'ttention, spoil powa.
Immobile, d'un impavide regard, Vic fixe les photos de ses enfants, jonchées parmi les ruines de ses exploits. Il ne les reverra probablement jamais, il le sait. Tout ce qu'il a toujours prêché est révolu, il a perdu sa famille, ses amis, son boulot, sa raison d'être. Voilà qu'au terme d'une scène confondant l'entendement, The Shield s'achève. Non sans amertume.
Dès le générique, la série donne le ton. L'alternance d'écrans noirs tremblotants toutes les 2-3 secondes est représentative, ce sera rythmé, mouvementé, dérangeant, carrément stressant.
Alors on nous emmène à Farmington, ville plus réelle qu'il n'y paraît, où se côtoient la drogue, la prostitution, la violence...
En plein coeur de la frénésie urbaine. Caméra à l'épaule, cadrages faciaux, plans d'ensemble du bercail, TS regorge de pépites techniques, auxquelles s'ajoutent les brillantes interprétations de ses acteurs.
Car TS, c'est l'histoire d'humains, bons ou mauvais, idiots ou malins, qui évoluent ensemble. D'un côté les dealers qui se battent pour des questions de territoire, racisme, argent. De l'autre les flics, où de la droiture à la corruption, il n'y a qu'un pas. L'une des réussites de la série a été d'opposer ces 2 visions de la police. On suit ainsi la Strike Team la majorité du temps, mais les autres ne sont pas en reste: le duo Claudette/Dutch pour les enquêtes, Danny/Julien pour le respect de l'ordre. Leur évolution à chacun est prodigieuse durant ces 3 années, autant que celle de la brigade de choc. À cela on ajoute les nombreux autres personnages, permettant de parfaire la palette d’ambiguïté du bercail, des guests de choix avec Whitaker ou Close, des vilains vraiment pas beaux...
Si cette série est un bijou de suspens, un récit hors-norme où tout se coupe et se recoupe, chaque évènement ayant une conséquence physique et psychologique par la suite, parfois plusieurs saisons après, elle n'en reste pas moins un reportage captivant et plus réaliste qu'il n'y paraît. TS laisse la lenteur et contemplation à The Wire, ici la subtilité réside dans le but de choquer, on n'affiche pas les problèmes à ta porte, on la casse avec.
Revenons-en au tout début. Le pilote vient de commencer, Aceveda parle d'une diminution de la violence tandis que Vic et ses acolytes poursuivent un dealer, le rattrapent, et le frappent dans la joie et la bonne humeur. "Des questions ?". Aucune, le badge brisé et sa musique qui me font à chaque fois diminuer le volume pour ne pas déranger mes voisins apparaissent. 40 minutes plus tard, Vic exécute de sang-froid Terry. C'est parti pour 7 saisons de décadence, parfois brutales, souvent déconcertantes, toujours addictives.
La Strike Team, élément clé de la série perd son premier membre lors de ce pilote. Vic, Shane, Lem, Ronnie, on croit alors ces 4 personnages liés à jamais, sans imaginer une seule seconde leurs destins s'éloignant, se rapprochant, et se fracassant.
Lem fut le premier à mourir. Personnage assez secondaire avant la cinquième saison, il a toujours apporté une dimension psychologique primordiale à cette équipe. Il nous rappelait leur côté humain, symbolisait leur partie morale et au final, intègre. Mais Curtis était un soldat et les a protégés jusqu'au bout, à tort.
Ronnie, très en retrait dans les premières saisons apparaît comme le partenaire idéal, le bon chien prêt à les suivre où qu'ils aillent. Quelqu'un de très malin, à constamment couvrir leurs arrières. Il se révèlera par la suite le principal soutien de Vic, et en paiera le prix fort.
Shane. Je l'ai toujours détesté, pour sa stupidité, ses choix, sa femme insupportable. Bras droit de Vic, il a tout appris de lui, y compris à le dépasser. Ses réactions ont toujours été imprévisibles, il constituait le maillon faible de cette équipe et celui qui les a tous entraînés vers leur inexorable chute. Le meurtre de Lem et son suicide, resteront peut être les scènes les plus marquantes, toutes saisons confondues.
Nous revoici avec Vic, qui regarde fixement les photos de ses enfants. Une question nous torture tous, qui est-il vraiment ? Un manipulateur, un père, un tueur, un ami ?
Au final il apparait comme un requin, un serpent ou ce que vous voudrez, nuisant au monde entier. Mais il est vivant, libre. Claudette est condamnée à mort, comme le sera sûrement Ronnie, Lem et Shane pourrissent au cimetière, sa famille vit loin dans la peur... Tous ces destins brisés, il les regarde fixement, il revoit son existence entière, repense à toutes les erreurs qu'il a commises, à toutes les vies qu'il a gâchées. Il revoit Ronnie, le bon chien, désemparé, qui vocifère parce qu'il l'a trahi, il imagine Lem, le bon soldat, en train d'agoniser parce qu'il a douté de lui, il pense à Shane, le bon copain, qui au fond du gouffre se suicide, parce qu'il l'a menacé. Shane, le miroir cassé de Vic, qui dans un dernier élan de détresse emmène sa famille avec lui, laissant une lettre déchirante que Claudette s'empressera de jeter à la figure de Vic. Leur relation fut toujours tendue, alternant entre amitié sincère et rivalité, jusqu'à devenir antagoniste à l'extrême, avec son quota de collatéral. Pourtant, Shane est parti avec sa famille, dans la joie, alors que Vic a tout perdu à vouloir la protéger. Mais il est vivant, et il va continuer à vivre pour longtemps, seul.
Sur ce, Vic détourne son regard des photos, prend son arme, et part. Regrette-t-il ?