Mes contacts modernes avec la production cinématique russe ont été... hm.
Froids comme à Vorkuta. Que ça soit la réponse aux "Avengers" américains donnant le dernier nanar que j'ai jamais vu ( et qui m'a fait dire "plus jamais, plus jamais ça" ) ou les aventures policière du Docteur Peste, machin... la Russie veut singer les bousebusters, elle garde la bouse et ne buste pas grand chose.
Apprenant par le truchement d'un média d'orientation pas très subtile - et cherchant à la base le nom d'autre chose - l'existence de cette série si bonne que même les ukrainiens la regardent ( pas rancuniers ), je me suis laissé tenter par l'univers brutaliste de l'Union Soviétique dans ses dernières années. Chernobyl arrive, l'Afghanistan annonce la défaite, les pétrodollars s'arrêtent, les panelkas temporaires sont devenues définitives. On rigole bien.
Cloaque des cloaques, Kazan, la grande ville des tatars donne son nom au phénomène de la délinquance juvénile, organisée autour de gangs qui ne craignent même pas la police politique. Une médaille d'or qui doit rendre fier.
Andrey, jeune élève prometteur, propre sur lui, habillé comme à l'école militaire, dos bien droit, l'air sérieux, inoffensif, s'entraînant sur un piano de papier, les gammes connues par cœur, et visiblement doué en anglais. Récompense quand tu es premier de la classe : plus de travail, à savoir faire des leçons de rattrapage à une lanterne rouge, un gangster qui le racketta tantôt, Marak.
De cette corvée naîtra une amitié basée sur l'envie de ne plus "être un loser". Andrey veut devenir un "garçon", traîner avec les garçons, faire des trucs de garçon, au lieu d'être le gentil pianiste planqué dans les jupes de sa mère la veuve.
Dois-je admettre, on a là un schéma classique : le bon, la brute et les truands. Au milieu des flics qui ne savent pas quoi faire faute de vraie preuve et de crime trop grave pour être ignoré, de jeunes zélés fervents léninistes qui ont plus de bouquin que de muscles pour appliquer leur logique, des parents dépassés par leur envie de bien faire, d'offrir le meilleur à leur gosse et de les punir pour être des racailles, des petites amies révulsées par les affaires de gang mais quand même charmées par les mauvais garçons...
La réussite de la série, c'est l'esthétique et la (non) morale.
On pouvait risquer le parti-pris "en Russie c'est tout pourri", ou "en Russie tout est joli". Non : l'URSS est filmée comme elle est.
Oui, les gens sont pauvres. Mais c'est pas vraiment la misère non plus : tout le monde peut se loger, faire réparer vite ses vitres, se chauffer, manger de la viande et des légumes frais, s'habiller chaudement.
Oui, les gens sont pauvres. Mais ils ont aussi les chansons radiodiffusées du moment à chanter en chœur. Ils ont les roubles pour payer la place de cinéma. Ils ont le cœur à boire entre copains ou en famille, ou même jouer aux jeux de société. Même répéter avec le groupe de musique "à la mode" aux coupes de cheveux américaines.
Oui, les gens sont pauvres. Mais ils VIVENT. L'univers est gris ? Leur veste est bleu ciel, les bières ont des étiquettes verte, la Lada Jigouli est jaune canari, le disco a des stroboscopes européens multicolores.
Et sur le gris des murs et le blanc neigeux, du sang. Du sang et encore du sang.
La série est violente. On se bagarre chez les garçons. Un écart de conduite se solde par une torgnole qui assommerait un bœuf. Cafter vaut de chier ses dents. Se croire plus malin qu'un autre gang c'est se faire trancher l'oreille. Escalader au point de flinguer son adversaire, c'est se faire courser par une police qui tire sans sommation dans le dos devant ta copine, brisant les rêves de datcha au bord de la Mer Noire.
Ce n'est pas "cool" d'être un gangster. C'est juste... la vie de gamins paumés qui ont tenté de vivre dans une époque qui n'avait plus grand chose à leur offrir, et qui se pensaient invincibles. Des espoirs perdus, une violence qui frappe et qui oblige à frapper plus fort pour être tranquille. L'envie d'appartenir à quelque chose, quand le "quelque chose" au-dessus du pays s'écroule.
C'est un mémoire sur une génération sacrifiée par la force des choses.