Le consensus autour de The Wire laisse pantois, sa propension à truster les premières places de tops en tous genres en attestant : d’ailleurs, même après plusieurs mois de digestion, le souvenir de son visionnage enfiévré enjoint, encore et toujours, à l’encenser, marque d’un show n’ayant en rien usurpé son statut de référence parmi les références.
Tout ou presque a déjà été dit, et la richesse exceptionnelle de la série de David Simon complique un chouïa l’exercice de synthèse : résumons donc, en toute simplicité et pour débuter, que ce tableau immersif d’un Baltimore on ne peut plus réaliste enterre, sans coup férir, ses piètres concurrents. Le registre du récit policier étant à juste titre parasité par une pléiade d’œuvres toutes aussi convenues les unes que les autres, la faute à des schémas narratifs redondants et une absence totale (ou presque) d’originalité, The Wire s’apparente au messie… non sans une alchimie paradoxale.
Plongeant en ce sens le spectateur dans les méandres tortueux de la bureaucratie, gigantesque toile tentaculaire où s’agitent une multitude d’organes dissonants, eux-mêmes assujettis aux bassesses d’intérêts divergents, la série dresse un portrait au vitriol d’une ville gangrenée de toute part : car si une criminalité des plus conséquentes compose son quotidien, cet envers administratif en dit long sur le cercle vicieux qu’induit pareil environnement.
Et pourtant, les malversations techniques, paperasses et autres procédures enquiquinantes constituent, qui l’eut cru, un biais sacrément immersif : parfaite tangente d’un banditisme polymorphe, ce pan ignoré, pour ne pas dire gommé, dans les habituelles productions du petit écran prend ici des proportions inédites, au point de conférer à The Wire des prétentions documentaristes nullement exagérées. Fruit d’un souci du détail remarquable, sa capacité à rendre compte de la complexité qu’implique toute opération policière est donc des plus louables, mais pas seulement : sans céder aux sirènes de l’excès de zèle, la série n’en oublie pas les ressorts, disons, plus classiques du divertissement.
Mais là encore, le ton est au juste milieu, si ce n’est que « juste » ne rend pas hommage à son brio : sans jamais faiblir, The Wire va nous plonger cinq saisons durant dans un imbroglio sociétal doté de différents et complémentaires visages… à ceci près que chacune d’entre elle opérera un focus sur un pan particulier. En résulte une longue fresque inégalée, dont la cohérence globale et ses rouages scénaristiques n’auront de cesse de nous happer avec une aisance folle : un voyage inoubliable, suspendu aux parcours jamais faciles d’une galerie de personnages sans commune mesure.
Car par-delà ses aspirations réalistes et une mise en scène sans fioritures, gage d’efficacité mais, peut-être, d’un soupçon de folie en berne, le hit de HBO possède décidément bien des cordes à son arc : ainsi, ses têtes d’affiche et autres figures secondaires parachèvent cette étiquette d’excellence au travers de personnalités marquantes, de développements exquis et de devenirs tout aussi mémorables. Leur faire tous honneur serait quelque peu long, qu’il s’agisse des irréductibles Kima, Lester, Stinger ou encore Omar, mais l’exercice serait malvenu : au regard de la maestria avec laquelle The Wire parvient à jongler, avec intelligence, entre cette myriade d’individus tous, à leur manière, attachants, il convient davantage de souligner l’écriture lumineuse du show.
Support irréprochable d’une trame jamais figée, ces derniers accroissent donc à n’en plus finir l’intérêt d’un spectateur rapidement conquis (passé, peut-être, un épisode inaugural pas forcément accessible). Néanmoins, d’entre tous, un joyeux luron mérite que l’on y consacre quelques lignes : à ce titre, le borderline McNulty cristallise à la perfection les élans anti-manichéens d’un scénario foutrement généreux, pétri de rebondissements bien dosés et d’une justesse d’écriture (au risque de me répéter), notamment à l’égard de ses personnages.
Ce diablotin de Jimmy, donc, vaut bien que l’on s’attarde momentanément sur son cas : opiniâtre, malin comme retors et charismatique, l’inspecteur en disgrâce (plus ou moins) constante va multiplier les coups d’éclats de tout ordre, à l’image de frasques bien senties. Entre un alcoolisme insidieux et une fâcheuse tendance à raisonner en-dessous de la ceinture, la précarité de sa vie personnelle n’aura de cesse d’égratigner ses prédispositions professionnelles, et inversement : ses deux facettes, indissociables à l’extrême, n’illustrent donc que trop bien la profondeur scénaristique du tout, nombre d’autres protagonistes bénéficiant en ce sens d’un traitement aux antipodes du superficiel.
Pour autant, McNulty ne vole en rien la vedette à ses consorts et consœurs : parfois mis en avant, d’autres en retrait, The Wire usera tout du long de ces derniers à bon escient, tel un illustre stratège plaçant ses pions le plus adéquatement possible : en découle donc une série jamais à court d’idées, réfléchie comme pas deux et, surtout, brillante jusqu’à son terme… la marque des plus grands certainement.
Une série vivement conseillée donc, et mieux vaut ne pas en dire davantage, histoire de ne pas gâcher le plaisir de la découverte de ces grands chanceux n’ayant pas encore eu tout le loisir de la dévorer à pleines dents.