Voilà un drama qui sort des sentiers battus, et que dire d’autre si ce n’est que c’est plaisant ? The World of the Married détient aujourd’hui le plus haut score jamais atteint par une série diffusée sur une chaîne câblée sud-coréenne (28,3% de part d’audience à l’échelle nationale pour son dernier épisode, soit plus de 6 millions de spectateurs !), et ce pour de multiples raisons.
D’abord, parce que c’est une série sur le mariage, avec des acteurs d’âge mur (la quarantaine pour la plupart, 53 ans pour Kim Hee-ae) : un thème résolument plus « large » et mature que ce à quoi nous habituent généralement les dramas contemporains, et donc à même de plaire aux jeunes adultes, voire aux papas et mamans coréens. Ensuite, parce que le ton de la série est sérieux, volontiers violent ou explicite, avec des scènes de « sexe » jamais vues dans un drama diffusé à la télévision. On en veut pour preuve la notation « 19+ », la plus sévère qui existe dans ce pays encore moralement conservateur, pour les épisodes les plus crus. Enfin, puisque cette série est devenue, au fil des épisodes, un vrai phénomène de société : elle est apparue en tête des séries les plus commentées en Corée du Sud pendant la première moitié de 2020, et a placé l’adultère et le divorce, sujets encore assez tabous là-bas, au centre de nombreuses discussions, notamment sur les réseaux sociaux.
Adaptée de l’histoire de Doctor Foster (série britannique) le drama développe tout au long de ses 16 (longs) épisodes une galerie de personnages en proie à toute une série d’interrogations liées au mariage, à la fidélité et à l’amour. Ji Sun-woo, médecin de talent à la vie remarquablement bien rangée avec son mari Lee Tae-oh, producteur de film médiocre, se voit embarquée dans l’infidélité de celui-ci avec une jeune femme d’à peine vingt ans, avec laquelle il mène depuis plusieurs mois une vraie double vie.
Drama de tous les excès, The World of the Married stupéfie à chaque épisode par sa débauche de rebondissements en tout genre qui pourront, au choix, captiver ou frustrer par leur dimension volontiers outrancière. Les premiers épisodes notamment, qui mettent en place la personnalité mythomane et machiste de Lee Tae-oh, sont de véritables réservoirs à retournements de situation à même de choquer voire de dégoûter le spectateur.
Outre son caractère moralement abject, l’histoire de Lee Tae-oh fascine par le flegme imperturbable du personnage, et le talent remarquable de l’acteur Park Hae-joon aide à susciter en nous une haine aussi viscérale pour lui que celle entretenue par sa femme, jouée par la non moins talentueuse (et diablement élégante) Kim Hee-ae. Les deux nous offrent une lutte acharnée dans la première moitié du drama qui trouve son acmé à l’épisode 6, avant de prendre un tournant plus « rangé » mais non moins captivant durant la suite de l'histoire.
On n’est pas dans une revenge story classique : à plusieurs reprises, succèdent aux phases de confrontations et de tensions des moments de convergence entre l’héroïne et le principal antagoniste, donnant lieu à des scènes déroutantes qui donnent au drama toute sa saveur douce-amère. Celles-ci invitent en effet le spectateur à une réflexion loin d’être superficielle sur les thématiques du mariage et de la tension qu’il induit entre l’esprit de routine et la volonté d’évasion, de l’attachement amoureux et ses travers potentiellement destructeurs, ou bien encore de la place souvent compliquée des enfants dans tout cela, en proie à être utilisés par leur père ou leur mère comme une monnaie d’échange pendant et après leur divorce.
Car passée l’excitation, la fascination (ou le dégoût) vis-à-vis de telle ou telle situation, on est effectivement pris à la fin de chaque épisode dans une spirale d’interrogations sur les motivations de chaque personnage, afin de tenter de démêler ce qui est sincère de ce qui ne l’est pas. Le sentiment de duplicité qui se dégage de pratiquement toutes les scènes pourra déplaire, voire passer pour de la confusion sur le plan de la narration, mais personnellement cela ne m’a pas dérangé. On ne peut qu’apprécier le fait qu’aucun personnage, pas même Tae-oh, ne soit lisse dans sa psychologie.
Chacun à ses moments de doute, de remise en question, mais semble quand même in fine retomber dans ses propres travers, et ce jusqu’à la toute fin de la série. Certains y verront là une preuve de l’échec des scénaristes à faire évoluer leurs personnages ; moi j’y ai vu, implicitement, une forme de critique sur l’incapacité des gens à réellement changer dans leur façon de se comporter lorsqu’ils sont aveuglés par l’amour (sentiment dont la proximité avec la haine est d’ailleurs bien retranscrite, et traitée de façon intéressante).
Inutile de dire que le réalisme est pratiquement absent de toute cette histoire, qui à plusieurs reprises flirte avec le grotesque tant certains choix narratifs paraissent tirés par les cheveux. Cependant le drama conserve toujours une crédibilité qui, a minima, parvient à nous scotcher devant notre écran pour nous motiver à voir la fin de cette fresque contemporaine sur les affres du mariage.
On pourra justement regretter que la conclusion de The World of the Married soit un peu rapide, voire bâclée sous certains aspects, s’appuyant sur un discours moralement en décalage avec le sens des ultimes péripéties de Ji Sun-woo. Cela ne vient pas pour autant ternir plus que ça la qualité globale de l’œuvre, dont on ne saurait nier l’originalité fichtrement jouissive, tellement à contre-courant de ce que l'on a vu récemment dans le monde bien rangé des dramas.