Tout fan de l’œuvre de l'immense John le Carré ressent à l'annonce de la transposition de l'un de ses romans en film (ou en série) un mélange inévitable d'excitation et de crainte... la crainte venant logiquement en premier, tant il semble impossible de filmer les noirs abîmes que révèle chacun de ses livres, et la complexité d'intrigues largement immobiles et avant tout mentales. Le maxi format d'une mini série de 6 épisodes d'une heure permet au moins de rendre justice à la richesse et la subtilité de "The Night Manager"... L'un des rares Le Carré que je n'ai pas - encore - lus, ce qui limite forcément la pertinence d'une critique sans référence réelle. Hugh Laurie et Tom Hiddleston, qui semblent tous deux s'être investis dans le projet qu'ils produisent, sont excellents et sont l'une des principales raisons de regarder cette adaptation, réalisée de manière plutôt adéquate par la Suédoise Susanne Bier, qui sait construire des ambiances anxiogènes tout en mélangeant habilement considérations géopolitiques et plaisir du tourisme (Le Caire, Zermat, Londres, Madrid, Majorque, Istambul, etc.). Le sérieux de la construction de ce jeu d'échecs entre deux esprits brillants est malheureusement peu à peu mis à mal par une histoire d'amour envahissante et fort convenue, et finalement désamorcé par un dernier épisode / happy end qui rompt brutalement avec toutes les règles de réalisme politique et de pessimisme de Le Carré, au point que l'on a l'impression qu'il a été greffé par des scénaristes hollywoodiens sans aucune considération pour les thèmes de l’œuvre originale (une hypothèse à vérifier en lisant le livre...). On aurait largement préféré que la série se conclue bien avant, avec le démembrement de l'agence et la conclusion en forme de "realpolitik" du répugnant Halo : nous avons besoin en Occident de ces marchands d'armes qui, en plus de nous nourrir, garantissent finalement la stabilité d'un monde qu'ils maintiennent occupé à faire la guerre de toutes les manières possibles. Car, comme le dit le redoutable Roper (Hugh Laurie, loin de Dr House), une bombe, c'est "démocratique". C'est là que réside le véritable intérêt de "The Night Manager", pas dans ses rebondissements finaux peu crédibles, à la manière de James Bond. [Critique écrite en 2017]