Il est aisé de comprendre, au visionnage des deux versions de la série, anglaise et américaine, pourquoi les fans de la première puissent être frustrés du succès de la seconde. L'originale a toutes les qualités de l'oeuvre inattaquable. Jusqu’au-boutiste dans sa démarche, concept nouveau à sa sortie, et succès mitigé feront de ces deux saisons de The Office le candidat parfait pour devenir la nouvelle série culte de toute une frange de sérievores. Et pour enfoncer le clou, la version américaine débarque, met de l'eau dans la bière bon marché de la version anglaise pour rencontrer un succès colossal. Le sentiment d'injustice face à la popularité de l'édulcoration amènera certains à ne pas considérer la nouvelle version.
C'est pourtant ce sentiment très américain d'optimisme qui manque cruellement à la version anglaise. Encore aujourd'hui, la différence entre le grand ciel ouvert des westerns américains et la crasse terreuse de ceux européens se fait sentir, cette fois-ci au travers du quotidien d'un bureau. D'un côté, la banalité en devient extraordinaire de simplicité touchante, tandis que de l'autre, cette même banalité écrase les protagonistes jusqu'à ce qu'ils n'y trouvent aucun répit.
D'un point de vue purement humoristique, cette différence a son importance, qui se dévoile le plus facilement en comparant les deux managers. Dans un coin, David Brent de Slough cherche à défendre son titre face à Michael Scott de Scranton, sérieux outsider de la "cringe comedy". Cette différence est finalement la même que celle fondamentale qui sépare les deux séries : Michael Scott est un idiot, tandis que David Brent est un con.
Pourtant les deux hommes sont à la recherche de la même attention des personnes les entourant pour noyer leur solitude. Cependant, là où l'américain est un enfant avec tout ce que cela implique d'immaturité et d'irresponsabilité, l'anglais restera un enfoiré incapable de ressentir une quelconque empathie pour qui que ce soit d'autre que lui-même. De ce fait, il devient trop facile de penser que Ricky Gervais (cerveau et interprète de Brent) ne porte en réalité aucune affection envers son personnage. Difficile dans ce cas de demander au spectateur de le faire à sa place.
On pourra se questionner sur l'utilité de cette affection du spectateur envers les personnages dans une série se basant principalement sur le "cringe", soit la gêne comme moyen humoristique. Après tout, il parait logique de s'enfoncer le plus possible dans ce concept sans regarder sur les côtés, pour une plus grande efficacité possible.
C'est sans compter sur la suspension d'incrédulité, notion primordiale à toute oeuvre se basant sur une narration. Cet outil qui permet au spectateur de croire à l'univers qui lui est proposé, que ce soit des créatures imaginaires dans un monde fictif, ou des employés dans un bureau tout ce qu'il y a de plus normal. En donnant à Michael Scott cet aspect enfantin, les auteurs de la version américaine (et l'interprète Steve Carell) donnent au spectateur une raison de croire au tact tout relatif du personnage en lui proposant une manière de s'y identifier. Qui n'a jamais été enfant ? David Brent n'étant pour sa part qu'un homme stupide et égocentrique, il sera bien plus un punching-ball écrit comme tel par les scénaristes, et de ce fait la sensation de voir des répliques être récitées comme on récite une blague s'installe sans possibilité d'y échapper.
On donnera à la version anglaise son dû : une mise en scène brillante, une volonté d'aller au bout de son concept, et un Martin Freeman qui joue son personnage avec une justesse salvatrice. Mais l'optimisme américain, s'il a ses limites, se fait ingrédient manquant et indispensable dans cette mixture autrement étouffante et sans profondeur.