Un jour Youtube m’a proposé une production de ce gars.
Je venais de m’enfiler une vidéo sur le travail de Roger Deakins dans « 1917 » et l’algorithme a jugé pertinent de me conseiller dans la foulée une critique de ce « The Film Talker » intitulée « 1917 – Critique ! Un film écrasé par sa prouesse technique ? »
La tronche de ce mec me disait quelque-chose. Il me semblait bien l’avoir déjà vue sur une autre chaîne faire son bébé Durendal avec son cousin, enchainant comme à l’accoutumée les reviews plates sans aucune analyse ni profondeur. Un de ces gars qui se dit que si Durendal peut le faire, alors pourquoi pas lui… (Et c’est vrai que tout le monde peut faire ce que fait Durendal, mais ça ne veut pas dire pour autant que tout le monde doit le faire…)
Je n’avais aucune raison de lancer cette critique sur « 1917 ». Mais je me suis souvenu qu’une fois, un de mes éclaireurs SensCritique m’avait dit – alors que nous parlions justement de critiques cinéma sur YouTube – que de tous les bébés Durendal « The Film Talker » faisait partie de ceux qui méritaient tout de même d’être sauvés. Alors j’ai fait confiance. J’ai lancé. J’ai regardé…
Qu’a-t-il été dit ?
Bah rien de surprenant : il n’a fait que dire du Durendal.
Des impressions personnelles d’abord : « d’habitude j’aime bien Sam Mendes mais là je n’ai pas trop aimé blablabla… » Une minute de perdue.
Et puis il nous fait le traditionnel résumé qui ne sert à rien. Parce que bon, soit on a déjà vu le film et on sait de quoi ça parle. Soit on n’a pas vu le film et on peut supposer que si on prend la peine de se rencarder sur les avis des gens, c’est qu’on s’est déjà un minimum rencardé sur le film en lui-même. Lire le pitch de « 1917 » ça prend 20 secondes et c’est efficace. Ecoutez « The Film Talker » faire le pitch de « 1917 », ça prend le double et c’est laborieux.
Et puis vient donc le fameux moment de « l’analyse » ; celui durant lequel « The Film Talker » va chercher à confronter des arguments factuels pour répondre à sa problématique : « le film est-il écrasé par sa prouesse technique ? »
Résultat ?
Eh bien « Film Talker » commence par dire qu’il trouve que le film « n’arrive pas à dépasser son postulat ». D’accord. Une affirmation. Attendons de voir sur quoi ça s’appuie… Ah bah non il n’y a pas d’argumentaire , on enchaine tout de suite derrière sur une autre affirmation : « La narration est écrasée par la prouesse technique ». OK. Un argument pour celle-là ? Ah bah non encore une affirmation dans la foulée : « L’histoire n’a jamais décollé ». Soit. Mais pourquoi ? Tu peux nous expliquer où tu te contentes juste de nous faire tes déclarations de sentiments personnels en mode « j’aime la vanille et pas le chocolat » ?
M’enfin bon, désolé de vous spoiler mais tout le reste est du même tonneau : « Il ne se passe pas forcément des choses super-intéressantes » (Ouais, de ton point de vue.) ; « les personnages sont jamais vraiment confrontés à des dilemmes ou des choix moraux » (faux, il y a notamment le moment où les deux héros se demandent s’ils doivent sauver le pilote ennemi des flammes) ; « ce film n’a pas de point de vue sur la guerre » (si, il en a un, mais encore faut-il prendre la peine de comprendre que la narration au cinéma peut aussi exister en dehors d’un schéma actantiel balourd à la Disney.)…
Toutes ces affirmations sont à chaque fois gratuites ; jamais argumentées.
On reste dans le simple avis du voisin de palier. Quoi que. Je dis ça mais moi, mon voisin de palier,il est capable d’argumenter son point de vue. Donc bon…
Alors OK, le mec met des lunettes, il parle lentement comme s’il prenait le temps de peser chacun de ses mots, et il met des titres sous forme de problématique à ses critiques, mais ça ne veut pas dire pour autant que ce mec produit de la pensée. D’ailleurs, au sens littéraire du terme, ce mec ne fait même pas de critique. Il donne juste un avis arbitraire ; avis arbitraire qui d’ailleurs ne repose jamais sur du cinéma, mais juste sur de l’émotion.
Parce que, pour reprendre l’exemple de la critique de « 1917 », que retenir du principal problème du film selon « The Film Talker » ?
En gros ça tient en ça : on ne se prend pas « d’empathie pour les personnages » ; « ça ne raconte pas quelque-chose de fort sur les personnages » ; il n’y a pas suffisamment de « questionnements moraux »…
Donc super… En fait le mec voulait un dessin-animé Disney. Il voulait de la chialade.
Top level niveau exigence cinématographique…
Après avoir vu ça, moi – forcément – je suis allé sur SensCritique et j’ai mis 1/10.
1/10 parce qu’on ne peut pas mettre zéro. Mais perso pour moi ça vaut zéro.
Encombrer les serveurs de Google avec des heures de vidéo 1080p qui se contentent juste de filmer la tronche d’un gars qui passe son temps à dire « j’aime bien les licornes mais je suis un peu moins fan des loups-garous », ça va bien deux minutes…
Moi ça ne me dérange pas qu’on poste son avis sur Internet, quel qu’il soit, mais qu’au moins on prenne la peine de réfléchir à l’endroit et à la forme.
Or, je suis désolé, quand ce qu’on a c’est juste un avis primaire qui est le simple produit d’un ressenti basique (et je dis vraiment ça sans jugement, moi aussi ça m’arrive de me livrer à ça) eh bah on fait son petit post Facebook, on lâche son petit tweet (150 caractères je pense que c’est largement suffisant pour dire « 1917 c’est techniquement très joli mais je trouve que ça manque d’empathie et de dilemmes moraux. ») ou bien encore – si éventuellement on se sent épris d’une démarche collective et pas seulement individuelle – on peut carrément aller jusqu’à poster une note sur un site qui agrège les avis ou les critiques.
Et c’est tout.
Moi j’en ai ras la raie que des mecs osent te parler de cinéma en utilisant un format vidéo totalement vide, ne se rendant même pas compte du paradoxe de la démarche. Et puis surtout j’en ai marre que la vidéo ne soit au fond qu’un prétexte pour se mettre en avant soi plutôt que de mettre en avant le cinéma. Alors moi, toutes ces thérapies nombrilistes sur Youtube je dis juste non et je mets 1.
…Seulement voilà. En mettant 1, des éclaireurs sont encore revenus à la charge pour défendre ce gars !
Quand on m’a demandé pourquoi un tel jugement lapidaire et que j’ai répondu ce que je viens d’écrire ici, on m’a répliqué que « The Film Taker » ce n’était pas seulement des critiques ! C’était aussi des rétrospectives très abouties ; de vrais moments d’analyse sur des auteurs ; et que c’était là qu’on voyait vraiment la plus-value du gars.
Alors soit. Moi ça ne me dérange pas de me déjuger si je me rends compte que je suis allé un peu vite en besogne. Alors je suis allé voir ces fameuses rétrospectives…
J’en ai vu deux. Celle qu’on m’a conseillée sur De Palma. Et celle qui a finalement motivé ma critique : sa récente rétrospective sur Sergio Leone.
Cette rétrospective sur Sergio Leone, elle dure 33 minutes.
Dans le titre, il y a marqué : « Analyse et secrets de tournage ».
Et puis la vignette représente notre cher « The Film Talker » en train de faire la pose du penseur…
Mmmh… Effectivement, là, plus d’erreur possible : il va y avoir du contenu…
L’introduction de la vidéo annonce d’ailleurs la couleur : le gars nous présente Leone comme un « précurseur », un « inventeur de forme » (?), voire carrément comme quelqu’un qui a « réinventé la grammaire cinématographique »… Donc visiblement, on a bien l’air d’être partis pour parler de forme, de grammaire… De cinéma quoi…
Malgré cette promesse là, la vidéo va préférer commencer par un petit point Wikipedia sur les origines de Sergio Leone si bien qu’il va falloir en fait attendre 3 minutes et 40 pour qu’on se mette enfin à parler de cinéma ; moment à partir duquel le « Talker » décide d’aborder le premier long-métrage de Leone : « Le colosse de Rhodes ».
Qu’en est-il dit ?
Eh bien que ce film détourne les codes du péplum en en faisant un film d’espionnage. (Ah…) On nous avance comme preuve le fait que le héros soit un homme qui « se retrouve malgré lui mêlé à un complot visant à faire chuter le pouvoir en place » (Ah bon ? C’est du cinéma d’espionnage ça ?), ce qui ferait du coup du « Colosse de Rhodes » un « péplum hitchcockien vaguement inspiré de "La mort aux trousses" » (Ah ? Et ça sort d’où ça ? Il va y avoir une analyse ? Une comparaison ? Ah bah non… Visiblement c’est juste un truc lu quelque-part qui est juste casé là comme ça. Faut faire confiance…)
En tout « le colosse de Rhodes » aura eu le droit à 33 secondes de commentaires « analytiques » avant qu’on ne passe à autre chose…
C’est tout de même un peu court jeune-homme…
Mais bon, soyons patients.
Voyons la suite.
Voilà qu’après moins de cinq minutes de vidéo (douche comprise) « Film Talker » aborde le virage de Leone vers le western.
Encore une fois on a le droit à un effet d’annonce : « personne ne se doutait alors que ce jeune réalisateur allait dynamiter et révolutionner un genre aussi essoufflé. »
Ah ouais, carrément… Et elle tient à quoi la révolution d’après notre brillant analyste ?
Eh bien elle tient d’abord – et encore une fois – à des influences extérieures nommées mais jamais expliquées et surtout très rarement démontrées (trois plans d’une seconde chacun sont mis côte-à-côte – d’ailleurs sûrement pompées sur d’autres vidéastes YouTube qui ont fait le boulot à sa place – et ça ne va pas plus loin). Et puis après ce n’est que de l’anecdote et de la glose qui ne dit pas grand-chose… On nous affirmera par exemple que le moment où Clint Eastwood se relève de son duel où il a pourtant été abattu tient de la « résurrection christique ». Moi, quand j’ai entendu ça j’ai juste eu envie de répondre deux trucs : « Mouaif… » et surtout « Et alors ? »
En tout et pour tout, on se tape quatre minutes de commentaires et à la fin, les seuls éléments qui viennent appuyer la thèse de la « révolution formelle » et du « dynamitage des codes » tiennent en seulement deux phrases : « Leone alterne les cadres très larges puis des plans très rapprochés qui permettent d’iconiser l’acteur » et « il donne au spectateur une expérience jouissive de la violence comme avec ce plan semi-suggestif où la caméra épouse le point de vue d’un pistolet et permet au spectateur de vivre la brutalité de l’Ouest comme une expérience ludique… »
Non mais y’a que moi que ça interpelle ça ?
Outre l’approximation du vocabulaire cinématographique (mais bon, passons encore, ce n’est pas ce qui me dérange le plus), ce qui me choque c’est qu’en tout et pour tout, la « révolution Leone » se retrouve ici réduite qu’à ces deux faméliques, marginales – voire presque discutables - informations !
Tout le reste de la vidéo est de la même saucée !
33 minutes d’un mec qui s’est juste contenté d’aligner les films, de semer quelques anecdotes par-ci par-là, et de broder le tout avec quelques captures du film et beaucoup de bullshiteries gloseuses à base (toujours) de jugements moraux et d’affirmations arbitraires sur ce que certaines scènes sont censées nous faire ressentir !
33 putain de minutes !
Mais les gens qui ressortent de ça, qu’est-ce qu’ils en gardent franchement ?
Ils ont vraiment l’impression que la vidéo leur a appris à voir le cinéma de Leone autrement ?
Ils ont vraiment l’impression d’avoir appris des trucs autre que de l’anecdote ?
Ils ont vraiment pris ce gars au sérieux quand il a parlé des impasses mexicaines comme étant des « triels » (parce qu’un duel c’est à deux, donc un duel à trois ça doit être un triel hein…) ?
Non mais sérieux ?!!
Alors d’accord, il ne doit pas être méchant ce mec et je suis sûr qu’il est animé du feu de la passion de dieu quand il fait ses montages, persuadé qu’il côtoie les génies du septième art sitôt il pose ses cuts en adéquation avec la rythmique de sa musique d’accompagnement…
Mais bon, il va falloir se réveiller un peu là !
Et quand je dis ça je ne m’adresse même pas à « The Film Talker » mais aux gens qui le regardent et qui me disent « ah quand même, lui il est au-dessus du lot ! »
Mais de quel lot on parle là, franchement ?
Qu’est-ce qu’on attend d’un vulgarisateur ?
Est-ce qu’on attend vraiment de lui qu’il nous fasse en vidéo ce qu’on a la flemme de lire soi-même sur Wikipedia ?
Et encore je dis ça mais je suis persuadé qu’on apprend plus de trucs en lisant la fiche Wikipedia de Sergio Leone qu’en regardant cette vidéo ! Au moins sur la fiche Wikipedia on doit certainement utiliser le vocabulaire approprié avec des liens hypertextes qui nous permettent d’avancer un peu dans notre maitrise des outils de compréhension du cinéma !
Allez voir « Nerdwriter » ou bien encore « Every Frame A Painting » et osez me dire après ça que « The Film Talker » c’est juste un peu moins bien !
Non ! Ce n’est pas juste un peu moins bien !
Ça n’a juste RIEN à voir.
D’un côté on a « Nerdwriter » qui fait des vidéos concises, focalisées sur un élément de cinéma, avec une démonstration clairement énoncée et surtout richement illustrée et argumentée. On ressort de là, on « voit ». Et on voit parce qu’on vient de nous apprendre à voir ! Et si jamais on retombe sur le film évoqué, notre façon de le percevoir et de le ressentir va changer !
Et de l’autre côté on a « The Film Taker », le mec qui nous aura barbé de pleins d’anecdotes insignifiantes qui ne nous serviront à rien durant notre visionnage. Perso, je ne suis pas sûr qu’en revoyant Clint Eastwood se relever dans le duel final, je m’écrirai : « Ha mais oui ! Révélation ! C’est un clin d’œil à la résurrection christique ! C’est tellement évident que c’est ça qui rend Clint trop bad-ass ! Ça et l’alternance entre plans rapprochés et plans larges bien sûr ! »
Non mais sérieux les gars…
Ce mec est au cinéma ce que « Nota Bene » est à l’Histoire.
C’est juste quelqu’un qui n’y connait rien mais qui est persuadé qu’en lisant quelques fiches Wikipedia sur un ton sérieux il se rapprochera des plus grands savants de son domaine.
Ce mec c’est juste un Durendal.
C’est un InThePanda.
C’est un Regelerigolo.
Ce n’est rien de plus qu’un mec qui parle pour parler.
Un mec qui parle mais qui ne dit rien.
D’ailleurs le choix de son pseudo au fond dit tout.
« The Film Talker ».
Est-ce que ce mec sait au moins parler anglais ?
Est-ce qu’il sait qu’en anglais, « Talker » ça veut dire « pipelette » ; « mec qui parle dans le vent » ?
Et puis « The Film Talker », littéralement, ça devrait être traduit par « la pipelette de film », voire même « la pipelette du film ».
Passablement ça ne veut rien dire. Mais mieux encore, je pense que c’est à des années-lumière de ce que ce mec voulait traduire !
Eh bah j’ai presque envie de dire « bien fait ».
Passer pour un con, c’est le prix à payer quand on se risque à parler une langue qu’on croit maitriser mais qu’on ne maîtrise pas du tout.
Alors certes les ignorants se laisseront peut-être berner.
Mais bon, après si les gens préfèrent rester dans leur caverne avec pour seule compagnie cette « pipelette du film », au fond c’est eux que ça regarde…