Turn, série historique se déroulant durant la guerre d'Indépendance américaine, coche toutes les cases d'une bonne série.
Tout d’abord la période historique se prête parfaitement à une exploitation en série : l’esthétique de l’époque est magnifiquement exploitée dans les costumes et les lieux de pouvoirs, alors que la période est trop souvent réduite à une guerre d’indépendance rapidement gagnée par tout un peuple face à une armée coloniale. Et c’est le premier bon point de la série : elle ne tombe pas dans le roman national où toute une nation se lèverait face à l’oppresseur. Les loyalistes sont nombreux et leurs raisons (juridiques, économiques, …) nous permettent de les comprendre. Les scénaristes réussissent à très bien coller à l’histoire, par les batailles comme dans certains personnages (Abraham Woodhull, Robert Townsend, Benjamin Tallmadge, Simcoe, ... pages Wikipedia à ne lire qu’après avoir fini la série !). Enfin, le traitement des français ou des esclaves est à mon sens parfait : leur importance n’est parfois que sous-entendue mais ils trouvent leur place dans l’intrigue, volontairement centrée sur les Américains. Les français apportent ainsi une aide qui fait pencher la balance, mais en même temps calculée et partielle, ce qui respecte la réalité historique.
Le rythme de cette série est également totalement maîtrisé : l’exposition nous présente rapidement les personnages principaux, en même temps que leurs interactions et ce qui a pu se passer avant. Là où la série fait fort c’est en introduisant de plus en plus de complexité, progressivement : les relations sont étoffés par leurs antécédents (Abraham et Anna par exemple), les nouveaux lieux comme les nouveaux personnages sont bien répartis tout au long de la série. À ce niveau-là, le travail pour relier la micro-histoire de Setauket à la grande histoire de la guerre d’indépendance est remarquable : nos personnages se retrouvent au coeur des tiraillements de conscience de l'époque, et au centre des événements (batailles, décisions, ...), sans toutefois réécrire l'histoire. Le rythme s'emballe dans la dernière saison, car la série n'est pas renouvelée, donc l'importance des personnages devient plus exagérée, mais cela force une résolution naturelle de tous les arcs ouverts par la série. La fin est, à l'image du reste de la série, maîtrisée :
un happy ending certes, mais
qui montre toutes les contradictions de l'époque, notamment un très bon traitement de la situation des esclaves (qui se font réembarquer vers le sud).
Enfin, le thème et les personnages qui l’incarnent sont magnifiquement choisis : l'espionnage fascine, et intéresse le spectateur qui en découvre tous les aspects. La double vie, les petites techniques, la portée d'informations apparemment anodines sont tous abordés directement, tout en laissant leur place aux autres intrigues, géopolitiques comme relationnelles. L'équilibre est parfaitement trouvé, notamment avec les relations amoureuses, qui développent l’intrigue sans l’accaparer (miss Shipen, Anna, Abigail). A ce titre, les personnages féminins ont un poids relativement important pour l'époque, ce qui est louable, tout comme le traitement plus général des personnages. Ils sont gris, pratiquent un double langage qui devient très intéressant au fur et à mesure de la série, et sont servis par des acteurs impeccables, notamment Burn Gorman (Major Hewlett).
Washington est également très bien écrit et joué : il est calculateur mais isolé, jusqu’à l’obsession et à la paranoïa parfois. Il n’est pas idéalisé, ne fait pas que des bons choix et s’enferme souvent dans ses convictions. On aurait aimé le même traitement des leaders britanniques.
Une série d'une rare maîtrise donc, et qui nous tient en haleine tout du long.