Vulcains. Ce qui ne lui permet malheureusement pas de montrer une grande palette d’émotions, mais ce qui se justifie pleinement pour le rôle, sans remettre en question ses talents d’actrice. Le personnage, dont le passé se dévoile peu à peu, s’avère plutôt intéressant, même si elle suscite une certaine indifférence.
Plusieurs personnages secondaires arpentent également les couloirs du vaisseau, dont une nouvelle espèce alien, capable de ressentir un danger qui approche tel un sixième sens, ainsi que le premier couple homo de Star trek. Avouons-le, ils ne parviennent pas pour le moment à rivaliser avec les précédents équipages, mais ils n’ont pas encore montré tout leur potentiel.
Le capitaine Lorca et Burnham occupent les têtes d’affiche, au détriment d’un équipage encore trop en arrière-plan, évoquant une structure plus proche de la série originelle avec Kirk, Spock et le docteur Mckoy (mais sans personnages secondaires véritablement charismatiques…).
Les thèmes abordés, l’opposition guerre et paix, et la place des principes moraux en période de conflits, la rapprochent clairement de « Deep Space nine » et de son côté plus sombre mais plus réaliste, plutôt que sur l’idéologie pacifique des premières séries. Où la bien-pensance de Starfleet apparaît comme un frein l’empêchant de comprendre le fonctionnement d’autres races n’ayant pas le même mode de pensée.
Époque moderne oblige, les effets spéciaux sont très soignés et le budget confortable est visible. Un aspect agréable pour les yeux, mais il en ressort un certain côté froid. Ce qui ajouté au comportement renfermé du personnage principal n’arrange rien….
« Discovery » n’a clairement pas opté pour l’exploration qui faisait la poussière stellaire des précédentes séries, un choix plutôt bienvenu pour éviter de répéter ce qui avait déjà été fait à de multiples reprises. Dans sa première partie, certains épisodes -de qualités inégales- sont pourtant plutôt indépendants, apportant que peu d’éléments à l’intrigue principale ou au développement des personnages. Le rythme de l’ensemble s’en ressent alors.
La nouvelle technologie introduite, les déplacements instantanés avec un réseau de champignons cosmiques, est complètement nouvelle. Il serait logique que cette technologie n’ait qu’un avenir limité puisqu’elle n’a jamais été utilisée par la suite. Il est curieux dès lors de concentrer l’essentiel de l’intrigue sur le développement d’un élément qui n’est pas censé avoir un grand avenir devant lui. D’autant que l’idée peut paraître un peu ridicule, même si Star trek ne se caractérise pas par sa crédibilité scientifique.
J’avoue que pour ma part, à cause de ces raisons, et en dépit des idées intéressantes évoquées, ne pas avoir réellement senti de désir à attendre l’épisode suivant…
Des incohérences injustifiées, des personnages intéressants mais pouvant manquer de charisme, un concept technologique curieux, un rythme un peu poussif, on comprend que la première partie de saison n’ait pas plus à tout le monde. Mais c’était sans compter que « Discovery » n’avait pas encore montré toute sa surface.
En effet dans sa deuxième partie, la série délaisse un moment le conflit avec les Klingons pour aborder un élément cher à la franchise : l’univers miroir. Introduit dans la série originelle, intrigue de plusieurs épisodes dans « Deep space nine », l’univers miroir est une dimension parallèle dans laquelle Starfleet est tout le contraire d’une association de races bienveillantes, mais une dictature militaire féroce mené par les humains qui s’imposent par la force sur les autres races. Le comportement, et surtout les orientations morales de leurs doubles sont donc totalement différentes, et souvent complétement à l’opposé.
Cette fois, pas d’épisodes indépendants même une intrigue qui court sur toute cette partie. Un rythme soutenu aux enjeux élevés, particulièrement appréciable après les errances des débuts du voyage. Mais ce n’est pas là le point principal.
« Discovery » allait déboucher sur plusieurs retournements de situation, dont une révélation surprenante et complétement inattendue, qui allait bouleverser tout ce que l’on croyait savoir, et bouleverser à jamais les personnages principaux. Un retournement qui a été soigneusement pensé depuis le début, les scénaristes ayant pris le soin de bien ménager ses effets.
La saison conclut (définitivement ?) la guerre avec les Klingons, et s’apprête à commencer une nouvelle intrigue.
Saison inégale dans ses parties, contenant tout autant de roches friables que de riches filons, « Discovery » est difficile à juger. Tout autant difficile il est d’anticiper son évolution future. A l’instar de « Enterprise », saura-t-elle apporter une cohérence nouvelle, ou confirmera-t-elle un choix volontaire de s’adapter librement à la mythologie existante ? Le fait qu’elle se rapproche d’un élément central de la série originelle, peut être à la fois être interprétée comme une obligation à respecter d’avantage la cohérence, ou un risque de créer de nouvelles anomalies. Dans toutes les séries dérivées, les premières saisons sont réputées pour ne pas être les meilleures, Discovery suivra-t-elle la même voie ?
Réponse dans la prochaine étape du voyage.