C’est par ces mots que Marc Madiot, toujours bon client des médias, introduit une étape alpestre particulièrement difficile. Ces mêmes mots qui servent de titre au deuxième épisode sont également utilisés pour décrire l’étape des pavés, l’enfer du Nord. Le Tour de France est bien un enfer tant les corps y sont meurtris et les limites des capacités humaines approchées. Le spectateur, bien calé devant son téléviseur ou posté sur une route de montagne, n’assiste-t-il pas à de nouveaux Jeux du cirque ? Quand le directeur général de la Groupama-FDJ demande à ses coureurs d’être des gladiateurs, il n’est peut-être pas si loin de la réalité.
Mais le Tour, c’est beaucoup plus que cela, et la série insiste beaucoup sur le plaisir un brin masochiste que ressentent les sportifs, sur les sacrifices consentis pour parvenir à la victoire, sur la force mentale nécessaire pour gravir un col et sur la fierté d’être arrivé au sommet.
Mais là encore, le tableau serait incomplet. Aussi le documentaire a-t-il visiblement pour ambition principale d’introduire le spectateur dans ces mille subtilités qui conduisent à la victoire sur une course cycliste. Pour cela, les épisodes suivent un chemin aussi bien défini qu’efficace mais un tantinet répétitif. Chaque partie se concentrera sur quelques coureurs et leurs équipiers. L’ancien coureur et consultant Eurosport Steve Chainel expliquera les enjeux individuels et collectifs des étapes présentées, le journaliste de France TV Alexandre Pasteur commentera les images dans une reconstitution de ses commentaires live, enfin les principaux acteurs complèteront et synthétiseront les interventions des deux premiers. Sans oublier les apports de David Millar et de la journaliste nord-irlandaise Orla Chennaoui.
Le traitement se révèle aussi pédagogique que spectaculaire mais pourra agacer les puristes à qui la série n’apprendra pas grand chose. On pourra reprocher à Netflix de nous servir de l’émotion en conserve avec effets de montage, musique épique et récit déformant la réalité. Sur ce dernier point, je connais trop peu le vélo pour en juger correctement. J’ai cependant tiqué lors de la présentation de l’équipe Education First comme une formation modeste. David Millar, que j’ai découvert ancien de cette maison, va jusqu’à la qualifier d’ « équipe de marginaux ». Le discours donnant de Geraint Thomas l’image d’un vieillard semble, lui aussi, excessif.
On remarquera cependant que la mise en scène sait se faire relativement sobre à des moments qui auraient pu tourner au mélodrame. La chute de Jakobsen sur le Tour de Pologne n’est que peu montrée et on aurait pu craindre qu’elle ne nous soit beaucoup plus rabâchée. Alors que Netflix n’est pas effrayée pas le story-telling, il est étonnant de ne pas voir l’image la plus iconique de cette 109e édition selon moi : Vingegaard attendant son rival Pogacar après sa chute dans la descente du Col des Spandelles.
"Neilson, manager your effort..."
Malgré les artifices, l’émotion des coureurs et de leurs entraîneurs devant les caméras n’est pas feinte. Les larmes de Van Aert après sa victoire en contre-la-montre, la renaissance de Fabio Jakobsen ou encore les doutes de David Gaudu ont constitué des moments forts de cette course et nous avons le sentiment d’être au plus prêt d’eux dans leurs épreuves. L’une des grandes réussites de la série est de nous faire entrer dans l’intimité des coureurs et embarquer dans les voitures officielles. La diffusion des consignes transmises par oreillette joue en effet beaucoup pour l’émotion comme pour la compréhension des défis tactiques et mentaux auxquels sont confrontés les athlètes.
Il serait toutefois dangereux de vouloir donner au spectateur un accès trop facile à ces échanges. L’arrivée de la diffusion des consignes en temps réel, à l’instar de ce qui se fait en Formule 1, me semble susceptible de déshumaniser le cyclisme en l’assimilant à un jeu de vélos télécommandés mais aussi de donner un caractère voyeuriste à la retransmission.
Écartons les facilités scénaristiques et les inquiétudes envers l’avenir pour nous concentrer sur l’essentiel. Avec ses images sublimes, sa clarté d’explication et ses émotions fortes, Au cœur du peloton est un magnifique témoignage de la Grande Boucle qui met en valeur les efforts individuels et la solidarité collective.
« J’espère que ce que les gens retiendront de cette série sur notre sport, c’est que c’est un sport d’équipe », conclut Richard Plugge, directeur général de l’équipe Jumbo-Visma. « Si les gens s’en rendent compte, je serai heureux. ». Richard Plugge sera certainement heureux.