En Août dernier, Cinemax diffusait le pilot de cette nouvelle série réalisée par Steven Soderbergh, auteur du brillantissime « Traffic » qui m’a marqué tant par son réalisme que par ses filtres visuels tantôt chauds, transpirants d’intensité et d’angoisse et tantôt glaciaux pour illustrer la violence à l’état brute. The Knick ne dérogera pas à la règle et s’avère même être un ovni à une époque où les séries créatives descendantes de l’âge d’or de HBO se multiplient avec récemment Fargo et The Leftovers.
Souliers blancs immaculés qui constituent à eux seuls l’antithèse parfaite du personnage fascinant de John « Thack » Thackery (Clive Owen), chirurgien en chef du « Knick » et génie de son époque gangréné par son addiction à la cocaïne et à l’opium. Pour preuve, nous découvrons son personnage dans un contexte qui pose directement les bases de la série : au sortir d’un bordel, venant de s’injecter de la cocaïne entre ses deux orteils, Thack se rend au bloc opératoire afin de mener une intervention qui consiste à sauver une jeune femme enceinte et son fœtus de huit mois. Nous nous situons à New York au début du XXème siècle où la société est ravagée par les épidémies et la corruption.
L’opération se déroule dans un amphithéâtre d’un blanc toujours immaculé devant une dizaine de confrères étudiant les méthodes innovantes mises en place au Knick. Celle-ci tourne rapidement au désastre et ce bloc opératoire immaculé est souillé par le sang, le spectateur est horrifié par ces gros plans insistants et perturbants sur les organes et les tripes des patients opérés. Ce blanc souillé par le sang est la métaphore parfaite de cette société New Yorkaise du début du XXème siècle plongée dans l’obscurité par les épidémies, la corruption, le racisme et la ségrégation raciale ainsi que l’inégalité aigüe des sexes. Ce nuage de matière noire opaque est cependant quelque peu transpercé par des faisceaux lumineux traduits par des tendances progressistes émergentes ainsi que par le progrès de la médecine et de la chirurgie de l’époque.
John Thackery est la personnification de cette obscurité transpercée, c’est un anti héro solitaire rongé par ses démons et ses addictions multiples (sexuelles, drogues dures) faisant preuve tantôt de relents racistes, notamment envers son brillant subordonné Algernon Edwards, tantôt de pensées progressistes et même d’attachement et de bienveillance. Steven Soderbergh nous livre ici une de ses réalisations les plus abouties en termes de photographie avec des filtres froids pour retranscrire l’atmosphère lugubre et insalubre de l’époque. Oui, The Knick est un drame, non ce n’est pas à classer dans la même catégorie qu’un soap médical aussi sommaire que Greys Anatomy car nous avons-là du très grand cinéma sur petit écran (terme quelque peu réducteur quand on sait qu’il a connu de grandes œuvres intemporelles, surpassant les limites du 7ème art).
The Knick fait preuve d’un réalisme mordant dans sa retranscription de la société New Yorkaise de cette époque, dans ses thèmes abordés, ses références historiques et culturelles, notamment le personnage de Thackery inspiré de William Halsted, un des plus grands chirurgiens et chercheur de son époque et également intoxiqué par la cocaïne. Cependant, la bande son grandiose signée Cliff Martinez apporte un anachronisme, une dimension au-delà du réalisme de la série, on se retrouve avec des musiques d’ambiance électroniques anxiogènes qui accompagnent à merveille les scènes de tourmente du docteur Thackery, l’œuvre de Soderbergh perdrait quelque chose de précieux et unique sans cette bande-son. The Knick est une œuvre hybride qui atteint des sommets en termes de réalisation et d’écriture et qui satisfera les plus exigeants des spectateurs, qui pourraient néanmoins se montrer réfractaires avant de saisir le génie de celle-ci.