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Série HBO (2002)

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La plus grande série de tous les temps

Parlons donc de la plus grande série de tous les temps. Alors je vous vois hésiter, vous dire « tiens, il va parler de The Leftovers« , d’autres pensent à Mad Men, certains peut-être à l’adaptation de Halo. Non, il y en a une qui est au-dessus selon moi. Une série sociale, politique, drôle, tragique, violente, pessimiste, humaniste. À l’image de son générique qui montre un enchaînement zoomé de toutes les facettes de la société illustrées par la saison, la série est riche, éclectique, dense. Un tout intimidant et pourtant passionnant, qui s’inscrit dans son époque sans que ses thèmes ne soient démodés aujourd’hui. Cette série, c’est évidemment The Wire.



Pour une version illustrée et mieux mise en page, c'est par ici.



La plus grande série de tous les temps


The Wire, ou Sur écoute en français, est une série produite par HBO, diffusée de 2002 à 2008, et créée par David Simon, coécrite par Ed Burns. David Simon est un ancien journaliste qui a travaillé pendant 12 ans au Baltimore Sun où il se spécialise dans la rubrique crimes. Ed Burns quant à lui est un ancien enquêteur de police de Baltimore qui deviendra professeur dans un collège public (une carrière qu’on retrouvera dans la saison 4). Crimes, prostitution, corruption, drogue, enfants délaissés, bienvenue dans Zone Interdite, spécial Baltimore. Je plaisante dans le fond, mais sur la forme, ce sont les thèmes de The Wire. C’est une série qui raconte le quotidien de policiers (détectives comme membres de la direction) qui sont chargés d’enquêter sur des trafics de drogue. Mais c’est aussi une série qui nous montre le quotidien de dealeurs de drogues (les simples vendeurs comme les chefs de gang) qui gèrent leur organisation en essayant d’échapper aux flics. C’est un résumé assez binaire de la première saison qui est déjà impressionnante en termes d’ambition. Ce n’est pas une simple série policière classique, The Wire veut nous montrer tous les acteurs des sujets qu’elle aborde.


Le « Sur écoute » du titre par exemple illustre le fait que les détectives vont mettre sur écoute les cabines téléphoniques (on est en 2002 pour rappel) utilisées par les dealeurs, pour pouvoir attraper les têtes pensantes de l’organisation. Pour en arriver là, cependant, la série va nous montrer un juge qui va apprendre l’existence d’un gang (dirigé par Avon Barksdale) qui sévit à Baltimore ouest, et qui élimine impunément les rares personnes pouvant témoigner contre lui. Ce juge va faire pression sur le préfet de police qui lui-même va exiger du major concerné de monter une unité spéciale pour enquêter sur Avon. Malheureusement, dans une ville comme Baltimore où les crimes sont légion et où le maire exige chaque mois des chiffres pouvant illustrer la non-augmentation du taux de meurtres (à défaut d’une réduction), les différentes brigades sont réticentes à se priver de certains de leurs éléments. Une fois que l’unité sera créée malgré tout, mettre en place des écoutes, ça ne se fait pas non plus en un claquement de doigts. Il faut monter un dossier, avec la participation d’un procureur, et l’autorisation d’un juge. Tant mieux, remarquez. La saison 1 illustre avec brio ce que veut être la série, une fiction extrêmement réaliste sur la société contemporaine américaine et ses systèmes défaillants. Pas de gentils ou de méchants ici, juste des personnages efficaces, d’autres ambitieux ou encore de simples pions sur un échiquier. L’analogie avec l’échiquier est elle-même faite par les personnages et ceux-ci parlent régulièrement du grand jeu auxquels ils participent tous, avec les règles implicites qui lui sont liées : les dealeurs et leur certain sens de l’honneur par exemple.



Les thèmes de chaque saison

Loin d’être limitée dans ses thèmes, la saison 1 pourrait presque se suffire à elle-même. De l’initiation de l’opération, aux bâtons qu’on met dans les roues de l’unité spéciale, jusqu’à la conclusion amère dès que des personnalités de pouvoirs se retrouvent mêlées à l’affaire. A partir de là, les saisons suivantes n’abandonneront jamais les thèmes de la saison 1 -à savoir la guerre contre et entre les dealeurs de drogues- mais élargiront à chaque fois le spectre de la série, de façon à ce qu’aucune saison ne se ressemble, et que chacune amène un nouveau thème. La saison 2 se focalise sur les docks où les problèmes d’économie poussent le gérant du syndicat des dockers, Frank Sobotka, à faire des échanges avec des mystérieux criminels. Un conteneur perdu par-ci, un autre perdu par là. Ces criminels étant la source de toute la distribution de drogue dans le quartier Est de Baltimore. Les problèmes financiers concernent aussi le gang Barksdale avec un approvisionnement (dans le quartier ouest cette fois) de moins bonne qualité. C’est surement la saison que j’aime le moins, même si elle reste excellente. Elle amène de nouveaux personnages brillamment écrits (dont Pablo Schreiber, héros de Halo, décidemment…) mais elle veut aussi prendre à contrepied les attentes des spectateurs vis à vis de la première saison. En conséquence, elle a du mal à complètement se distinguer selon moi. C’est aussi la seule saison qui amène un lieu qui ne sera pas vraiment repris dans les suivantes.


La saison 3 est brillante et développe un peu plus les aspects politique de l’intrigue avec l’introduction d’un conseiller municipal qui va demander des comptes au préfet de police. C’est aussi une saison qui va suggérer les potentiels bienfaits d’une légalisation de la drogue, avec une intrigue passionnante qui se terminera évidemment de façon à restaurer le statu quo. Une saison qui contredit donc les quelques avis qu’on a pu lire sur la série comme quoi elle dénonçait les maux de la société sans jamais proposer de solution. De même, la saison 4, certainement la meilleure à mes yeux, amène le sujet de l’éducation, avec un focus sur un collège public et un groupe de jeunes qui grandit dans des familles très défavorisées. C’est une saison bouleversante qui met constamment en contraste des personnages abandonnés par la société et ceux qui briguent le pouvoir avec l’élection municipale en intrigue centrale. C’est ma préférée car c’est la plus humaine, la plus sombre, la plus riche, la plus sociale. On pourrait voir des formes de fausses origin story des dealeurs qu’on a connu dans les précédentes saisons à travers notre groupe de jeunes. Le parallèle entre le collège et la rue se fait évidemment et est explicite, et quiconque voudrait comprendre la notion de déterminisme social devrait regarder cette dizaine d’épisodes.


Enfin la saison 5, plus courte, est souvent considérée comme la moins bonne. Cette fois-ci, elle va mettre en scène le journalisme, à travers une presse (en l’occurrence le Baltimore Sun) qui cède au sensationnalisme, aux sujets faciles, et aux mensonges pour se maintenir à flot dans une économie où le papier ne vend plus. Tout cet aspect est très réussi. En revanche, du côté policier, l’intrigue, aussi plaisante soit-elle, tombe dans l’invraisemblable à travers un discours méta un peu cynique sur les tueurs en série et leur popularité. Ce n’est pas mal écrit, mais c’est un peu plus facile, et perdre un peu de réalisme c’est perdre un peu de ce qui fait le cœur de The Wire. L’absence d’Ed Burns sur la saison s’en ressent, en particulier dans les premiers épisodes. La fin, et notamment son dernier épisode conclut tout de même la série avec brio et émotion.



Une société dysfonctionnelle

Avec ces 5 saisons, The Wire filme Baltimore et dresse petit à petit une mosaïque qui ne s’applique pas qu’à la ville américaine mais à toute sa société. C’est écrit pour être crédible, et il faut que ce soit réaliste. Quand les expériences personnelles d’Ed Burns et David Simon ne suffisent pas, ils vont chercher des auteurs qui connaissent les milieux traités. Par exemple, Dennis Lehane, grand auteur de polars sociaux comme Mystic River ou Gone Baby Gone, a participé à l’écriture et a probablement apporté ses talents de narration. Tous ces carreaux de mosaïques sont liés. L’un a forcément des conséquences sur l’autre. C’est le fameux « ruissellement » mais qui n’est jamais illustré de façon positive. La saison 4, encore elle, met en scène un programme spécial pour les élèves les plus perturbateurs des différentes classes. Le but : préserver le reste des classes, et surtout faire un apprentissage spécifique à ces jeunes, pour les comprendre, pour les motiver, pour ne pas les abandonner. A la fin de la saison, le programme test sera présenté à la mairie pour le rendre officiel, et il sera évidemment balayé d’un revers de main en quelques minutes à peine dans une réunion à laquelle le maire n’assistera même pas. Pour ses conseillers, on ne met pas des élèves à la marge des autres, ça ne rendrait pas bien. C’est le problème, le thème de toute la série. La société est dysfonctionnelle. Rien ne peut changer quand les ambitions politiques ou personnelles rentrent en jeu. Quand le Major Colvin, à l’initiative de ce programme du collège, décide une saison plus tôt de transformer un quartier désaffecté en un lieu de légalisation de drogue (pour surveiller les dealeurs, épargner les civils, et protéger les consommateurs) il en prend la responsabilité, sachant qu’il approche de la retraite, en pensant qu’il n’a rien à perdre. David Simon dit souvent de la série qu’elle est « énervée ». Pourtant, il ne pointe jamais les responsables du doigt gratuitement. Comme indiqué plus haut, il n’y a pas de gentils ou de méchants dans The Wire, ou alors très peu. Bien sûr, le chef de gang Marlo Stanfield est effrayant et sans sentiment, tandis que l’hilarant sénateur Clay Davis est corrompu jusqu’à l’os. Mais dans l’ensemble, la plupart des personnages sont très nuancés. Les ambitions personnelles du conseiller municipal et futur maire Carcetti (incarné par Aiden Gillen) sont évidemment montrées, mais la série en fait également un personnage sincère dans ses discours, dans sa volonté de changer les choses pour le mieux. Autant continuer à vous spoiler, il ne pourra pas. Parce qu’il hérite d’une dette du précédent maire qui l’empêche de faire la moindre réforme, mais aussi parce qu’à terme il veut devenir sénateur et donc fait bien attention à toujours avoir l’opinion publique de son côté.



Une série chorale

Malgré sa volonté de réalisme, The Wire reste une fiction et n’est pas un documentaire. Les faits sont souvent inspirés d’éléments réels, les personnages aussi mais ils sont tout de même écrits pour de la fiction. Les dialogues sont incisifs, rythmés, régulièrement drôles même, du rire jaune au sincère. C’est ce mélange entre réalisme des situations et qualité de l’écriture des personnages qui rend la série aussi réussie. Pour l’anecdote, j’avais vu la série en 2015, et j’avais déjà adoré. Je voulais la faire découvrir à ma chère et tendre, mais je lui ai vendu une série sociologique proche du documentaire assez exigeant, la mettant en garde sur la difficulté d’approche. J’avais tort. The Wire n’est pas difficile. Les intrigues ne sont pas compliquées à comprendre, les personnages et leurs motivations non plus. En revanche, elle compte sur les spectateurs pour suivre, sans rien faire d’autre. Pas de cliffhanger ici, ni de twists réguliers. Chaque saison raconte une histoire et fait intervenir beaucoup de protagonistes. C’est une autre qualité de la série, il n’y a pas de véritable personnage principal. On serait tenté de considérer McNulty comme le plus important, étant donné que c’est le détective (obsédé par son travail), à l’origine des enquêtes dans les deux premières saisons. En réalité, The Wire sait jongler avec l’importance des personnages selon leur pertinence par rapport aux situations. Ainsi McNulty ne fait que des brèves apparitions dans la saison 4, et ça n’empêche pas cette dernière d’être excellente (ai-je dit que je la considérais comme la meilleure ?) La saison 1 est déjà une série chorale avec un grand nombres de personnages traités de façon plus ou moins égales, en abordant également leur vie privée : le détective franchement alcoolique McNulty (Dominic West), mais aussi le Lieutenant Daniels (le regretté Lance Reddick) qui tente de trouver des compromis entre les chefs de la police et son unité, ou l’inspectrice Kima (Sonja Sohn) qui va se retrouver à sacrifier sa vie de famille au profit des enquêtes, … Du côté de la « rue », ils ont la même importance : les chefs du clan Barksdale, Stringer Bell (Idris Elba) et Avon Barksdale (Wood Harris) méthodiques et prudents, ou le neveu de ce dernier D’Angelo (Lawrence Gilliard Jr.) qui aimerait quitter cet univers. Sans oublier leur adversaire, le Robin des bois des rues, Omar Little (Michael K. Williams, malheureusement décédé lui aussi) … On compte peut-être une vingtaine de personnages qui ont leur importance déjà au sein de la première saison. Les suivantes ne font qu’augmenter ce nombre, sans qu’on ne soit jamais perdu. Pour ça, bien sûr, on ne perd jamais de vue ceux de la première saison, par contre, on se concentre bien moins sur leur vie privée au profit de celle des autres.


C’est une série qui a été qualifié de nihiliste en dépeignant une société dénuée de sens où chaque potentiel changement fini dans une impasse. Seulement, c’est une critique qui oublie le fait que la série met constamment en scène des personnages qui se battent contre le statu quo, peu importe la finalité. McNulty, avec son mépris de la hiérarchie, contourne constamment les règles. Stringer Bell veut gérer son trafic comme un business man et mettre fin aux guerres de gangs en mettant en place une coopérative. Les personnages les plus désespérés veulent se sortir de leur situation. The Wire les met en scène avec énormément d’humanisme. Les scénaristes aiment leurs personnages. Impossible dans ce cas de ne pas penser à l’attachant Bubbs, toxico et indic, véritable cœur de la série pour qui on espère constamment une échappatoire.



La plus grande série de tous les temps (oui, encore)

Que dire de plus sur The Wire ? Énormément de choses en fait. Par exemple, la série est réellement tournée dans les rues de Baltimore pour un souci de réalisme. Dans le même esprit, il n’y a quasiment aucune musique en dehors de celles qui sont diégétiques. On peut aussi citer le fait que certains personnages sont incarnés par des acteurs dont l’histoire a réellement inspiré la série : policiers comme criminels… Lire les anecdotes de tournages ou sur ces rôles est d’ailleurs très divertissant : de Andre Royo, l’acteur qui incarne Bubbs à qui on aurait interdit l’entrée sur le tournage parce que son maquillage de SDF était « trop » bien fait, aux vrais dealeurs de drogue qui regardaient la série pendant sa diffusion pour connaître les tactiques de la police.


Malgré sa densité, je considère que The Wire n’a pas de « filers », ces intrigues annexes présentes uniquement pour allonger les saisons. Tout a son importance ici, et il n’y a, à mon sens, aucune fausse note. On peut un peu moins aimer la saison 2 ou 5, mais on peut difficilement les considérer comme inabouties, ou décevantes. Une telle maîtrise sur 5 saisons dont la pertinence est toujours (malheureusement) aussi forte aujourd’hui, c’est inégalé. Pas étonnant de voir que la série a été étudiée dans les facs américaines en sociologie. C’est grandiose. Et puis c’est fin. En mettant constamment en parallèle ses différents aspects en miroir, les épisodes mettent en lumière leur point commun. Dans la saison 5 par exemple, le préfet de police se fait virer dans le même épisode où l’un des plus importants chefs de gang se fait tuer. C’est malin, sans être lourd, sans jamais insister, simplement parce que la série a confiance en ses spectateurs.



The Wire est un véritable chef d’œuvre et je ne peux lui rendre hommage. Des études sociologiques existent sur chaque saison, des critiques en ont fait l’analyse, et moi, je vous offre moins que la simple page Wikipédia sur le sujet. Ceci dit, je peux au moins vous la conseiller, grandement. Sachez également que David Simon et Ed Burns ont signé un roman The Corner qui a aussi été adapté en mini-série, sur des thématiques similaires. Le premier a aussi scénarisé d’autres séries (The Deuce, We own this city) qui sont sur mes listes « à voir ». Si vous en voulez encore plus vous pouvez aussi prendre un billet d’avion pour Baltimore et aller visiter les coins les plus iconiques de The Wire. Bref, il y a de quoi faire, mais attention ! Si vous regardez The Wire, vous regarderez la plus grande série de tous les temps. Toutes les autres souffriront forcément de la comparaison.

TruffeMax
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le 8 juil. 2024

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