Saison 1 :
Série un petit peu sous-estimée (en France en tous cas), "The Shield" reste un exemple pertinent de l'audace nouvelle que la télévision avait introduit à la fin des années 90 dans la fiction de "genre" : réservoir mythique de sujets pour les scénaristes hollywoodiens, le "L.A.P.D." se trouve cette fois ramené au niveau de la réalité la plus brutale qui soit, celle de simples hommes et femmes faillibles, exposés dans leur vie professionnelle comme privée aux pressions multiples d'une cité gangrenée par la violence des gangs, les tensions raciales et les jeux politiques incessants des "leaders". Le choix de cristalliser tous les paradoxes de la loi et de l'ordre sur la figure contradictoire de Vic MacKay, policier profondément corrompu mais efficace, et de confier ce rôle complexe à un inconnu, Michael Chiklis, qui va pourtant le transcender au delà de toute attente, était risqué : il est facile (et on ne s'est pas privé de le faire en France) de juger "The Shield" comme une apologie éhontée de la justice individuelle, tandis que le réalisme "politique" dont il témoigne peut en effet s'apparenter à un cynique et dangereux "Tous Pourris !". Pourtant, il me semble que "The Shield" dépasse rapidement ce débat, très "français" d'ailleurs, grâce à la vigueur dont il fait preuve : les excès des scénaristes, qui font s'accumuler dans cette première saison les catastrophes sur la tête de leur héros paradoxal, sont facilement oubliés tant le flux narratif est convaincant, nous offrant une partition parfaitement maîtrisée entre dynamique de groupe et destins individuels, ce qui est, à mon avis, la marque des grandes séries télévisées : la multiplication des points de vue qui répond à la prolifération des intrigues et des sujets offre en effet un contrechamp permanent au point de vue extrémiste de McKay, et, comme chez Renoir, il est clair que "chacun a ses raisons" et a la possibilité de les exposer. Soit quand même, une sorte de non-manichéisme bien venu, et qui permet à "The Shield" de bien vieillir, malgré son montage très cut et ses zooms hystériques un peu datés.
Saison 2 :
Une seconde saison dans la pure lignée de la première pour "The Shield" et ses chroniques ultra-réalistes et hyper-violentes du quotidien d'un commissariat de L.A.... Plusieurs épisodes clouent encore le spectateur dans son fauteuil, tant la description, sans compromis mais sans voyeurisme non plus, d'une société abrutie de violence et incapable de protéger ses enfants (l'un des thèmes de fond de la série) est efficace. La limite du système répétitif de la série télévisée est que les mécanismes deviennent à la longue un peu trop évidents : résolution rapide - en 45 minutes et deux ou trois jours - d'un crime ou d'une énigme, au prix d'invraisemblances plus ou moins énormes, alternance systématique entre problèmes psychologiques aigus (homosexualité refoulée, autisme d'un enfant, divorce, solitude urbaine) et chronique des dérives "ripoux" du Strike Team... Le véritable problème de cette deuxième saison, est que, curieusement, il s'agit là de la partie la moins convaincante, comme si les scénaristes avaient voulu racheter une conduite à leurs héros, qu'on voit donc ici abandonner le trafic de drogues et se montrer beaucoup plus hésitant quand il s'agit de liquider un obstacle (c'est particulièrement évident dans le segment de la saison consacré à l'horrible Armadillo...). Néanmoins, il s'agit là de petites réserves par rapport à une série policière des plus intenses et des plus passionnantes qui soient.
Saison 3 :
Encore une fois, "The Shield" impressionne. Par une vraie solidité de ses scénarios, moins construits sur les coups de théâtre spectaculaires ou sur les ressorts habituels du soap qui constituent la syntaxe traditionnelle de la Série TV, mais respectant les montées de tension du thriller le plus classique, tout en continuant de livrer des tranches de vie pour le moins sanglantes de la jungle urbaine de L.A.. Par l'intensité permanente d'une mise en scène qui a désormais trouvé le juste équilibre entre les excès des débuts (filmage à l'épaule, jump cuts, sur exposition de l'image, etc.) , et une distance, une légère respiration permettant aux personnages d'exister au delà des scripts et donc des stéréotypes qu'ils incarnent. Par la force de ses personnages, d'une ambigüité rare dans la fiction américaine, des personnages qui restent le meilleur véhicule possible pour le message central de Shawn Ryan : nous sommes tous capables du pire comme du meilleur... mais seul le pire est certain. Et les derniers épisodes de cette excellente troisième saison, peut-être les meilleurs épisodes de toute la série, en font une démonstration éclatante.
Saison 4 :
Il avait fallu tout d'abord s'habituer dans cette quatrième saison de "The Shield" à voir Vic Mackey quasiment débarrassé de ses mauvaises habitudes (corruption, complicité avec les criminels et infidélité chronique...), ce qui a priori enlevait une bonne partie de la fascination ambiguë que génère la série, mais prouvait que Shawn Ryan et ses scénaristes avaient compris l'impasse potentielle dans laquelle la vision hyper-noire des trois premières saison pouvait les amener : le renouvellement des thèmes est nécessaire à une série "mature", pour lui permettre de continuer à passionner son public. L'autre pari, ici, consistait à recruter une actrice "de cinéma", l'excellente (... quand elle n'en fait pas trop...) Glenn Close, et de lui confier un beau rôle : pari tenu, même si la gêne - tangible - de Glenn Close qui peinait sans doute à s'insérer au milieu de l'équipe de la série n'est pas pour rien dans l'intérêt de sa performance. Par contre, il y a une erreur criante dans le nouveau rôle de "méchant" que le scénario fait ridiculement endosser à Azeveda, un rôle incohérent avec ce que l'on sait de lui après 3 saisons, et qui plombe gravement la première partie de la saison. Heureusement, grâce à une nouvelle histoire assez remarquable, construite autour du bras de fer entre "The Barn" et un chef de gang particulièrement déplaisant et retors, et à une poignée d'épisodes finaux durs et tendus, cette quatrième saison arrive à "passer la barre".
Saison 5 :
Peut-être la plus belle de cette série véritablement "convulsive" qu'est "The Shield", la cinquième saison voit l'irruption - après Glenn Close, excellente dans la saison 4 - de l'immense Forest Whitaker dans un rôle à nouveau mémorable - au moins aussi fort que ses meilleurs personnages au cinéma - de flic des affaires internes, aussi génialement manipulateur que redoutablement pervers, nous faisant donc sans cesse osciller entre fascination et répulsion. Face à un adversaire de ce calibre, le "Strike Team" n'a plus la brillance habituelle, et c'est cette débandade générale, combinée à l'escalade hallucinante de la violente entre les gangs de L.A. ou les réseaux de trafiquants, qui font de cette saison un véritable cauchemar éveillé... Cauchemar qui culminera dans un épisode final radical et bouleversant, sans doute ce que la série nous aura proposé de mieux à ce jour !
Saison 6 :
Oserons-nous avouer une légère déception à la fin de cette 6ème saison ? Voici 10 épisodes de notre série chouchou, "The Shield", qui apparaissent surtout comme une transition entre l'explosive saison 5, et ce qui est annoncé comme la dernière saison... Pire, les scénaristes ont visiblement décidé d'emballer les différentes fictions en chantier - et d'en rajouter une ou deux autres pour faire bonne mesure... -, afin d'arriver à en dénouer tous les fils au cours des 10 prochains épisodes... d'où une impression d'affolement de la série, qui multiplie les personnages et les retournements d'alliance en dépit de toute crédibilité. Pendant le dernier épisode, d'une heure d'ailleurs, on ne peut s'empêcher de constater combien le temps, clairement le plus fidèle atout des séries TV, quand on les compare aux films traditionnels, s'avère un piège redoutable quand arrive "la dernière ligne droite". Bon, il reste quand même ici suffisamment d'ambigüité morale et de réalisme social pour nous enchanter...
Saison 7 :
La conclusion de "The Shield", après 6 saisons qui n'auront jamais baissé d'intensité, restera un exemple d'intelligence en la manière de conclure une grande série TV, exercice que ni "The Sopranos" (sa fin abrupte assez lâche) ni "Six Feet Under" (son "fast forward" un tantinet racoleur) n'avaient réussi. Shawn Ryan fait monter la pression et descendre le moral du téléspectateur au long de 12 épisodes de plus en plus noirs, jusqu'au dernier qui voit chacun des personnages arriver au bout de son chemin. Au delà de la crédibilité des situations, d'ailleurs filmées ici un peu moins brutalement, ce qui laisse une sorte de respiration, bien venue, la grande réussite du scénario est de prendre acte de la logique dramatique d'un récit finalement assez bien tenu au long de 7 années, sans sacrifier aux facilités habituelles de la narration "populaire" (coups de théâtre, faux semblants), ni aux sirènes de la morale : si punition il y a, nul ne saurait la prétendre juste ou en proportion avec les crimes commis. Oui, c'est exemplaire !