Saison 1 :
Les récits d'exploration des XVIIIe et XIXe siècles sont une mine d'histoires extraordinaires pour qui cherche l'inspiration, et l'écrivain de best sellers Dan Simmons a tiré l'un de ses livres les plus célèbres en imaginant ce qui a bien pu arriver aux équipages des vaisseaux anglais HMS Erebus et HMS Terror, partis au Pôle Nord à la recherche d'un passage à travers les glaces. Vu la complexité du récit, sa longueur, et la multiplication de personnages, la série TV est logiquement un média plus approprié que le cinéma pour retranscrire les visions ambitieuses de Simmons, qui imagine l'extermination progressive de ces hommes soumis à des conditions climatiques extrêmes, mais également aux tensions internes qui naissent lorsque l'on se trouve prisonniers d'hivers interminables au sein de bateaux pris dans la banquise, sans parler d'une intoxication alimentaire pernicieuse et, cerise sur le gâteau, de la menace d'un monstre issu de la mythologie Inuit.
C'est évidemment ce dernier aspect de la saga qui sert d'appât au public avide de monstres terrifiants, imaginant que "The Terror" sera une sorte d'"Alien" du XIXe siècle… Un public qui sera forcément déçu puisque l'aspect fantastique n'est qu'occasionnel, et qu'il est sans doute le point le plus faible de la série, à cause du manque de moyens financiers mais également du choix maladroit de traiter trop frontalement une "créature" manquant singulièrement de charisme et de pouvoir de fascination.
Pour le reste, l'équipe de David Kajganich, Max Borenstein et Alexander Woo, a fait un bon travail de reconstitution historique, et a réussi à construire une ambiance angoissante qui saisit progressivement un téléspectateur de plus en plus impliqué dans l'existence éprouvante de ces hommes que nous savons condamnés - puisque l'introduction du film nous informe de leur disparition, au cas où nous ne soyons ni férus d'Histoire, ni lecteurs de Simmons ! La complexité des relations hiérarchiques (puisque les officiers ont amené à bord leurs ambitions et leurs antagonismes), les conflits de pouvoir qui en résultent, mais aussi le jeu pernicieux d'un sociopathe intriguant - voire séduisant - qui sera largement responsable de la catastrophe finale, tout cela concourt à plusieurs épisodes passionnants, particulièrement bien construits et surtout interprétés par un casting "all-British" absolument irréprochable. Le point culminant de cette partie du récit - la partie "à bord des vaisseaux" - est certainement l'extraordinaire épisode 6, avec l'organisation d'un funeste carnaval visant à divertir la troupe, qui tournera au cauchemar intégral.
La série n'est malheureusement pas exempte de faiblesses, qui empêchent notre adhésion totale : au-delà de la maladroite partie fantastique, le scénario - ou bien Dan Simmons ? - a recours à bien des stéréotypes simplificateurs, distinguant de manière trop politiquement correcte les explorateurs "évolués" qui parlent le langage local des Inuits et cherchent à fraterniser, et les brutes racistes qui prônent la supériorité anglaise : ce n'est sans doute pas faux, mais c'est d'une évidence un peu trop simplificatrice, d'autant que le personnage principal, impeccablement incarné par un Jared Harris comme toujours charismatique, reste trop systématiquement positif, même dans son addiction au whisky. On préfère nettement la belle évolution de James Fitzjames (Tobias Menzies, parfait !) de "bad guy" odieux à ami sensible, cette partie du récit restant sans doute la plus émouvante.
On regrettera aussi les 3 derniers épisodes, qui n'arrivent pas à transcender la lente agonie des marins perdus dans un désert de pierre abstrait, et qui ont trop recours au gore et à l'abjection pour stimuler le téléspectateur : il manque clairement à ce stade un vrai metteur en scène, qui sache apporter une "vision" à ce final désespéré. Les toutes dernières minutes, superbes, rattrapent heureusement ce "vide", et nous laissent donc sur un beau sentiment d'ambition narrative, historique et psychologique.
Sans doute condamnée à l'anonymat par sa diffusion limitée sur Amazon Prime, "The Terror" s'avère une tentative passionnante - même si pas tout-à-fait réussie - de trouver dans notre Histoire d'autres récits, substantiellement plus féconds que les habituelles histoires de serial killers, de trafiquants et de mutants invincibles qui sont souvent le quotidien de la série TV actuelle.
[Critique écrite en 2019]
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Saison 2 :
Il est très difficile d’admettre comment, même pour une série TV qui se veut donc, visiblement, une série d’anthologie mêlant faits historiques réels et fantastique / horreur, on peut passer d’un récit d’explorateurs britanniques du XIXème siècle perdus dans les glaces polaires à une chronique des tourments infligés par le gouvernement américain à ses ressortissants d’origine japonaise pendant la seconde guerre mondiale. Et d’ailleurs, le manque d’intérêt général envers "The Terror", qui se positionne pourtant comme une série « de prestige », conjuguant moyens financiers importants pour reconstituer le cadre historique de son récit, et interprétation et mise en scène beaucoup plus soignées et ambitieuses que la moyenne du genre, confirme bien le flou funeste dans lequel le travail de Max Borenstein et Alexander Woo s’enlise.
Oublions donc l’existence d’une première saison, que nous avions d’ailleurs appréciée, et traitons ce "The Terror – Infamy" comme une mini-série à part. Le destin terrible que connurent les Américains (et les Canadiens, d’ailleurs) issus de l’immigration japonaise, depuis l’attaque de Pearl Harbor jusqu’à Hiroshima, est une histoire qui n’a pas été suffisamment contée à l’écran, et la série fait honneur à ces victimes d’une injustice d’Etat : tout ce qu’elle nous raconte de l’horreur de leur situation, de la haine et du mépris racistes dont ils furent victimes de la part de leurs citoyens américains, d’un enfermement qui durera plus de 3 ans dans des camps de concentration, de la privation de tous leurs droits tant civiques que simplement humains, de l’obligation pour les jeunes hommes de se comporter en martyres au combat pour leur « nouvelle nation » qui leur déniait la moindre parcelle d’humanité (ce qui nous vaut d’ailleurs quelques scènes saisissantes dans l’enfer des combats dans les îles du Pacifique)… oui, tout cela est passionnant, narré avec force et avec pudeur, avec un juste mélange de compassion et d’empathie. Nous rappelant qu’aucune culture n’est inférieure à une autre, qu’aucun être humain ne peut être catégorisé en fonction de critères aussi simplistes que son origine raciale ou géographique. Bref, un travail salutaire à une époque où les camps pour migrants fleurissent partout dans l’indifférence, voire la haine générale.
Si elle ne racontait que cela, l’histoire de cette… infamie, et jusqu’à la tragédie du massacre criminel d’Hiroshima, "The Terror – Infamy" serait une série indispensable. Venir greffer là-dessus une histoire de fantôme japonais est pire qu’une maladresse, c’est une faute ! Même si l’énigme familiale qui a donné naissance à la haine et au désir de vengeance du yurei (le fantôme traditionnel japonais, redevenu à la mode avec des films comme la série "Ring"…) est astucieuse, et nous vaut deux ou trois « coups de théâtre » bien vus et bien amenés, les scènes d’horreur proprement dites, la plupart du temps très gore mais pas vraiment cohérentes, rabaissent la série vers le genre très médiocre du shocker pour adolescents, créant une dichotomie entre les ambitions du thème politique et les effets effrayants bas de gamme des scènes fantastiques. Rajoutons le gloubi-boulga de l’amalgame entre rituels japonais et exorcisme mexicain, et on ne pourra sauver du massacre, à la limite, que les passages dans l’au-delà, conceptuellement malins, et surtout générateurs d’un vrai malaise…
C’était déjà d’ailleurs le problème de la première saison de "The Terror", finalement, ce monstre un peu cheap qui s’incrustait dans une ambiance qui aurait été plus oppressante sans lui, mais c’est encore plus criant ici. Et si la série finit très bien, dégageant une belle émotion lors d’une splendide scène de photographies familiales, on restera quand même avec le sentiment d’un triste gâchis.
[Critique écrite en 2020]
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