2016 a été l'année de tous les super-héros. Les franchises sont lancées, les univers étendus également. Et au milieu de tout ça, paradoxalement, la qualité stagne, ou baisse drastiquement. La révolution post-moderne clamée haut et fort par l'équipe de Deadpool est bien loin d'avoir eu lieu. On se retrouve donc avec des films qui appliquent les codes inhérents au genre, sans réelle réflexion, ou même volonté de réflexion (à part peut-être Snyder, trop maladroit pour être vraiment intéressant).
Mais comme en 2015, où le meilleur film de super-héros était l'épopée de NWA dans le rap game, la meilleure fiction super-héroïque de 2016 est une petite série MTV, sortie de (relativement ) nulle part : SWEET/VICIOUS.
Jules est une étudiante américaine. Elle est dans une « sororité" et mène une vie « normale ». Mais un soir, pendant une soirée alcoolisée, elle est violée par le copain de sa meilleure amie. On la découvre quelques mois après, quand, ayant appris le close-combat, elle décide de se lancer dans une vendetta contre les agresseurs sexuels présents sur le campus. Elle est rejointe par Ophelia, une hackeuse typée Lisbeth Salander/Amy Schumer, qui représente non seulement un ressort comique efficace, mais également le spectateur : révolté, et qui aimerait agir.
Briser les tabous, mixer les genres
Do they have Instagram ? They must have Instagram !
Ce qui "frappe", au sens propre et figuré, lorsque la série se lance, c'est le parti pris graphique. La charte est posée dès les deux premiers épisodes réalisés par le coréen Joseph Kahn, spécialiste du pop flashy et du mélange des genres (Détention, son deuxième long, après le divertissant Torque, joint film d'horreur, campus movie et comédie 00's dans un joyeux bordel qui fonctionne remarquablement bien malgré ses excès).
L'esthétique de la série oscille donc entre le Kaboom de Gregg Araki et les films de kung fu des années 80, visuellement on s'éloigne donc des très dark productions Netflix, et surtout de Jessica Jones, très proche dans les thèmes abordés.
Et c'est cette esthétique qui rend la série subtile et intéressante : il n'y a aucune concession. Chaque genre qui apparait au cours des 10 épisodes (comédie, drame, action, vigilante movie...) est traité avec respect, (relative) intelligence, et surtout, ne vient jamais empiéter sur les autres. Et c'est cette énergie qui irrigue chaque plan qui rend la série pertinente. En ne concédant rien sur l'humour, l'action, et les histoires secondaires, elle ne perd paradoxalement pas d'impact sur le sujet principal, à savoir le viol sur les campus, sa généralisation et ses effets sur les victimes.
La violence est traité avec une dualité (encore une fois) pertinente : d'un côté les affrontement sont représentés de la même façon que dans le Scott Pilgrim d'Edgar Wright, over the top (les bruitages et les chorégraphies) et fun. De l'autre, les scènes de passage à tabac des violeurs sont réalistes, brutales, peuvent mettre mal à l'aise. Visuellement, ils interrogent efficacement le spectateur : jusqu'où faut il aller ? Jusqu'où pousser la catharsis ? Quel doit-être le rôle d'un vigilante ?
C’est cette radicalité dans la flamboyance pop qui confère la puissance de frappe de la série.
L'horreur dans la normalité, l'horreur de la normalité
You know, when we... cheated
Le personnage de Nate (le boyfriend violeur) est intéressant car il devient un symbole du traitement de la question du viol dans la série. Ici pas seulement un ressort narratif (comme dans Game of Thrones par exemple), mais un sujet à part entière, traité avec une gravité salvatrice pleine de nuances et de complexité (un peu comme le traitement de la prostitution dans l’excellente « Girlfriend Expérience »).
Nate est un monstre, qui fait référence à l’évènement comme étant « the time we cheated ». Mais il n’est jamais montré comme un monstre. La série ne le juge pas, laissant le spectateur faire son travail. Par exemple, Ramsay Bolton de GoT, est, à chaque apparition à l’écran, montré comme un sadique, violent, violeur, tueur d’enfants… Ce trait de caractère est la seule facette du personnage qui est montrée, ce qui va le définir. Ici on voit Nate être un parfait boyfriend pour Kennedy (la meilleure amie), faire passer l’ambition de sa copine avant ses désirs à lui, se montrer aimant. Etre un violeur n’est pas sa seule caractérisation dans la série, ce qui rend chaque scène qu’il partage avec Jules d’autant plus puissante.
Réparer les vivants ?
ATTENTION LÉGERS SPOILS DE L’ÉPISODE 9
Dans cet épisode, Jules va finalement se confronter à l'administration, un monolithe présenté comme protecteur des violeurs, ou en tout cas, d'un statu quo protégeant la réputation de l'établissement. On suit donc Jules, Nate et leurs amis lors des interrogatoires conduits par les administrateurs de Darlington. Les questions ont pour but, non seulement de provoquer l'indignation chez le spectateur, car il sait ce qu'il s'est passé, il n'a pas de doute là dessus. Mais cette séquence ne parait pas forcée ou gratuite, car non seulement, les questions peuvent être fondées (même si posées dans tact), mais qui plus est,
Nate est reconnu coupable
S'ensuit une séquence où Jules et Ophélia questionnent le bien fondé de leur croisade.
Qui se retrouve finalement justifiée par la décision du directeur de rejeter la plainte de Jules par amitié pour la famille de Nate.
Cet épisode souligne l'autre dimension de la série. Une dimension qui justifie le panneau attirant l'attention du spectateur sur la brutalité des scènes de viol dépeintes. Brutalité qui n'est jamais graphique, les corps ne sont d'ailleurs jamais érotisés, mais qui fait appel à tout un imaginaire collectif, et une peur collective : celle de perdre complètement le contrôle. Cet épisode s'éloigne donc de la catharsis qui s'opérait lors des séquences de combat et plonge au plus profond du traumatisme des personnages, avec toujours la même justesse et la même mesure.
This does not define you.
C'est ce que la médecin que voit Jules après son viol lui affirme, maxime qu'elle répètera ensuite à Kennedy à la fin de la saison. Et c'est sans doute vrai, en tout cas formellement, c'est le message que la série envoie. On peut traiter du viol dans le cadre de la pop culture, et mieux encore, on peut rendre son traitement encore plus percutant en le mélangeant tel quel à d'autres codes culturels. Et le tout sans concéder quoique que ce soit, ni sur la puissance du propos, ni sur le plaisir à suivre les personnages et les intrigues. Le secret de cette recette : une écriture fine qui rend l'intrigue crédible à travers la psychologie des personnages (Ophélia, Jules, Kennedy et Nate sont remarquablement écrits) dans un écrin qui assume son kitsch et ses références.