Retour sur The Newsroom, chef-d’oeuvre inconnu
En trois saisons, The Newsroom s’est imposée comme l’une des meilleures séries de ces dernières années, pourtant les éloges sont bien peu nombreux.
The Newsroom met en scène la rédaction de News Night, l’émission d’actualités d’une chaine de télévision américaine, autour de la figure puissante (et parfois tyrannique) de son présentateur, Will McAvoy. Après quelques années de routine ronronnante, News Night, sous l’impulsion du directeur de l’information, reprend le chemin d’un journalisme exigeant en recrutant une nouvelle productrice et une nouvelle équipe.
Comme la précédente (et sous-estimée) série d’Aaron Sorkin, Studio 60 on the Sunset Strip, le premier épisode de The Newsroom s’ouvre sur un monologue iconoclaste et subversif. Sorkin énonce son ambition idéologique : sa série est une déclaration de guerre contre le conformisme, la lâcheté et le consensus. Tout au long des trois saisons, ses personnages incarneront la difficulté à mettre en œuvre cette philosophie.
La série explore les relations interpersonnelles (amoureuses, amicales, de travail), les rapports d’une rédaction avec le gouvernement et avec sa direction (ici la chaîne privée ACN), la vie politique et économique des États-Unis.
Sorkin défend une vision du journalisme bien éloignée des tendances actuelles (spectacularisation, course à la rapidité, à l’audience et à l’exclusivité, suivisme, approximations, soumission à l’autorité…). Bien que pleinement prise dans une structure capitaliste et commerciale, la rédaction de News Night s’efforce de résister à ses propriétaires, au gouvernement, aux modes. Elle ruse, s’adapte, assume les rapports de force. On aimerait que The Newsroom soit diffusée dans les écoles de journalisme. Il y a des épisodes passionnants sur la couverture des élections, sur la vérification des informations, la manipulation des journalistes (saison 2), et la protection des sources (saison 3).
Et puis c’est aussi une série drôle (elle a quelque chose de la screwball comedy), poétique, où de nombreux dialogues sont des sommets de rhétorique. On a parfois l’impression de regarder un film de Hawks, impression renforcée par des personnages féminins intelligents, profonds et mordants qui rappellent Rosalind Russell dans His Girl Friday et Katharine Hepburn.
On retrouve dans The Newsroom les problématiques chères à Sorkin : une défense de l’éthique professionnelle et intime (et leur imbrication), des personnages embourbés dans leur travail au point d’en négliger leur vie privée, et une exceptionnelle qualité d’écriture.
Il y a un grand plaisir à constater que s’il s’en prend à tout le monde sans distinction, il fait montre d’une appétence toute particulière à s’attaquer aux plus puissants. La scène où un spécialiste de l’environnement annonce, en direct sur le plateau, l’inéluctabilité de l’apocalypse climatique, est un parfait exemple de sa radicalité (on devrait dire « son bon sens »).
Évidemment, on retrouve aussi le même défaut : Sorkin a tendance à construire des fins d’épisodes grandiloquentes et sirupeuses, comme s’il cherchait à se faire pardonner sa véhémence.
Apparemment il a raté son coup. Une part importante de la critique a fait preuve d’une grande violence à l’égard de cette série (quelle que soit la saison, cf. Broken News, par Emily Nussbaum dans le New Yorker, The Newsroom, a new season of hatewatching, par Ann T. Donnahue dans The Guardian, The Newsroom is is the absolute worst show on television, par Brian Moylan, dans The Guardian). Face à la virulence des réactions, Sorkin a même fini par s’excuser à la fin de la saison 2 (sans en penser un mot d’ailleurs, puisqu’il n’a rien changé à son écriture).
Posons une hypothèse : The Newsroom s’en prend directement aux médias et ce n’est pas sans risques. Les journalistes (on l’a vu lors de la publication de Sur la télévision de Bourdieu) acceptent difficilement les discours réflexifs et abrasifs concernant leur profession.
En postulant que les médias rendent compte du débat public autant qu’ils le façonnent, Sorkin leur assigne une mission civique et politique malheureusement désuète, en porte-à-faux avec l’industrie de l’information actuelle.
Par ailleurs, la morale sorkinienne renvoie les spectateurs à leurs manquements, à leurs arrangements et à leurs renoncements. Les personnages de Sorkin constituent un modèle éthique auquel il peut être narcissiquement douloureux de se mesurer.
La série n’est pas manichéenne pour autant. Si on devine aisément la position de Sorkin, il n’en reste pas moins que les personnages en opposition avec ses valeurs sont eux aussi éloquents et complexes. Cette volonté de donner des armes à tous, même à ceux avec qui il est en désaccord, est propice aux malentendus interprétatifs. On est circonspects par exemple devant le dialogue entre Don (un des producteurs de la chaine) et la possible victime d’un viol dans l’épisode 5 de la saison 3.
Au final, la principale explication à la dureté (ou à la tiédeur) des critiques tient sans doute à l’idéalisme de Sorkin, peu en phase avec une époque où le cynisme et l’arrivisme sont la règle. Ce n’est pas très cool d’être idéaliste, c’est même ridicule. On a trouvé mieux que la censure pour casser une œuvre politique : on la dénigre et on la méprise pour en éloigner les spectateurs et, ce faisant, en diminuer l’impact.
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