Se distinguer sans faire de vagues.
Exceller, c'est se valoriser en valorisant les normes.
N'ayant jamais regardé cette série en entier, j'ai pu croire que The Office UK grattait la plaie de notre culpabilité, pendant que son remake flattait le poil de notre bonne conscience.
J'ai aussi cru que The Office U.S. transformait la satire d'un milieu professionnel en apologie de la classe médiocre. Car loin de railler la lâcheté ordinaire de l'homo tertiarus, elle couvait d'un regard bienveillant les parasites, commerciaux et ''bullshit jobs'' qui échangeaient contre leur non-vie et leur soumission à l'arbitraire d'un crétin, la sécurité d'un système...d'un paternalisme ''bienveillant'' déjà désuet en 2005.
Mais, en surface, la version originale de Gervais se réduisait largement à la moquerie des abrutis de service. Certes, le pseudo reportage partageait les confessions d'employés ayant troqué leurs désirs de carrière épanouissante contre un salaire régulier. Rien de très acerbe là-dedans. Aucune critique foncière d'un système qui encouragerait à renoncer à la vie.
The office UK induisait également déjà le spectateur à s'identifier à l'employé de bureau petit malin qui s'acharnait sur son collègue, Gareth, ''double maléfique'' du personnage de Gervais. Ce piteux duplicata était non seulement un ressort comique - qui permettait de montrer l'aveuglement complet de Gervais sur le décalage entre l'image qu'il voulait donner de lui (un chef) et celle qu'il donnait vraiment (un mâle abruti typique), décalage qu'il reconnaissait en Gareth, pas en lui-même - mais servait de souffre-douleur idéal pour le besoin de vengeance des médiocres, ligués contre lui parce qu'il se prenait pour un chef ; ce qui était plus facile que de s'attaquer aux vrais chefs.
Ainsi les sous-fifres laissaient-ils leur supérieur hiérarchique s'enfoncer tout seul, mais ne se privaient pas de remettre Gareth ''à sa place'', en face de sa misère intellectuelle et affective. Tim/Jim, qui avait toujours le dernier mot et rabaissait son collègue simplet, observait sans broncher son chef se ridiculiser (d'un autre côté, la passive complaisance qui lui lâchait la bride permettait à son entourage de se préserver de ses potentielles mesures de rétorsion).
Tim/Jim était un ''farceur'' plus roué que son chef. Plus malin, plus versé dans la transfomation des normes sociales (sur les femmes et les ''minorités''), son comportement était fondamentalement pire - il avait juste choisi de s'acharner sur une victime que ne protégeaient pas les nouvelles valeurs. Un sournois. Il jouait le rôle adéquat pour devenir le petit chef à la place du petit chef. Il incarnait la nouvelle génération de connards.
La série prenait acte d'une phase de transition historique, qui relèguait les inadaptables aux oubliettes.
Le finale abat les masques.
La description de l'avènement du politiquement correct est ambivalente. Comme le montre l'absence de réaction des ombres qui occupent l' ''open space'', lorsque le petit chef annonce son licenciement : il comptait honnêtement sur un mouvement de révolte et de solidarité.
Sa maladroite spontanéité, ses mesquineries allaient rarement jusqu'à la malveillance : il s'identifiait à un modèle de paternalisme certes obtus et bouffi de préjugés mais protecteur (Se fourvoyant peut-être autant sur lui-même que sur sa société) ; il sera évincé par les méthodes de ''management'' des ''ressources humaines'' hypocrites qui estompent la violence des rapports sociaux sous un vernis langagier - "On m'a rendu redondant".
Les mensonges et les euphémismes ont été mis à jour.
The Office décrit le triomphe du cynisme égoïste drapé dans des valeurs humanistes. Il expose le paradigme de la fabrique du bureaucrate, indifférent aux temps, aux époques, et à leurs diverses bonnes consciences contradictoires.
Place aux nouveaux fous de guerre.
(pas besoin d'ajouter que le remake est un flagrant contre-sens)