The Americans explore la vie de deux agents dormants soviétiques, Philip et Elizabeth Jennings, installés aux États-Unis pendant la présidence de Reagan. Mettant au prise l’avènement de la société capitaliste face aux valeurs éculées mais profondément ancrées du communisme, la série propose une lecture partagée de ces deux idéologies à travers des personnages ambigus et parfois incertains dans leur croyance. Dans un thème pourtant très prisé au cinéma, The Americans offre l’opportunité d’explorer une facette différente de la Guerre Froide.
Rarement un couple aura autant influencé une série et la vie de famille basée une intrigue. Keri Russell et Matthew Rhys, toujours aussi complémentaires, emmènent un casting de grande classe composé entre autres de Noah Emmerich, Alison Wright et de la jeune mais talentueuse Holly Taylor.
Tuer avec élégance est un métier que nos deux héros maîtrisent à la perfection, mais qui ne se fait parfois pas sans mal. Philip est tiraillé de toute part, séduit par le confort que lui procure la vie américaine, il ne croit plus aux idéaux communistes mais continue d’agir au profit du gouvernement soviétique, plus par automatisme que par acquis de conscience. Il développe une forme d’affection pour Martha (son agent au FBI) sans pour autant continuer de la manipuler. Il culpabilise en séduisant Kimberley, une jeune fille de 15 ans mais ne met pas un terme à l’opération. Mais ce qui le met hors de lui, c’est le rôle de son aîné Paige, que le KGB souhaite former, ce à quoi Philip se refuse catégoriquement. Inexorablement, sa confiance dans ses supérieurs s’étiole et sa résolution vacille.
Elizabeth, de son côté, conserve sa foi dans la grandeur de l’URSS et reste persuadée d’agir dans un intérêt supérieur même quand cela nécessite d’assassiner des innocents ou d’impliquer sa propre fille. Au milieu du conflit parental, se dresse Paige. Inconsciente de la véritable nature de ses parents et des dissensions qu’elle suscite entre eux, elle sent bien que quelque chose ne tourne pas rond et se réfugie de plus en plus dans la religion, chose incompréhensible à leurs yeux. Le fossé se creuse de manière irrémédiable et la confrontation qu’on devine inévitable, prend son temps avant de se matérialiser.
Plus introspective donc, cette saison se caractérise par une baisse de l’espionnage à proprement parlé, les scènes d’action et d’infiltration sont nettement réduites même si elles restent présentes. À la place, on a le droit à de savoureux dialogues et à des réflexions sur l’attachement patriotique et la filialité.
La série ne se limite heureusement pas à la vision américaine et prend le temps d’inclure le point de vue soviétique. Les nombreux échanges en russe permettent d’appréhender sous un jour différent les relations des deux superpuissances. L’emprisonnement de Nina Sergeevena (la superbe et toujours aussi ambivalente Annet Mahendru) est à cet égard extrêmement révélateur sur la réalité des agents soviétiques. Pourtant trahie par le gouvernement soviétique, elle continue à manipuler sans vergogne sous son égide afin d’accélérer sa libération. Toujours avec cet air innocent qu’on a appris à connaître dans les deux premières saisons, elle se présente telle une victime pour mieux gagner la confiance de ses cibles.
Là est toute la problématique de la série. Jusqu’à quel point la manipulation peut-elle aller ? Est-il possible de toujours obéir aveuglement sans éprouver des doutes sur le bien-fondé de ses propres actions ? Un casse-tête insoluble autour duquel la série gravite.
Dans cet univers impitoyable, la manipulation est un art redoutable, qui codifie tous les échanges entre individus. Au sein même de la Rezidentura (l’ambassade soviétique au États-Unis), le directeur (l’excellent Lev Gorn) désobéit consciemment à ses dirigeants, affaiblis et incertains suite au décès de Leonid Brejnev. La série dépeint un monde soviétique au bord de la rupture. Entre dissensions internes, fiasco de la guerre en Afghanistan et retard technologique qui ne cesse de se creuser, l’URSS ne se résout pas à abandonner la lutte et exige toujours plus de ses agents au risque de les perdre.
Après un démarrage en fanfare, la saison 2 s’était révélée plus poussive, se perdant dans une intrigue confuse et des personnages secondaires nébuleux et peu attachants. En revenant à l’essentiel, à savoir la famille, The Americans regagne ses galons de série phare du petit écran.
La saison 3 est de loin la plus aboutie des trois et frôle la perfection. Délaissant les intrigues d’espionnages à proprement parler, son créateur Joe Weisberg (ancien de la CIA) a préféré privilégier l’aspect familial et soulever des problématiques d’ordre plus personnelles.
La multiplicité des intrigues et des personnages ne nuit en rien à la qualité globale de la série. Au contraire, elle ne fait que renforcer la trame d’une histoire dense et riche, pour notre plus grand plaisir. Les scénaristes ont produit un travail d’une grande qualité, tout en subtilité, sans jamais porter de jugement ou verser dans l’empathie. À saluer pour sa profondeur et le jeu d’acteur tout en nuance !