Il y a énormément à dire sur The Jinx, aussi bien sur la forme que sur le fond et son invraisemblable final. "Jaw-dropping", disait la presse américaine. Et il y a de quoi rester stupéfait(e) devant ce moment de télévision comme on en voit rarement : la sensation de vivre l'évènement en direct, le spectateur voyeur à son paroxysme.
Avant d'en arriver là, The Jinx est un documentaire très bien monté, jouant sur le suspens avec habileté, plongeant immédiatement le spectateur dans la réalité de l'investigation policière. Si True Detective avait été filmé sous la forme d'un documentaire, il se serait appelé The Jinx. Déjà dans True Detective, la moitié de la première saison présentait les marques du documentaire, par cette intrigue de recollections au travers d'interviews des deux policiers. Et le générique d'ouverture de The Jinx, dans sa musique et la superposition d'images, rappelle clairement sa célèbre cousine de chez HBO. Et ce sont bien à de vrais détectives auxquels on a affaire ici. Moustachus, un peu gras : la réalité n'est pas McConaughey et Harrelson.
L'enquête est cependant bien différente, celle de The Jinx ressemblant davantage à un fait divers de Faites entrer l'accusé. Trois meurtres, un suspect, une lettre macabre, un personnage énigmatique. Il ne manquerait presque que le sosie américain de Christophe Hondelatte pour transformer la série en beauferie faussement dramatique.
Mais The Jinx évite habilement cela, la réalisation reste captivante et par l'intimisme des interviews de Robert Durst lui-même, on se sent assis dans la pièce avec lui, on peut sentir la réalité de la situation, bien loin des meurtriers psychopathes d'Hollywood. Celui-ci est un bien curieux personnage, à la fois terrifiant par ses (prétendus) actes totalement fous (l'une des victimes a été démembrée !) et son attitude nonchalante, sa bonhommie qu'il traîne dans les rues de New York. Un vieux monsieur à qui on sourirait dans la file chez le pharmacien. Quelqu'un comme nous, mais en plus riche. Pourtant, sans que la série ne prenne jamais clairement parti, sa culpabilité ne semble faire aucun doute, ce qui rend son regard sans le moindre remord particulièrement glaçant.
Mais voilà, après 5 épisodes et 3h45 de témoignages et reconstitutions, le souvenir de Faites entrer l'accusé s'installe peu à peu, et la qualité de sa réalisation a perdu de son charme... Il faudra bien cet incroyable épisode final pour scotcher littéralement le spectateur devant son écran.
Sans cela, comment aurait bien pu finir ce documentaire ? Il paraîtrait curieux que les auteurs aient voulu faire une série si longue, sur un fait si divers, sans avoir préalablement préparé une fin. Sans cette fin-ci, la série se serait clôturée sur un fondu au noir de Robert Durst, et Christophe Hondelatte disant : "Robert Durst est-il coupable ? Le mystère reste entier..."
On peut alors s'interroger sur la scénarisation des événements. Il semble peu probable que cette clé décisive ait été vraiment découverte comme le documentaire le présente. Il parait même incroyable que personne n'ait pensé à comparer la lettre plus tôt ! Peut-être les auteurs ont-ils même été en possession de cette information avant le tournage de la série, s'interrogent certains journaux américains, et de fait auraient manipulé Durst et le spectateur (et la Justice) durant ces longues heures. Mais une fois la sensation de trahison pardonnée, la série prend alors un aspect tout à fait révolutionnaire : la série policière réelle tournée comme une fiction.
Alors que le genre documentaire est une reconstitution d'un événement passé, The Jinx, lui, le crée et le filme en direct. C'est je pense tout à fait unique dans l'histoire du genre.