Saison 1 :
Portée par des critiques quasi unanimement élogieuses, "Forbrydelsen" n'est pourtant pas exempte de défauts, le plus important étant sa longueur : près de 20 heures (correspondant à 20 jours) pour résoudre une énigme, aussi passionnante soit elle, c'est vraiment trop, et cela force les scénaristes à multiplier de façon trop systématique les fausses pistes et les erreurs des enquêteurs pour "meubler" des épisodes qui finissent par se répéter. Cela a aussi le désavantage de garantir que la révélation finale, même en ménageant assez de zones d'ombre et de désillusion - cette première saison finit plutôt mal, laissant un goût d'amertume... et c'est une de ses qualités -, sera une (légère) déception par rapport aux schémas paranoïaques qui auront été érigés durant près de 20 heures : l'aspect politique de l'intrigue, tournant autour d'une élection municipale aux péripéties particulièrement retorses, est vraiment ce qu'il y a de mieux ici, la seconde partie de la saison se révélant d'ailleurs magistrale de ce point de vue. Ceci dit, les qualités de "Forbrydelsen" sont immenses, à commencer par l'impénétrabilité (danoise ?) des personnages, tous taiseux et ambigus, portés par des interprètes presque tous impeccables (Sofie Grabol et Lars Mikkelsen en tête), et surtout cette tenue morale et esthétique obstinée de la série, qui s'en tient à quelques principes salutaires : l'obscurité des nuits hivernales de Copenhague, le refus des ficelles classiques du thriller, la recherche d'une ambiance épuisée et parfois épuisante pour le téléspectateur, tout cela donne le sentiment d'assister à une œuvre importante, par delà les limites du genre et du format.
Saison 2 :
Il n'est pas certain qu'une réussite aussi singulière que "Forbrydelsen" appelait une suite, aussi Soren Sveistrup et son équipe se sont - intelligemment - remis à l'ouvrage pour cette seconde saison en se rapprochant beaucoup plus des canons du genre. Plus question désormais de longue introspection des sentiments et de la vie privée de plusieurs personnages, place à l'efficacité fictionnelle du thriller classique : Lund revient aux affaires avec un nouveau coéquipier pour traquer un assassin liquidant des militaires revenus d'Afghanistan, tandis qu'un homme politique novice tente de conserver un semblant d'éthique au milieu du scandale causé par cette affaire. Le suspense monte en puissance au long de 5 épisodes pas très passionnants, avant d'atteindre de nouveaux paroxysmes dans les 5 derniers, l'affaire de cette seconde saison se bouclant en moitié moins de temps que celle de la première. Le contrat passé avec le spectateur est donc rempli, mais on ne peut s'empêcher de se sentir un peu frustré : on est passé très sensiblement de la chronique ultra réaliste au thriller lambda, et avec la lenteur et la noirceur soigneusement "corrigées" cette fois (il y a même pas mal de soleil et de lumière dans cette seconde saison, sans doute par souci de renouvellement), la splendide singularité de "Forbrydelsen" s'est évanouie. Heureusement, notre fascination pour Sara Lund, génialement autiste, effrayante à force d'être obsessive, a elle tenu le coup.
Saison 3 :
J'ai très envie de dire que cette impitoyable troisième et dernière saison de "The Killing" est la meilleure des trois. C'est en tout cas grâce à sa conclusion parfaite, rageante, bouleversante, d'une noirceur inédite dans le monde des séries TV de quelque nationalité que ce soit, que "The Killing" passe définitivement à la postérité comme une sorte de modèle absolu du thriller contemporain. Les scénaristes s'y montrent particulièrement inspirés tout au long de 10 épisodes sans baisse de tension et, comme toujours, sans facilités excessives dans la manipulation du téléspectateur : la partie politique seule souffre d'un sentiment de redite par rapport aux deux premières saisons, sinon on est dans une sorte perfection en termes de complexité narrative et émotionnelle. Car cette fois, ce sont 4 courants qui s'entremêlent pour créer un récit envoûtant : la vie privée de Sarah Lund, qu'elle essaie pour la première fois de "sauver" - en vain, on s'en doute -, mais aussi le monde des affaires, avec ses joueurs franchissant la "ligne jaune" dans leur collusion avec les politiques en cette époque de crise économique, viennent enrichir en permanence un thriller construit sur la résolution de deux affaires, présente et passée, inextricablement liées. Mais c'est avant tout la terrible conclusion qui marquera les esprits : une conclusion dévastatrice, mais lucide, qui montre que les hommes de pouvoir ne sauraient échapper aux compromis, même les plus honteux. Et qui nous dit surtout que nul ne peut échapper à sa propre nature : Sarah Lund, après avoir passé 10 jours à essayer de devenir quelqu'un d'autre, commet finalement l'irréparable... et gagne du coup sa place dans notre panthéon personnel des grandes héroïnes tragiques. "The Killing" est immense.