Une œuvre qui traite d’un sujet géopolitique aussi explosif sait qu’elle s’expose à une lecture et à un jugement politiques de la part du public. On ne crée pas une telle série sans parti pris. En l’occurrence, avec un réalisateur israélien, on pouvait à peu près deviner ce qu’il en serait. Et si The Spy traite les personnages arabes sans dédain – c’est une exigence minimale mais elle n’était pas acquise – elle se fait en revanche à plusieurs reprises le porte-parole du Mossad, s’évertuant à déguiser Israël en victime éternelle d’une Syrie toujours prompte à attaquer la première. Sans aller bien loin dans l’analyse, on peut convenir que l’histoire du conflit israélo-arabe n’est pas exactement celle-ci. Aux Syriens le sang et la sauvagerie, et aux Israéliens le rôle de l’opprimé, aux Israéliens le sens du devoir et du sacrifice. A cet égard, la conclusion me semble particulièrement malvenue.
Pour parler du reste quand même, il y a presque plus de choses à regretter qu’à retenir, tant cette série avait le potentiel pour être énorme. Sacha Baron Cohen est inégal mais s’en sort globalement pas mal du tout, dans un rôle pas toujours bien écrit, à l’image d’une série qui manque quand même pas de subtilité. Il y a une vraie tension et on joue suffisamment bien avec l’ambivalence de la situation pour susciter des sentiments contradictoires chez le spectateur. Comme je l’ai lu ailleurs, la souffre de ne pas vraiment se choisir une identité. Une histoire aussi dense et aussi invraisemblable que celle d’Eli Cohen, racontée en six épisodes, méritait de faire un choix clair, et notamment de moins s’attarder sur les malheurs de sa femme laissée seule en Israël (je pense surtout à sa relation avec Dan Peleg, pas bien menée).
C’est probablement aussi un écueil très commun quand on raconte une histoire vraie au cinéma : à trop vouloir rester fidèle à un récit historique, on s’acharne à tout dire et on se refuse à faire des choix narratifs trop marqués. A mon sens, le point le plus fascinant de la série tient dans le trouble de l’identité d’Eli Cohen. Devenu agent du Mossad pour se faire aimer d’un pays qui ne le voyait que comme un Arabe et comme un prolétaire, il vit en Syrie ennemie l’ascension sociale qui était impossible chez lui. Les moments forts de la série sont à peu près toujours ceux qui jouent sur cette confusion des identités. Ce genre de problématiques, je trouve que c’est du pain béni pour un réalisateur, et ça me fait donc regretter la sobriété de la mise en scène.