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Comme tout succès télévisuel, le tsunami Game of Thrones s’est accompagné de bon nombres d’ersatz à son image, et dans le cas présent des shows à résonance médiévale : des séries historiques ou pseudo-historiques, de la fantasy et du soap pirate – de Vikings à Black Sails, en passant par Odysseus, Marco Polo ou Of Kings and Prophets – même si certaines se suivent avec plaisir, aucune n’a jamais véritablement brillé. C’est donc à chaque fois avec pas mal d’appréhension que l’on se lance dans ces nouveautés aux sorties désormais quasi mensuelles : en septembre déjà, c’était le The Bastard Executioner de ce bon vieux Kurt Sutter qui ridiculisait complètement son auteur et sa chaîne en proposant une bouillie visuelle beauf et cheap dont le seul intérêt était de voir ce pauvre Matthew Rhys déguisé en Merlin l’enchanteur du dimanche. Même si on avait vaguement entendu parler de The Last Kingdom, il était certain que la nouvelle création de BBC America n’engageait aucun réel buzz en préambule de son lancement : adaptée d’une saga de romans issue de la plume du britannique Bernard Cornwell, on avait vite catalogué la série comme un sous-Vikings venu des tréfonds du câble US.


Quelle surprise donc de se retrouver, et ce dès le pilote, devant ce qui est probablement l’un des divertissements les plus accomplis de ces dernières années, et sans doute la meilleure production post-Game of Thrones (bien loin devant Vikings à laquelle on l’a pourtant très souvent comparé). Pourtant ce n’était pas gagné, parce que The Last Kingdom démarrait son voyage avec des malus évidents : entre approximations historiques et vision très manichéenne des conflits culturels et religieux qui rythmaient cette époque (très présents dans les bouquins dont la série s’inspire), on pouvait déjà entrapercevoir l’ombre des facilités scénaristiques et des intrigues en carton.
Très vite, c’est étrangement son écriture qui se révèle être la force de The Last Kingdom. Il faut savoir que cette première saison adapte deux livres complets, ce qui permet aux scénaristes d’adopter un rythme rapide, énergique, et surtout fortement elliptique (si on excepte le bond dans le temps du pilote, ces huit épisodes se déroulent sur au moins quatre ou cinq années). De cette générosité dans l’action se dégage un rythme quasi-romanesque, un aspect fresque où les personnages apparaissent et disparaissent, évoluent et se métamorphosent en suivant le mouvement d’un mécanisme parfaitement huilé. Tout va vite, mais tout n’est pas illisible – devant The Last Kingdom, on n’a pas le temps de s’ennuyer. Il n’y a pas de fillers, pas de sous-intrigues superficielles – il n’y a d’ailleurs qu’un seul point de vue (celui du héros), de temps à autres interrompu par celui d’autres personnages, mais ceux-ci ne servant qu’à construire les enjeux de cette aventure centrale.


The Last Kingdom est un long feuilleton à l’ancienne, mais avec ce ton moderne qui fait toute sa puissance. Cette sauvagerie inaudible, ce monde ambigu et ces conceptions qui s’affrontent dans un violent choc des civilisations. Tout autant que sa fluidité, ce sont ses personnages qui rendent la série si passionnante à suivre. D’aucuns diront que beaucoup sont des stéréotypes, du personnage principal valeureux et invincible jusqu’au comic relief alcoolique, en passant par la bromance sympa et le vicieux seigneur qui ne sait pas se battre – mais c’est en mettant ces clichés à l’épreuve de leur moralité que la série devient brillante, c’est en les supprimant du casting si brutalement, si sèchement qu’elle fait violence au spectateur. Car malgré leurs traits très connus, toutes ces figures possèdent un charisme incroyable, et les acteurs n’y sont pas pour rien. On pourra parfois s’interroger devant la superficialité de certains personnages secondaires, mais on pardonne rapidement à la série tant ces repères codifiés permettent une identification plus rapide, facilitant ainsi l’avancement de la folle narration de cette saison.
L’aspect visuel, les compositions techniques et tout ce qui concerne la mise en scène du show sont une véritable réussite. Rien de remarquable, mais en s’inscrivant dans au vrai cœur de l’action – avec une certaine avarice des grands effets démonstratifs – au bout du compte, The Last Kingdom est une très belle série à regarder. Jamais son budget (probablement faible) ne se ressent à l’écran, jamais elle ne semble violer les limites de ses capacités face à son ambition.


The Last Kingdom n’est pas une révolution, mais elle arrive au bon moment. Alors que beaucoup se plaignent du temps que Game of Thrones prend pour construire son univers, ses intrigues et ses personnages (et pour sa défense, elle le fait très bien), The Last Kingdom s’en détourne complètement. Tout ce que veut faire la dernière œuvre de la BBC America, c’est conter une simple histoire, sans détour ni complexité, sans enrobage ni surprises. On ne l’attendait pas sur ce terrain, mais il s’agit peut-être de la dernière grande série d’aventure, généreuse, passionnante, stimulante, épique et d’une lisibilité sans pareil. Même si derrière cette histoire qui semble toute droit sortie d’un jeu de rôle sur table ou d'un shonen classique il n’y a pas de symbolisme fort ou de grande finalité, mais il s'y trouve de fantastiques conteurs. L’épée à la main, chevauchant vers le soleil avec ses fidèles compagnons pour aller secourir des princesses et sauver des royaumes : c’est ça The Last Kingdom. Et revenir à une telle majesté par le storytelling de narrateurs hors pairs, c’est finalement tout ce qu’on attendait et que l’on désespérait de revoir un jour sur le petit écran. Qui a dit Conan le Barbare ?

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le 5 déc. 2015

Critique lue 11.5K fois

72 j'aime

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Vivienn

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