Saison 1:
Sortie dans l'indifférence générale en 2013 et toujours pas réévaluée cinq ans plus tard, "The Fall" est un véritable OVNI dans le monde formatté de la série TV (Netflix ou pas…) puisque, à la manière du meilleur cinéma, elle exige de la part du téléspectateur, pour être appréciée, une attention de tous les instants et une bonne dose de patience : point de cliffhangers ici, un nombre de péripéties "raisonnable" par rapport aux standards du genre, peu d'effets spectaculaires, puisque la série ne joue ni sur une esthétique particulièrement clinquante, ni sur des trucs de narration faussement modernes, et qu'elle refuse avec détermination tout effet spectaculaire. Pire encore (pire en termes de respect du cahier des charges virtuel de la série à la mode), elle ose regarder ses personnages, leur donner le temps de vivre, d'exister, plutôt que de les soumettre au totalitarisme de ce fameux "scénario" qui est devenu le despote tout-puissant du genre.
Nous avons donc droit ici à deux personnages principaux "difficiles" (tous deux magistralement "sous-interprétés" par ces deux acteurs improbables que sont Gillian Anderson et Jamie Dorman), une enquêteuse "reine des glaces" et un serial killer banal et indéchiffrable, que nous allons suivre au long de 5 épisodes au rythme suspendu. "The Fall", dans sa première saison au moins, ne s'intéresse pas non plus particulièrement à la "psychologie" de ses personnages ou à la "sociologie" des différents microcosmes qu'il décrit - encore que l'atmosphère lugubre de Belfast paraît judicieusement retranscrite - mais nous décrit froidement le déroulement absurde et les causes néfastes des actes des différents protagonistes, souvent portés par une logique qui nous échappe au moins partiellement. S'ensuit chez le téléspectateur accro une profonde fascination… même si on imagine bien que le "grand public" a probablement trouvé tout cela affreusement vide et ennuyeux.
Voilà en tout cas une série remarquable, qui nous rassure quant à la capacité du genre à produire de véritables "œuvres cinématographiques" sans budget dispendieux ni renfort marketing.
[Critique écrite en 2018]
Saison 2 :
Je trouvais cela a priori improbable mais Alan Cubitt a réussi à ce que la seconde saison de son "The Fall" soit encore meilleure que la première, et frôle même la perfection, si l'on excepte le dernier épisode malheureusement un peu laborieux... Et il a fait ça en exacerbant encore les partis pris de la série du refus des facilités habituelles du thriller, en ralentissant encore le déroulement d'un scénario heureusement réduit à l'essentiel (les autres fils narratifs, parfois criticables car plus simplistes, sont désormais abandonnés), et se concentrant sur l'impact de l'action sur l'être humain. Le personnage fascinant interprété par Gillian Anderson laisse entrevoir ses faiblesses humaines derrière le masque de dure et froide perfection qu'elle portait jusqu'alors, sans pour autant tomber dans les clichés psychologiques à la petite semaine qui caractérisent tant de séries TV. Jamie Dorman mérite une fois encore tous les éloges pour son interprétation toute en retenue d'un "monstre", adepte du contrôle absolu qui voit sa "domination du monde", jusque là parfaitement établie, s'effondrer sous les coups d'un hasard malin...
Le résultat est tout simplement sidérant d'intelligence et de subtilité, sans pour autant manquer de pics émotionnels, comme les éprouvantes vidéo de la jeune femme séquestrée. Pourvu que ces choix soient confirmés dans une dernière saison, dont on peine d'ailleurs à imaginer le sujet, et "The Fall" pourrait bien entrer dans le Top 10 des meilleures séries TV modernes.
[Critique écrite en 2018]
Saison 3 :
Ah, cette fameuse troisième saison de "The Fall", tellement décriée ! Il ne s'y passe rien, on s'y ennuie, etc. Pas faux, pas faux, et pourtant… Qui a jamais dit, hormis les (nombreux) fans du cinéma de divertissement hollywoodien, que pour être bon, voire grand, le Cinéma (et par extension la Série TV...) devait être trépidant ? Ce qu'ose Cubitt ici, et qui est ma foi, sacrément culotté, c'est nous montrer ce qui se passe après. Après le mot fin de 99,9% des récits de fiction : quel a été l'impact du drame sur ses protagonistes, quelle pourra être la suite de leur vie, s'il y en a une… et puis aussi l'éternel retour sur ces questions qui hanteront tous ceux qui ont croisé la route de "l'étrangleur de Belfast" : qu'est-ce qui a pu faire qu'on en soit arrivé là ? Une démarche complexe, inhabituelle, qui passe par un scénario complexe qui suit en parallèle l'enquête dans le passé de Paul Spector, les tentatives d'un cabinet d'avocat pour sauver leur client insauvable, le lent effondrement de 'inspectrice Gibson dont les fêlures des saisons précédentes sont devenues des gouffres, et l'ultime manipulation (ou pas) du psychopathe, jouant d'une amnésie dont nous ne saurons jamais - et c'est très bien comme ça - si elle était simulée ou non. Le dernier épisode, saisissant, met un terme à ce long voyage d'une vingtaine d'heures dans ce que l'on pourrait appeler "les coulisses" du récit désormais trop classique de "serial killer", et nous donne envie d'écrire que, après "The Fall", il sera bien difficile d'aller plus loin dans le genre.
[Critique écrite en 2018]