Whitney (Emma Stone) et Asher (Nath Fielder) forment un jeune couple ambitieux qui mène un projet faramineux : vendre son show de téléréalité autour de son action (la vente de maisons écoresponsables). Un projet si merveilleux qu’il permet même de redynamiser un quartier difficile latino.
C’est une lecture. Une autre serait de dire que ce binôme malade et dysfonctionnel tente de s’acheter une bonne image en prenant du blé au passage, et en ressoudant son couple malade. Une satyre de la figure très américaine du “power-couple”, toujours en représentation et qui n’est en fin de compte pas si équilibré que cela dans l’intimité.
Comme bon nombre de programmes de téléréalité, les créateurs se signalent par une fausse philanthropie, masquant un narcissisme maladif et de sales complexes (celui d’Asher étant révélé dès le premier épisode dans une scène très gênante). Asher et Whit sont accompagnés dans leur entreprise par Dougie (Benny Safdie), caricature de producteur réalisateur d’émissions sans scrupules, un autre personnage tortueux et manipulateur dont les intentions sont incertaines durant la plus grande partie de la série. Un trio infernal, tellement malaisant qu’il fait passer The Office UK pour un épisode de Friends.
L’enfer étant pavé de bonnes intentions, ce couple de bienfaiteurs va bien évidemment se heurter aux pires difficultés au moment de concrétiser ces projets, dont une curieuse malédiction qui semble s’abattre sur le malheureux Asher, incarné par le roi du rire de malaise Nathan Fielder.
Habitué à utiliser son image de mec coincé, il s’aventure dans un vrai rôle dramatique et s’en sort remarquablement face à une Emma Stone forcément exceptionnelle et à Benny Safdie tout en bagouzes. Dans une séance de question réponses il a fait cette révélation assez surprenante : jouer avec des bagues aux doigts et divers bracelets lui ont donné une confiance en lui toute nouvelle, voyant son assurance dans le regard des autres, qui l’ont trouvé hyper cool. Vous savez ce qu’il vous faut pour aborder le monde avec assurance.
La Reine verte et le bouffon
La force de la série est cette galerie de personnages que l’on a trop peu l’habitude de voir dans les séries actuelles. Caricaturer les bonnes âmes étant particulièrement rares. Car bien que mégalos, Whit et Ash s’efforcent de faire le bien, du moins de faire les bonnes actions qu’ils pensent que l’on attend d’eux. Croulant sous le poids de la culpabilité (aux USA, on parle de White guilt), Whit porte le fardeau de ses parents, propriétaires boomers qui n’ont aucun scrupule à couillonner les natifs ou à les expulser (Corbin Bensen méconnaissable), et Ash qui se montre au petit soin pour ses locataires illégaux - le génialement indolent Barkhad Abdi en père de famille squatteur.
Les personnages sont plus à plaindre qu’à détester. Il est difficile d’avoir un avis définitif sur ce trio insatisfait qui doit faire bonne figure coûte que coûte. On prend Asher pour un type mesquin et terne, on découvre par la suite qu’il est plus dépassé qu’autre chose par les événements. Dougie est certes faux et manipulateur, mais on voit bien sa souffrance et sa bizarrerie. Et Whit peut sembler la plus humaine au début, mais c’est peut-être bien le personnage le plus détestable.
C’est très grinçant, et on se demande comment une telle série a pu voir le jour en 2023 avec les networks actuels. On pense à du Altman pour la façon de filmer et la construction de personnages aussi peu politiquement correct. Un bel exemple est le personnage de Cara Durand (Nizhonniya Austin), artiste native américaine qui a pleinement conscience des faiblesses de ce couple et qui les exploitent avec froideur. Sa performance dans la galerie étant un sommet de la série.
Mais vous l’avez compris après ces quelques lignes, The Curse ne s’adresse pas à tout le monde, ce n’est pas la série comique feelgood à la mode où le public prend plaisir à s’identifier aux personnages. Certains épisodes sont sombres, lents et reposent essentiellement sur l’atmosphère et un ton différent. Ce qui est déjà énorme à mon sens.
Flipanthropy
La façon de filmer peut décontenancer ou même désintéresser. Souvent en dézoom, vue de l’extérieur, à travers une vitre déformante, ça peut irriter où vous déconnecter de l’action. Mais ce style n’est pas qu’une coquetterie stylistique, je pense que c’était même le seul possible pour préserver le spectateur. Les échanges et les situations sont parfois si gênants qu’on n’a pas envie de se placer trop près de la source de malaise. Le spectateur épie de loin à travers une portière ou derrière une baie vitrée les B.A déconnectées de la réalité de Whitney et Asher.
Après avoir joué avec le surnaturel pendant les 9 premiers épisodes, le 10è pousse les curseurs à fond, peut-être trop. Il propose une issue absolument imprévisible - qui était prévue dès le départ selon les auteurs - longue comme un accouchement, qui ne manque pas de se produire. Ash étant expulsé du monde au moment même où sa femme met au monde leur enfant. Est-ce vraiment son fils d’ailleurs ? Est-ce un cauchemar ? ou la fameuse malédiction dont Dougie serait responsable avec l’aide de la petite fille dont les pouvoirs seraient vrais ? Tout est possible. Mais l’important n’est pas là.
The Curse est la série la plus singulière et dérangeante de 2023.