Saison 1
Quand, il y a un peu plus d’un an, Steven Soderbergh annonçait mettre un terme à sa carrière cinématographique, on pouvait presque faire une analyse de cette décision plutôt surprenante de l’un des cinéastes les plus prolifiques de la dernière décennie : suite à l’enfer de production que fut Behind the Candelabra, aucun studio ne voulant donner des fonds à un film jugé trop « gay », Soderbergh se rabat sur la chaîne à péage HBO. Oui, parce que même si cette vérité a tendance à s’estomper de plus en plus, beaucoup de réalisateurs reconnus le répètent : si vous voulez pouvoir créer librement, l’unique solution, aujourd’hui, c’est la télévision. Quoi de plus logique, un an plus tard, de retrouver Soderbergh à la réalisation d’une série diffusée sur Cinemax, antenne du groupe HBO ?
The Knick est une série brutale. Traiter de la médecine moderne par le prisme de ses origines – un hôpital new-yorkais du début du XXème siècle – implique forcément une certaine violence visuelle. Car si au moins une ou deux fois par épisode, Soderbergh met en scène de la chirurgie, sa réalisation n’est, quant à elle, jamais chirurgicale. Le sang coule, les organes envahissent le cadre, les mains se salissent. C’est sans aucun doute le plus grand intérêt de la série : cette manière de montrer, sans tabous ni censure, la réalité scientifique de cette époque. L’ensemble contraste drastiquement des habituelles séries médicales auxquelles la télévision américaine nous a habitués. Au-delà de ça, la première saison de The Knick présente ses limites assez régulièrement : intrigue peu intéressante, épisodes n’apportant rien d’autre que de l’ennui, développement de personnages laborieux (les péripéties d’Herman Barrow sont à cet égard mal exploitées). Pourtant la mise en scène est splendide, ingénieuse et cohérente, du choix de la bande-originale jusqu’au cadrage froid et glauque, de l’intelligence de Soderbergh pour ce qui est d’entamer et de couper une scène, de jouer sur le non-dit, le sous-entendu et l’induit, tout en restant visuellement subversif, sans parler de cette classe cinématographique inégalable qu’il apporte au show. Les acteurs sont excellents, Clive Owen en tête, tous bien dirigés jusque dans les plus obscurs seconds rôles.
Mais voilà : The Knick échoue dans la durée, alternant des épisodes et des scènes proches du chef d’œuvre (le fabuleux septième épisode) avec des passages à vide dignes des plus mauvaises pénultièmes saisons. Difficile de parler de potentiel mal exploité, car il n’y a objectivement rien à dire sur la mise en scène et la direction d’acteurs, mais on peut qu’espérer que la deuxième saison apporte avec elle un scénario plus accrocheur et moins vain.
N’en demeure pas moins qu’on reste devant une franche réussite. Sans pour autant être un incontournable, The Knick est l’une des nouveautés les plus originales et appréciables de l’année. Démonstration évidente de talents multiples, vent d’air frais dans le panier si calibré des séries médicales et des period dramas, on sait qu’il y a les moyens de faire de la nouvelle série Cinemax une grande œuvre. Mais il faudra encore faire ses preuves et confirmer ses qualités l’année prochaine.
★★★★★★☆☆☆☆
Saison 2
The Knick est une série singulière – non seulement pour des raisons créatives, mais aussi parce qu’elle est une série d’auteur. Un homme en son centre, Steven Soderbergh, autour duquel semble pivoter toutes les réussites artistiques du show automnal de Cinemax : de la mise en scène au scénario, en passant par le casting et la musique, tout porte la patte de l’un des (ex-)cinéastes les plus éclectiques du paysage audiovisuel américain.
The Knick repousse des limites – elle n’en a, à vrai dire, aucune. Portée par un état de grâce quasi-constant depuis son pilote, elle se plonge chaque semaine, pendant une heure, dans un univers situé quelque part entre le drame au réalisme troublant, le thriller aux effets anachroniques et l’œuvre d’art moderne à la construction parfois proche de l’expérimentation pure. Rares sont les séries qui tentent vraiment quelque chose, s’essayant à la fois à poser les bases d’une forme inventive, mais aussi à continuer de l’explorer au fur et à mesure que les épisodes passent.
C’est bien pour cela que The Knick est imparfaite. A tout tenter, elle ne peut tout réussir – mais sans ces tares, elle ne pourrait revêtir cette ambition hallucinante dont elle fait preuve. Si la première saison s’était enfermée dans une forme parfois castratrice, ce second acte ne connaît pas de barrières. The Knick ne ressemble à rien de connu, et c’est là sa plus grande qualité – c’est en cela qu’elle est importante et qu’on pourrait presque parler, avec toutes les précautions que ce titre impose, d’un chef d’œuvre.
Alors que l’on attend toujours l’annonce d’une troisième saison (qui, on l’espère, ne saurait que tarder), on ne peut qu’exhorter les plus curieux à découvrir ce qui est probablement l’un des objets télévisuels les plus transcendants du moment. On pourrait écrire des pages sur ce qui ne va parfois pas dans The Knick (certaines storylines et personnages, notamment), mais ce serait regarder de façon bien condescendante une série aussi courageuse et importante. Fascinant.
★★★★★★★★☆☆