Hail to the grief
Nulle surprise à ce que l’exposition de The Leftovers soit à ce point saturée de mystères : le créateur de Lost, Damon Lindelof, n’est est pas à son coup d’essai en matière d’écriture, et le monde...
le 7 janv. 2020
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2% de la population ont disparu soudainement, laissant leurs proches et survivants dans le deuil et l’incompréhension. Certes il s’agit là d’un phénomène surnaturelle, mais les conséquences elles sont très similaires à celles que l’on rencontrerait face à une mort plus « naturelle » : la douleur profonde, insurmontable, qui sourd à l’intérieur et qui ne demande qu’à percer, que l’on contient difficilement jusqu’à ces moments enfin à l’abri des regards où on la laisse s’échapper. Garder la douleur en soi, ou utiliser la violence comme exutoire, selon la personnalité de chacun. Une douleur due à la perte subite, dénuée de sens, quelque soit la cause du décès, qu’il soit un accident ou une maladie, cela reste injuste, incompréhensible. Pourquoi lui, pourquoi il m’a été enlevé ? La religion peut être d’un grand recours, croire que tout à un sens même si on le ne comprend pas, ou au contraire un aveu d’impuissance. Quelle créature divine infligerait une épreuve causant de telles souffrances ?
Une thématique et une approche proche de « six feet under », où là également on suit les personnages dans leur intimité, leurs troubles et leur peine intérieures. C’est le genre de série qui nécessite du temps pour comprendre les personnages, leur façon de penser, leur rôle et les rapports qu’ils entretiennent, pour ensuite s’accrocher à eux et vivre à travers eux. Le début est donc inévitablement lent, un temps d’adaptation étant nécessaire, mais à un moment le basculement s’opère, on finit par connaître ces personnages imparfaits et les aimer. Ils deviennent familiers et on compatit à leur souffrance.
Pourtant dans « leftovers » la démarche se montre ici moins abordable qu’à l’accoutumée. L’étrange concept sortant de la réalité bien sur, même si la suite reste ancrée dans le réel. Toutefois contrairement à ce que l’on pourrait penser, pas de mystère entretenu et de recherche de réponses, ce n’est pas parce que Damon Lindelof est scénariste qu’il faut y voir un parallèle avec Lost. Le livre dont la série est l’adaptation, « les disparus de Mappleton », ne propose en effetaucune réponse, et au vu du résultat c’est probablement mieux ainsi. Non la difficulté réside surtout dans le fait que certains personnages empruntent des voies particulières qui n’aident pas à l’identification. Et notamment le shérif de la ville, Kevin Garvey, qui se met à avoir des crises de somnambulisme, et commettre des actes de violence sans s’en souvenir, pour finalement avoir des hallucinations ! Son père avant lui, également shérif, avait déjà vécu de telles crises qui l’avait conduit à être interné, et est devenu persuadé que son fils a une mission à accomplir. Dur donc de suivre une personne à la folie soudaine et peu compréhensible…
Sa femme est l’une de celle qui est parti rejoindre les rangs d’une secte, les « Coupables Survivants ». Pourtant psychologue, elle fut tentée par l’une de ses patientes, à la folie déjà manifeste, devenue guide providentielle. Laissant sa famille brisée, chacun supportant la douleur de son côté. Restée seule avec son père, en pleine adolescence, Jill vit très mal le départ de sa mère, avec une relation très conflictuelle avec son père.
Puis il y a Nora, qui a vu toute sa famille disparaître d’un coup. Une injustice et un traumatisme sans nom. Elle est la sœur du prêtre dont bien évidemment elle a bien du mal à comprendre la foi. Elle et Kevin finissent par se trouver, deux êtres brisés qui espèrent se reconstruire.
Devant tant de personnes en détresse, les groupements sectaires se multiplient. Parmi eux il y a les « Survivants Coupables », étrange groupes de gens hétéroclites qui s’habillent en blanc et font vœux de silence. Ils ont laissés leur ancienne vie et leurs attaches derrière, ciblent des gens et les observent impassiblement, dans l’espoir de les recruter, dans l’espoir que leur souffrance les mènera naturellement à les rejoindre. Impassible et toujours une cigarette dans la bouche, ils supportent sans broncher toutes les violences dont ils sont victimes. Persuadés que la grande disparition s’est produite à cause des péchés de l’humanité, ils veulent que les gens en prennent conscience et les empêchent de faire le deuil, d’oublier ce qu’il s’est passé et la signification de l’événement, jusqu’à l’issu fatidique. C’est du moins ce que je crois avoir compris, il faut avouer que leurs motivations ne sont pas toujours très claires.
Et il y aussi cette secte regroupé autour de Wayne, jeune noir charismatique, qui prétend pouvoir guérir les gens de leur désarrois. Et devant la profondeur du mal-être des hommes et leur désir de cesser enfin leur douleur, nombreux sont ceux qui le rejoignent, dont le jeune fils de Kevin.
La religion, cette croyance officielle, est représentée par ce prêtre, qui s’est trouvé initialement comme vocation de révéler les sombres vérités autour des gens disparus, persuadés qu’ils ne sont pas les héros dont tout le monde commémore le souvenir. Il est vrai, la Mort emporte n’importe qui sans distinction, les pécheurs comme les vertueux. Mais les voies du seigneur sont décidément bien impénétrables et il faut prendre garde à l’interprétation des signes, l’issue n’est pas toujours celle que l’on croit. Christopher Eccleston, à la brève carrière de Docteur, incarne avec justesse ce personnage capable de s’investir corps et âme dans un chemin qu’il pense être celui qui lui est destiné.
Ce n’est d’ailleurs pas vraiment le deuil qui est abordé, la plupart des personnages n’ont même pas vécu une de ces disparitions (choix qui peut paraître un peu surprenant). **Il s’agit surtout du comportement des hommes face à l’incompréhensible, comment l’esprit vacille et révèle des fragilités déjà existantes, nous rappelant que nous sommes décidément bien fragiles, que l’identité est une notion imprécise, et que la frontière entre raison et folie reste mince.**
Cette disparition surnaturelle n’est de fait qu’un prétexte pour aborder l’humain, l’île de Lost l’avait pu l’être, confrontant les personnages à leurs convictions et leur fardeau.
Quelques mots enfin sur la musique, magnifique, envoutante, se frayant sans que l’on en conscience un chemin jusqu’au cœur de notre âme pour y rester à jamais, entêtante, sublime.
Saison 2, changement de décor. La famille brisée décide de repartir à zéro en s’installant à Miracle, ville particulière où personne n’a disparu en ce triste jour du 14 octobre. Persuadés d’avoir été choisi par Dieu, une ferveur religieuse habite ses habitants. Alors qu’elle attire des touristes, des gens désespérés ou dérangés, désireux de se retrouver en sécurité, les habitants protègent jalousement leur ville, et l’accès est strictement réglementé. Devant cet afflux massif, des gens en profitent pour exploiter le désespoir qui rend les gens crédules en se proclamant médium, ou revendre des objets très chers censés apporter la sécurité. L’explication de cette singularité restant inconnue, chacun y va de son interprétation, jusqu’à parfois reproduire régulièrement à l’identique l’activité à laquelle il s’adonnait, comme un rituel, afin de se protéger. S’ils n’ont pas été touché le 14 octobre, l’événement les a changé à jamais, et même plus qu’ailleurs. Et c’est oublié bien vite que bien avant les gens avaient leur propre fardeau, ayant brisé des familles bien avant la Disparition. Ils pensaient être à l’abri, mais la disparition de trois jeunes filles va ébranler cette conviction et remettre chacun en question.
Cette saison s’éloigne du livre pour proposer une histoire originale, sur une idée très intéressante pour explorer plus en profondeur les rapports entre l’homme et la religion. La religion comme système de croyance rassurante pour éviter de sombrer dans la folie, face à un monde que l’on ne comprend pas.
Une qualité d’écriture indéniable. A leur arrivée, la famille Mappleton est confrontée à des actes étranges, un homme qui abat une chèvre en plein restaurant, une femme qui déterre une boite où s’échappe un oiseau encore vivant, qui ne trouvent leur explication que bien plus tard. Peu à peu les pièces du puzzle s’emboîtent, les failles qui pèsent sur la famille voisine sont peu à peu dévoilés.
Quand à la famille de Mappleton, le nouveau départ se révèle plus délicat. Ils ont peut-être changé de lieu, mais ils ont emmené dans leurs bagages leurs doutes et leurs failles. Kevin continue d’avoir des hallucinations qui mettent en péril son couple avec Nora, tandis que cette dernière vit toujours avec la culpabilité d’avoir vu toute sa famille disparaître. Chacun tente d’avancer dans la vie, de surmonter les épreuves, mais l’accès au bonheur est un chemin opaque à la direction incertaine. Tandis que les « Coupables Survivants » n’ont pas fini de faire parler d’eux.
Plus encore que dans la première, la deuxième saison navigue entre réalité et fantastique. Des personnes détiennent-ils réellement des capacités de médium où sont-elles des charlatans ? Ou des illuminés ? Les personnes sont-elles vraiment folles où voient-elles des choses qui échappent aux autres ? Kevin vit-il un épisode psychotique ou est-il vraiment lié à un fantôme ? Certains éléments vont dans le sens d’une explication rationnelle tandis que d’autres semblent ne pas pouvoir s’expliquer ainsi. Le summum étant cet épisode fantasmagorique qui semble se passer dans une représentation très particulière de l’au-delà. Si la saison 1 pouvait fort bien se passer de surnaturelle, il n’en va plus du tout de même.
Mais comme pour le mystère de la Disparition, il n’y a sans doute pas lieu de se demander si oui ou non de telles situations sont possibles. Les personnes restent confrontées à des événements qui les dépassent, naviguent entre folie, croyance et espoir, emportés dans une tourmente émotionnelle qui les dépasse, incapable de trouver la bonne solution, tandis qu’à l’extérieur tout se délite malgré eux, les rendant terriblement impuissant à préserver leurs proches.
Que ce soit celle de Mappleton ou de Miracle, la famille reste un élément central, indépendamment des liens du sang d’ailleurs, grâce à cette capacité des hommes à accepter dans leur cercle des étrangers avec qui ils ne partagent aucun lien de parenté. Mais un besoin relationnel source de tourments lorsque ces liens se retrouvent brutalement rompus ou ne se nouent pas comme il faut. L’homme en proie à des phénomènes effrayants au-delà de sa compréhension, sa capacité et son besoin de s’attacher à ses semblables pour fuir la solitude, il en a toujours été ainsi depuis des temps immémoriaux, depuis l’époque où l’homme était effrayé par les éléments naturels, et c’est sans doute comme ça qu’il fallait comprendre la très étonnante introduction du premier épisode de cette saison.
Certes, on peut être rebuté par la lenteur, des aspects non expliqués et des personnages très particuliers aux agissements parfois surprenants. Mais l’intensité particulière de ce voyage unique, plongeant au cœur des hommes et des liens qui les unissent, ce qui les rattache au monde et ce qui les sépare, dans une atmosphère intime et envoûtante, valent à coup sûr le détour.
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Créée
le 24 janv. 2016
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