Sapkowski n'a pas vu un centime des adaptations de sa saga du Sorceleur en jeu vidéo, qui a donné lieu jusqu'ici à trois épisodes, devenus des classiques du genre.
Il a tout naïvement cédé ses droits contre une somme dérisoire, trois francs six sous en zlotys, ce qui doit faire dans les 4000 €. Sûrement ne connaissait-il pas trop le monde vidéoludique.
Ce qui est râlant car The Witcher III, à lui seul, a été vendu à QUARANTE MILLIONS d'exemplaires, ce qui, rapporté auxdits 4000 €, fait la somme pas très rondelette de 0,0001 euro par copie.
Pour le quatrième volet, prévu au minimum pour 2025, ce pauvre Andrzej ne sera pas davantage convié à une visite de démonstration chez CD Project, et encore moins intéressé aux bénéfices.
C'est tout de même dégueulasse, je ne recule pas devant ce terme, tant l'univers singulier du cycle de fantasy ayant pour principal protagoniste Geralt de Riv, le Sorceleur éponyme, est d'une richesse confinant au mythe : à mes yeux, l'auteur de cette saga pourrait un jour être considéré comme un Tolkien bis.
Au-delà de l'identité graphique qu'a créée CD Projeckt, le recours aux personnages bien connus, à la trame de fond de cet univers médiéval-fantastique, et l'accent mis sur la traque de monstres par un mutant aux allures de paria sont partie intégrante de l'œuvre du Polonais.
Les employer sans le rémunérer relève du vol qualifié.
Voilà, c'est dit.
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La série de Netflix fait fond sur ce même univers romanesque, dont nous est proposée, cette fois-ci, une représentation en chair et en os.
Ladite chair est d'abord celle, excessivement tendue, musclée comme ces fesses massives sous le cuir, d'Henry Cavill, qui joue Superman dans une autre vie — et qui, pour cette même raison, laissera le rôle au petit Hemsworth, pas Thor, non, l'autre, à partir de la quatrième saison.
La troisième n'a pas encore été diffusée. Henry s'est blessé durant le tournage de la deuxième, et ce n'est guère étonnant, le rôle semble TRÈS physique.
La photo, l'atmosphère musicale, la manière de filmer et, d'une façon générale, la cohérence artistique me semblent assez remarquables — et je n’aurai garde d'oublier les acteurs incarnant Yennefer, Jaskier, Calianthe (géniale), Ciri (aucun rapport avec Apple)...
Mais je voudrais parler de cet autre protagoniste, support de moultes intrigues, ce bestiaire fantastique composé de créatures toutes plus difficiles à affronter pour Geralt, pourtant payé pour les éradiquer, et qui ne doit souvent son salut qu'à ses réflexes, immensément plus rapides que ceux d'un humain ordinaire, ses sortilèges, ces Igni ou Aard (feu, télékinésie...) vus dans les jeux vidéo.
Ainsi qu’à sa nature mutante, qui lui confère un métabolisme extrêmement supérieur à celui de n'importe quel bipède — pensez, ses battements de cœur sont quatre fois plus lents que les vôtres. Ces mêmes mutations lui permettent l’usage de potions et autres mutagènes, mortels pour n'importe quelle créature normale et qui lui donnent, entre autres effets bénéfiques, un visage noir et rouge et des yeux de vampire du plus bel aloi. Et sûrement vitesse, résistance aux dégâts, respiration aquatique e tutti quanti.
J'en reviens à ce bestiaire, directement issu des romans, empruntant eux-mêmes à diverses traditions — stryges, humains transformés en sanglier, ou en hérisson, dragons... —, mais bien souvent issus de l'imagination du romancier : et tout ce personnel de bestiaux maléfiques se caractérise, ce qui est assez inhabituel en termes de CGI, par une patte graphique tout à fait particulière, à mi-chemin entre les Godzilla gonflables de la grande époque et les bébêtes du type Starship Troopers ou Alien.
Dans cet univers si éloigné du clinquant du Seigneur des anneaux, ils font presque cheap. À mon sens, ils revêtent une apparence presqu'ordinaire, qui banalise leur présence aux côtés des autres êtres vivants : ils font partie de ce monde-là, point, et leur férocité, tout à fait banale, renvoie au besoin de satisfaire leurs besoins essentiels — la plupart du temps, bouffer.
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Les combats chorégraphiés et ces lames maniées avec une dextérité à vous faire cligner des yeux, extrêmement légères malgré leur longueur — l'épée de Geralt fait sans doute plus que les 1,10 m réglementaires.
Au point qu'il ne l'arbore pas toujours sur le dos, contrairement aux jeux vidéo, où elle se double d’une lame d'argent spéciale monstres, ici présente sur quelques plans seulement.
Chorégraphie disais-je, le combat, en première saison, qui valut au Sorceleur le sobriquet infamant de "Boucher de Blaviken", est aussi brillamment exécuté que sanglant, voire éprouvant pour le spectateur.
Il nous confirme au-delà de tout doute raisonnable que Geralt de Riv a tout simplement été élevé et entraîné pour être une pure machine à tuer.
Le Sorceleur remplit des contrats ; il ne s'agit pas d'un héros prompt à sauver la veuve et l'orphelin ; qu'il ait des sentiments relève d'une hypothèse : l'amour et l'attachement sont chez lui une tâche physique comme une autre, ce que sa relation avec Yennefer illustre parfaitement.
Les sorcières, et sorciers, justement : il y a plus de celles-ci que de ceux-là. Le monde humain, le monde des mutations de Geralt, et celui des monstres — qu'il doit lui-même devenir, en somme, pour l'emporter sur eux — ne sont que brimborions et pipi de félidés au regard des pouvoirs magiques des membres de la guilde d'Aretuza.
Pour ce que ça vaut : Geralt, en tant que mutant, est stérile ; Yennefer, qui porte si beau malgré son bon petit siècle d'existence, a renoncé à sa faculté de procréer pour acquérir ses pouvoirs.
Tout comme Yennefer, la plupart des sorcières dissimulent leur âge sous des atours juvéniles, des tenues luxueuses et un charme insensé.
Et Geralt est leur proie.
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Cirilla, ou Ciri, le Lionceau de Cintra, que le Sorceleur prend sous son aile, apprend à Kaer Mohren les bases du combat à la Witcher. Elle sera également apprentie magicienne, et se trouve être à bien des égards le personnage pivot de l'intrigue, comme dans les romans.
Disons qu'elle est celle que l'on pourchasse, celle que l'on veut protéger, et qui affirme toujours plus son indépendance, d'autant plus nécessaire que son destin représente un défi, qu'il lui sera terriblement difficile de relever.
Mais on en verra plus, de toute évidence, dans la saison 3.
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Le bain. Comme dans le jeu, Geralt s'y prélasse, tout couturé de cicatrices, après d'épuisants combats contre des monstres de toutes eaux.
Occasionnellement, Yennefer vient l'y rejoindre, avec ses cheveux d'un jais de corbeau et ses yeux mauves.
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Il faut évoquer, dans la saison une, le fait que l'intrigue se déroule sur plusieurs plans temporels — enfin à différentes époques, mais qui sont liées entre elles. Ce choix de narration, destiné à planter le décor, a été critiqué — assez injustement à mes yeux — par certains spectateurs qui, ne connaissant pas les romans, auront été déroutés, faute de repères.
Il m'a pourtant semblé qu'en étant attentif, le procédé était plutôt limpide.
Qu’importe.
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Les romans de Sapkowski fonctionnent en quelque sorte comme des recueils de nouvelles, entrecroisant diverses intrigues simultanées, ou consécutives, et qui reviennent soudain sur une action précédemment, parfois longuement, laissée en suspens.
À ce jeu-là, Geralt n'est pas toujours au centre du récit ; il en est parfois même, absent.
Ce que ne peut pas se permettre une série, surtout avec une star du calibre de Henry Cavill.
De ces nouvelles, la série choisit de reprendre ou d'adapter les divers fils narratifs. Naturellement, c'est un choix parfaitement compréhensible pour construire un récit par épisodes, respectant une temporalité progrédiente, pour employer un mot prétentieux : autrement dit, la narration opérera classiquement du présent vers le futur, en passant par diverses épreuves et péripéties.
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L'humour. À vous de voir. La série n'en manque pas, ce qui fait écho à cette légèreté si caractéristique de Sapkowski.
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Geralt est mutique, ou quasiment. Cela le distingue, pour le coup, des romans, où il est aussi disert que tout un chacun.
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En définitive, je conseillerai autant la série que je fuirai la mini série presque dite L'héritage du sang : les romans sont déjà des classiques, à ranger parmi les grandes œuvres du genre ; la série leur est assez fidèle, et se trouve servie par une mise en scène et une interprétation dignes d'éloges.
L'idée que deux saisons au moins nous attendent ne laisse pas de me réjouir.
D'autant que la saga comporte sept ou huit romans.
Toss a coin.