Steven Universe, ou le militantisme avec des paillettes

Enfin ! Depuis le 17 décembre, Steven Universe est de retour sur Cartoon Network, avec de nouveaux épisodes chez les Diamants. L'occasion de se pencher sur cette formidable série.

Steven Universe est une série américaine de Rebecca Sugar ; Steven, un jeune garçon élevé par des gemmes, créatures guerrières extraterrestres, et son père humain, est le fils d'une gemme rebelle qui défendait la terre contre sa propre espèce et a donné sa vie pour le faire naître. Ce sont ses trois compagnes rebelles qui s'occupent désormais de Steven.

Le succès de la série

Un cartoon militant

Steven Universe est avant tout reconnu en tant que cartoon militant. Il est d'ailleurs le premier cartoon de la chaîne dirigé par une femme. Il s'agit d'un dessin animé féministe, mettant en avant le rôle des gemmes, qui ont le plus souvent une apparence féminine, bien qu'elles n'aient pas de sexe défini (leur reproduction passe par l'extraction de minerai). La meilleure amie de Steven, Connie, incarne également un personnage féminin fort : bien que n'ayant pas de pouvoirs magiques au même titre que Steven et les gemmes, elle travaille dur et s'entraîne pour les accompagner dans leurs aventures et revêt bien souvent un caractère plus héroïque que le personnage principal. Enfin, si Steven est avant tout un garçon positif et plein de gentillesse, il sort de ses gonds lorsqu'on agit mal envers les femmes, ce qui est montré avec le seul personnage à l'égard duquel Steven est vraiment vindicatif, un play-boy nommé Kevin.

Outre son féminisme, Steven Universe est LGBT-friendly : par le biais de l'allure féminine des gemmes, leurs couples - représentés par leur capacité à fusionner, aussi par alliance, mais le plus souvent par amour - symbolisent ainsi les couples homosexuels. Si le ton n'est absolument pas militant, puisque dans la petite ville de Beach City où vit ce beau monde, l'ensemble de la population est bienveillante à l'égard des gemmes (sauf lorsqu'elles détruisent la moitié de la ville en essayant de la protéger d'une attaquer de monstres, bien entendu), la revendication se fait face au monde des gemmes, où tout ne doit être qu'utilité : la fusion n'est pas vue comme un acte d'amour, mais comme un atout stratégique, et seule les fusions entre gemmes de la même catégorie sont acceptées à des fins de combat (rubis et rubis, topaze et topaze, etc...). Enfin, ce militantisme bienveillant se retrouve avec le personnage de Stevonnie, fusion de Steven et de sa meilleure amie Connie, qui n'a donc pas de sexe défini et est défini(e) par le pronom inclusif iel.

On notera enfin que les apparences physiques des personnages sont extrêmement variées : Steven et Améthyste aux jolies poignées d'amour, Grenat, grande et toute en forme, Perle, au physique longiligne de danseuse classique, Ruby, petite et carrée, Saphir, délicate et frêle ; les couleurs de peau des personnages sont plus que diverses, et les origines ethniques sont représentées sans jamais pour autant être la cible de quelconque réflexions.

Des chansons originales

Une grande part du succès de Steven Universe tient à sa musique, et particulièrement à ses chansons. Le show prend régulièrement des allures de comédie musicales : rien d'étonnant lorsqu'on sait que Rebecca Sugar s'occupait en parallèle des chansons d'Adventure Time.

Les chansons reçoivent une influence manifeste donc des comédies musicales de Broadway, mais le style musical reçoit en parallèle une autre majeure influence. Certains musiciens travaillant pour la série sont en effet issu de la chiptune, un genre musical mettant en avant des sonorités électroniques synthétisées qui rappelle les premières musiques de jeux vidéo -on peut notamment penser au célèbre thème de Mario.

Enfin, les chansons sont utilisées efficacement dans des épisodes au format pourtant bien court (un épisode dure dix minutes). Elles ont un but toujours clair et manifeste, et ne donnent jamais une impression de remplissage : présentation de personnages (Stronger than You), ellipses (Be Wherever you are), réfléxion (It's Over) ...

La richesse scénaristique

Enfin, un autre atout considérable de la série repose dans la construction millimétrée de son scénario : les retournements de situations sont nombreux et ne tiennent jamais du parachutage, grâce au foreshadowing habilement utilisé ; l'intrigue est construite sur le mystère qui entoure la mère de Steven, Rose Quartz, et ses actions passées en tant que gemme rebelle. Si ce sujet peut sembler appeler à du manichéisme facile, il n'en est rien : les personnages ne sont jamais entièrement positifs, et leurs failles sont régulièrement mises en avant. Rose Quartz, dont la caractéristique de mère décédée pourrait ouvrir à une idéalisation sans retenue, est aussi souvent montrée comme une femme douce et d'une gentillesse sans égale que comme une rebelle agressive et aux actions démesurées et incompréhensibles. Il en va de même pour les autres personnages : Améthyste est à la fois une gloutonne insouciante et en même temps profondément complexée par son statut de rebelle de naissance : elle est née sur Terre et ne connaît pas le monde originel des gemmes. Perle, ordonnée, rigoureuse, responsable, est parfois ennuyeuse et même désagréable, mais toujours touchante, tourmentée par un amour sans retour...

Un show pour enfant ?

Si le terme de cartoon et les images colorées semblent indiquées un dessin animé essentiellement enfantin, Steven Universe nous prouve par bien des points qu'il est plus complexe que cela.

La violence physique ?

De nombreux passages dans la série sont des passages de combats : les gemmes sont guerrières, et la violence n'est pas particulièrement attenuée : les chocs sont brutaux, et les gemmes reviennent souvent amochées de ces combats. Les gemmes peuvent d'ailleurs être blessées au point de devoir disparaître, retourner se ressourcer un certain temps dans leur gemme, qu'on pourrait comparer à leur cœur en tant que centre vital. Il est également possible de tuer une gemme en la brisant, et l'horreur que ce geste inspire aux gemmes est régulièrement mis en avant. Pour autant, cette violence est en permanence atténuée par le personnage de Steven, donc l'esprit bienveillant le mène à de nombreuses interventions pacifistes lors des combats - qui ne se soldent pas toujours par une réussite, certes - montrant que le combat n'est toujours que l'ultime issue quand tout le reste a échoué.

Thèmes abordés

De nombreux thèmes complexes sont abordés, comme le deuil et la filiation à travers les personnages de Steven, orphelin de mère et incertain de l'héritage qu'il reçoit d'elle, et Améthyste. Les fusions forcées entre gemmes parlent des relations abusives, et le cartoon ne contourne pas la souffrance, qu'il s'agisse de l'amour sans retour qu'éprouve Perle ou la peur permanente de Lapis suite à son expérience des horreurs de la guerre et de la séquestration. Le cartoon, en montrant la profondeur de ces sentiments, met ainsi en permanence en avant sa solution : l'importance de communiquer et d'échanger, sur des sujets graves autant que sur l'amitié, l'intérêt livresques, les jeux... Les secrets sont sans cesse montrés comme des nids à problème dont on ne peut mesurer les conséquences.

Censures rencontrées

A cause de son aspect militant, Steven Universe est régulièrement soumis à la censure dans les pays où il est diffusé : la présence de deux personnages homosexuels, notamment, a été contournée par une moustache habilement placée et des doublages en conséquences. Certains pays rajoutent des flash d'impact lors des combats, image blanche permettant d'éviter de montrer le coup donné à proprement parlé. Certains passages assez érotiques, notamment lors des fusions, ou simplement au vocabulaire familier voire vulgaire, sont simplement supprimés.

Steven Universe est donc un cartoon à velléité universelle : adultes comme enfants sont visés, mais s'il faut reconnaître qu'il est délicat pour un enfant de comprendre tous les enjeux abordés. Le cartoon enseigne néanmoins en montrant et en parlant, par son atmosphère bienveillante et d'ouverture d'esprit, plus que par des morales pseudo-pédagogiques de fin de dessin animé quand le reste du cartoon montrait des exemples inverses. Quoiqu'il en soit, Steven Universe est un exemple positif de liberté d'écriture et de représentation, dans un monde où il est encore difficile de trouver des exemples de personnages forts à montrer aux petites filles.