The Newsroom par dylanesque
The Newsroom est typiquement la série que je devais adorer. Aaron Sorkin aux commandes. Sur HBO. Avec Jeff Daniels, Emily Mortimer et Sam Waterston. Sur le monde des médias. Avec de l'idéalisme et des dialogues superbes. Je devais adorer. Et en fait non...
Mais revenons un peu en arrière, tout comme le fait souvent Sorkin lorsqu'il s'amuse à bousculer un peu sa structure scénaristique. Juste après la diffusion du pilote en juin dernier, une vague de critiques s'est défoulé contre Aaron Sorkin comme jamais auparavant. Même à l'époque de Studio 60 On Sunset Strip, on n'avait jamais vu ça. Et comme à l'époque de Studio 60, mon premier instinct a été de prendre peur et de remettre à plus tard mon visionnage. Parce que je ne voulais pas en vouloir à Aaron Sorkin, parce que Aaron Sorkin est depuis toujours mon maître d'écriture, mon modèle, un génie pas toujours attachant mais toujours parfait lorsqu'il nous pond des scénarios pour la télévision ou le cinéma. The West Wing est le drama de network le plus abouti qui existe, le plus ambitieux et le plus émouvant aussi. Sports Night est un amour de comédie dont les personnages resteront toujours gravé dans mon coeur. The Social Network et Moneyball sont parmi les films qui m'ont le plus marqués ces dernières années. Et je voulais en rester là parce que j'avais peur de devoir brûler mon idole. C'était déjà suffisamment dur de voir tout le monde lui en vouloir et le traiter de mauvais scénariste, je ne voulais pas y participer et je voulais garder mon amour pour son travail intact. Et en fait non...
J'ai craqué et en une semaine à peine, j'ai terminé cette courte première saison. Je dis court car j'ai moi-même été pris de court, imaginant que comme dans toute saison de Sorkin qui se respecte, le sujet serait disséqué sur au moins vingt-deux épisodes. Non, dix seulement. Mais dix épisodes d'environ une heure car on est sur HBO. Déjà, le logo d'HBO et la plume Sorkin, c'est une combinaison étrange, je savais que quelque chose allait clocher...
Le pilote sur lequel tout le monde s'est acharné n'est pas si mauvais. On y retrouve certes des artifices sorkiniens épuisés, pas forcément aussi pertinent et percutants que par le passé. Et le portrait qu'on nous dresse de Will McAvoy n'est pas forcément enthousiasmant, on a juste l'impression d'avoir affaire à un porte parole mal déguisé du scénariste, qui nous fait la leçon sans aucun filtre. Le reste du cast est en retrait et incarne des personnages clichés. Mais c'est un pilote, alors c'est normal non ? On ne peut pas enterrer une série avec autant de potentiel après seulement un pilote ? Quand même, celui de The West Wing, c'était quelque chose... Je savais que quelque chose allait clocher mais je ne me suis pas laisser abbattre par un pilote médiocre, j'ai continuer...
Et j'ai très vite réalisé que toutes ces critiques n'étaient pas gratuites. Que le traitement très misogyne des personnages féminins était une catastrophe. Que les romances qui bouffent la majorité du temps d'antenne sont très mal écrites et qu'on a affaire avec Jim, Maggie et Don au pire triangle amoureux jamais offert par la télévision. Que les leçons de morale de McAvoy sont aussi imbuvables que la structure des épisodes. Qu'utiliser de véritables faits d'actualité est une bonne idée sur le papier mais une idée très maladroite à l'écran. Que Sorkin se faisait vieux et hors du coup. Le coup de grâce a été "I Will Try to Fix You", probablement la pire chose jamais écrite par Sorkin pour la télévision. Un brouillon de scénario, empêtré dans de la guimauve et un sens de l'humour complaisant qui ne fait jamais mouche. Des tics de langages devenues horripilants. Et des personnages déjà détestables. En clair, tout ce qui faisait de Sorkin un génie, son sens du rythme, ses dialogues malicieux, son regard sur le monde, ses personnages forts, tout ça avait disparu.
J'aurais donc pu m'arrêter là et me séparer de mon idole. Mais non, impossible. J'y croyais encore. Je ne voulais pas retourner à une intégrale The West Wing avec la peur de tiquer à chaque fois qu'une réplique ou une intrigue typique de Sorkin me saute au visage. Je ne voulais pas entâcher mes souvenirs alors j'ai continué en me disant que la sauce allait peut-être prendre, qu'il s'agissait seulement d'un début laborieux. Et j'ai bien fait.
Parce qu'arrivé à la moitié de saison, les choses s'améliorent. Enfin, deux choses s'améliorent en vérité : le personnage de Will. Confronté à son psychiatre, en duo avec son garde du corps ou dans son fauteuil de présentateur, notre Don Quichotte devient presque un homme qu'on a envie de suivre au combat, dont on comprend les faiblesses et dont on admire les qualités. Un vrai personnage de télévision, pas juste un Sorkin 2.0. Dans The West Wing, les opinions et les speechs moralisateurs étaient répartis sur une galerie de personnages complexes et attachants là où Will est le seul garant d'un combat qui le fait passer forcément pour un type prétentieux, snob et complétement détaché de la réalité pendant les premiers épisodes. Jusqu'à ce qu'on finisse par se laisser un peu convaincre par Jeff Daniels et par les fissures du présentateur. Donc oui, ça a fonctionné pour moi. Ca a en tout cas montrer du potentiel.
La deuxième chose qui devient bien (ou mieux disons), ce sont les intrigues concernant le JT. Contrairement à certains qui ont été rebutés par le patriotisme du truc, j'ai apprécié la manière dont a été abordé la mort de Ben Laden. La démonstration fil rouge des conneries du Tea Party est également un point fort du show. Une diatribe certes mais pertinente et plutôt bien orchestré. En clair, dès que Will est dans le studio et que son équipe s'active de manière professionnelle, tout s'arrange et je perçois tout le potentiel de The Newsroom. Je retrouve presque quelques frissons que j'avais ressenti dans le Bureau Ovale ou lorsque Dan et Casey était à l'antenne. Tout le côté épique que Sorkin sait mieux que personne insuffler à ses scénarios. Le complot de la direction était également un bon point, en particulier lors des affrontements Waterston/Fonda et grâce à la présence toujours appréciable de Chris Messina (décidément partout en ce moment). C'est sur tout ça que tu dois te concentrer Aaron, car tu es capable d'en tirer de beaux discours, de beaux moments de télévision et de véritablement réussir cette mission qui te tient tant à coeur, éduquer l'américain moyen, éléver le niveau du débat. Will McAvoy peut le faire alors toi aussi. Il suffit juste d'un truc pour atteindre cet idéal. Un petit truc.
Qu'on supprime toute intrigues amoureuses en cours. Car elles sont toutes nulles à chier. Parce que les personnages féminins n'ont aucune personnalité, ou bien toute la même personnalité. Parce que Mackenzie est une blague lorsqu'on connait le talent d'Emily Mortimer. Une sous Dana (Sports Night) absolument pas crédible en productrice car on passe plus de temps à la voir courir après sa relation avec Will qu'à la voir gérer une émission. Et je ne parle même pas d'Allison Pill. Quel gâchis. Je vénère l'actrice et je hais son personnage. Dès qu'elle ouvre la bouche, j'ai envie d'accélerer l'épisode. Dès que la tête de cocker de Jim apparaît, j'ai envie de maudire Sorkin. C'est quoi cet ersatz de Jeremy (Sports Night, encore) ? Don a au moins le mérite d'avoir quelques bonnes répliques et un rôle à jouer dans les intrigues concernant l'émission. Jim et Maggie n'ont aucun autre rôle à jouer que de ralentir le tout et d'imposer de la guimauve périmée à l'écran. Du Coldplay. Quand à Sloan, elle ne bénéficie que de rares moments intéressant, elle aussi lorsqu'on s'intéresse à son travail et pas à son statut de femme insociable et idiote. Toutes ces mauvaises intrigues monopolisent trop de temps d'antenne et me rendent furieux. Et qu'on ne me parle plus jamais de Big Foot...
Il y a du travail. Beaucoup de travail. Oui HBO n'est peut-être pas le bon endroit, oui une diffusion estivale n'est pas forcément une bonne idée. Mais si Sorkin met un peu son orgueil de côté et écoute la plupart des critiques de The Newsroom, il y a moyen de regarder quelque chose de vraiment spectaculaire. C'est arrivé à quelques rares reprises lors de cette première saison (le huitième épisode, très solide) et il suffit de se concentrer sur ça pour continuer dans cette voie. Parce que là, je ne sais pas si j'ai plus peur de la haine anti-Sorkin ou de l'adoration nouvelle des novices pour The Newsroom qui crient au génie alors que le génie est clairement en chute libre.
Mais je l'aime encore mon génie et je crois encore en lui. Ne le condamnons pas. Encouragons le. Oublions cette semi-catastrophe et retenons le meilleur de The Newsroom. Non, mieux : imaginons que le meilleur est à venir.