Contrairement au vieil adage populaire, quand il y a de la « gêne », il peut y avoir beaucoup de plaisir, en tout cas pour celui ou celle qui en est témoin. Les Anglo-saxons ont même popularisé un mot qui définit ce genre de fiction basée sur la mise en avant de personnages se comportant mal dans des situations embarrassantes, nous faisant « rougir de honte » pour eux : le « cringe » ! Tout le monde a évidemment à l’esprit la révélation que fut à son apparition David Brent, interprété par le génial Ricky Gervais dans son The Office, qui marqua les esprits à l’époque par sa « cringitude » continue, rehaussée par la forme de « mockumentary » que Gervais portait à son paroxysme…

… Et The Curse s’inscrit totalement dans la continuité de The Office (version originale britannique, surtout), avec le récit d’un filmage pour une future série TV – comme il en prolifère de plus en plus sur les plateformes – de « télé-réalité ». Ce que cette série, qui doit encore être vendue à un réseau, racontera, c’est le lancement d’un projet de « maisons écologiques » (donc en particulier sans air conditionné, une hérésie aux USA) dans une région socialement défavorisée du sud du pays. Whitney (Emma Stone, magistrale comme toujours dans le registre de la méchanceté comme du « sans gêne ») et Asher (Nathan Fielder, humoriste peu connu chez nous, mais assez grandiose ici dans un personnage à la fois pitoyable et haïssable) forment un jeune couple ambitieux qui s’est lancé dans cette aventure financière risquée, avec un mélange d’idéalisme « bobo » (comme on dit chez nous) et de cynisme décomplexé. Dougie (Benny Safdie, la moitié des Safdie Brothers, responsables de plusieurs excellents films comme Good Time ou Uncut Gems) est le réalisateur – qui se coltine un maximum de problèmes existentiels -, filmant les entrepreneurs et le futur showrunner de la série. Et, « in real life », Fielder et Safdie ont écrit et dirigent The Curse : ce qui nous permet d’admirer, comme c’était le cas avec Gervais, en fait, combien ils n’hésitent pas à se donner le « mauvais rôle » dans leur histoire, avec un masochisme consommé et assez remarquable.

Le premier épisode est littéralement stupéfiant, avec au moins deux points forts : d’abord cette fameuse « malédiction » causée par un comportement inacceptable d’Asher devant et hors caméras, et ensuite avec cette incroyable exhibition de « petites bites », soit une chose rarement vue sur un petit écran, qui montre que Safdie et Fielder se positionnent comme osant tout (ou presque). La mini-série est longue, avec 10 épisodes, et ne gardera malheureusement pas la même intensité « cringe » tout au long. Mais, heureusement, grâce au talent de ses trois interprètes principaux, elle restera toujours intéressante, jusqu’à culminer à nouveau dans sa dernière partie autour des problèmes de couple de Whitney et Asher, qui se révéleront d’ailleurs particulièrement crédibles et émouvants, brisant un peu le principe du « cringe » tous azimuts de la série.

Et puis il y a ce dixième épisode, littéralement ahurissant, qui divisera forcément les téléspectateurs : c’est totalement WTF et ça prouve l’inventivité des scénaristes, mais c’est aussi tellement décalé par rapport à ce qu’on a vu jusqu’alors que ça ressemble à une sorte de fuite (« vers le haut » pour le coup), regrettable, des showrunners qui évitent ainsi d’avoir à conclure les différents fils narratifs de The Curse.

Quoiqu’on pense de cette fin, The Curse est une série originale, aussi drôle que profondément malaisante, qui a le culot d’aborder des problèmes sociétaux importants, comme la réalité des préoccupations écologiques (formidable scène d’une émission télé où l’on minimise les soucis environnementaux !) ou l’arrogance de la vision « blanche et occidentale » du monde (avec un autre moment phare de The Curse où le couple attend en vain que le bénéficiaire – noir – d’une bonne action qu’ils font les en remercie !).

Bref, une série passionnante, qui ne plaira certes pas à tout le monde, mais fait naître une vraie réflexion chez le téléspectateur, au delà du plaisir (coupable ?) de la « gêne ».

[Critique écrite en 2024]

https://www.benzinemag.net/2024/06/09/paramount-the-curse-au-summum-de-la-gene/

EricDebarnot
8
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le 16 juin 2024

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Eric BBYoda

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