[critique sur la saison 3]
Disparu des radars cinéphiles depuis presque aussi longtemps que Twin Peaks a quitté les écrans, David Lynch est revenu en début d'été. Accompagné de Cooper, d'autres habitués de la petite ville de l'Etat de Washington, mais aussi de quelques nouveaux venus, il nous a entraînés dans le dédale de son imagination. Avec un but en tête : retrouver Laura.
Welcome to Twin Peaks. 25 ans qu'on l'attendait ce moment. Revoir la fameuse pancarte à l'entrée de la petite ville américaine, retrouver ses 51 201 âmes, si possible en compagnie de l'agent Cooper. Et voilà, le rêve devient réalité. Quoique... Avec David Lynch et Mark Frost, il faut se méfier. On n'est pas dans un des reboots à la mode. Loin de là. Et c'est tant mieux.
**Un retour déstabilisant**
Une semaine après la diffusion du dernier épisode de la série, la sensation est encore là. Une sensation ou plutôt un trouble, diffus, causé par la joie d'avoir vécu 18 heures durant le rêve Twin Peaks et la brutalité du réveil. Ce final sème le doute, déclenche des frustrations, avant de faire sens. Il fallait s'en douter : dès son ouverture, cette nouvelle saison a joué la déstabilisation... New York, Dakota du Sud, Las Vegas, les premiers épisodes nous mènent partout sauf à Twin Peaks. Des personnages inconnus prennent les rênes des storylines qui s'esquissent. Puis Cooper réapparaît ! On le retrouve dans la Black Lodge, où il a été enfermé à l'issue de la deuxième saison (une scène dont tous les téléspectateurs de l'époque se souviennent forcément tant elle est marquante !). Mais Lynch et Frost sont de petits farceurs : Cooper disparaît aussi vite qu'il est revenu. Enfin... le vrai Cooper, car Kyle MacLachlan, lui, sera bel et bien présent, endossant la veste en cuir et les boots de Mister C, son doppelgander maléfique sorti de la Black Lodge en fin de saison 2, et le costume kitchissime de Dougie, entité spirituelle (ou tulpa) créée par Mister C il y a une douzaine d'années.
Le pari (risqué) de la saison sera de donner envie aux téléspectateurs de vivre cette nouvelle aventure sans chercher à retrouver les personnages qu'ils ont le plus aimés, comme Audrey qui revient mais semble égarée dans une réalité parallèle. Il est beaucoup question du temps et du deuil dans cette nouvelle saison, de la disparition, qu'il s'agisse de celle d'une personne (les adieux faits à Catherine E. Coulson, alias la Femme à la bûche, sont déchirants) ou d'une époque. L'atmosphère n'est cependant pas plombante, des rôles secondaires absolument jouissifs, tels ceux des Mitchum brothers ou du trio Candie, Sandie et Mandie (un spin-off, un spin-off !) apportent, avec l'aide de ce cher Dougie, la touche de burlesque nécessaire pour contrebalancer le noir de ce retour de Twin Peaks. David Lynch s'est, par ailleurs, fait plaisir (et nous a fait plaisir) en réunissant certains de ses acteurs fétiches. Laura Dern était la comédienne idéale pour incarner la fameuse Diane. Quant à Naomi Watts, elle joue à la perfection la mère de famille de banlieue qui ne se laisse pas faire. Et que dire de Kyle MacLachlan ! Il a, certes, toujours été le pivot de Twin Peaks, mais il joue là trois partitions extrêmement diverses en parfait virtuose.
**Une expérience sensorielle**
Pensée plus comme un long film de 18 heures que comme une série, cette nouvelle saison est composée de parties de qualité parfois inégale, mais concourant toutes à nous faire pénétrer dans un monde bien défini. Celui du David Lynch dernière période. De la structure en ruban de Möbius qui rappelle Lost Highway à l'importante part onirique évoquant Mulholland Drive, cette saison de Twin Peaks est une œuvre profondément lynchéenne. Comme la jeune polonaise d'Inland Empire, le téléspectateur est littéralement aspiré par ce qui défile sur son écran. Plongé dans le noir, face à ces images d'une beauté absolue accompagnées par une bande son mi-terrifiante mi-enjôleuse, chacun est invité à vivre quelque chose d'unique. Il faut, certes, accepter de se laisser aller à cette expérience pour en profiter pleinement. Lynch est un artiste total et ne recule devant rien. Le magistral épisode 8 en est la preuve. Pendant plus de 50 minutes, le téléspectateur reste comme hypnotisé, en apparence immobile alors que tant de choses se jouent à l'intérieur de lui. Et c'est dans cet épisode même que sont révélées les fondations de la série, qui se présente – entre autres – comme une incarnation de la lutte immémoriale entre le bien et le mal.
**Futur ou présent ?**
La structure même de la saison est jouissive. Une fois encore, Lynch se plait à nous plonger dans des temporalités voisines sans réellement nous avertir.
Alors que la série touche à sa fin, le happy end est évité au profit d'un nouvelle dose de mystère. Philip Jeffries, dont David Bowie devait reprendre le costume, envoie un Cooper tout juste débarrassé des oripeaux de Dougie dans le passé. En quelques minutes, l'agent du FBI, accompagné de Diane et Gordon (toujours joué par Lynch lui-même), se retrouve aux portes d'un autre monde. Les abandonnant devant le rideau rouge, il leur dit qu'il les reverra de l'autre côté et s'en va.
Nous voici revenu 25 ans en arrière, dans le prequel Fire Walk With Me, juste avant que Laura ne meure. Elle est avec James, elle n'en peut plus et sait qu'elle ne va pas s'en sortir. BOB prend trop de place. Alors qu'elle quitte le jeune homme, on la voit dans les bois en route pour retrouver Leo, Jacques et Ronnette, comme dans le long-métrage de 1992. Et là une scène obscure du film prend tout son sens : Laura voit quelque chose et crie. La caméra se détourne alors pour nous montrer Cooper. Il est là pour la sauver. Il essaie de l'apaiser et l'emmène avec lui. Mission accomplie ?
Retour en 1989. Pete Martell quitte la scierie et part tranquillement pécher. Pas de corps enroulé dans un sac plastique. Sa journée se passe normalement. Laura n'est pas morte. Le Twin Peaks que nous connaissons n'a jamais existé. Nous sommes ailleurs. Dans une temporalité où Cooper n'est pas allé à Twin Peaks. Où Laura a pu vieillir. Où les habitants de la bourgade n'ont jamais été traumatisés par la perte violente de la reine de beauté du lycée. Rien n'est plus comme avant. La série n'existe plus alors. Pourtant elle continue. Cooper continue. Pourquoi ? Pour retrouver Laura, la ramener chez elle, mettre fin au mal qui hante le monde peut-être. Il la retrouve à Odessa, mais ce n'est plus elle. Elle dit se nommer Carrie Page, mais étant dans une situation délicate accepte de le suivre à Twin Peaks. Devant la maison des Palmer, ils semblent perdus. Derrière la porte se cache Alice Tremond (clin d’œil aux spectateurs de Fire Walk With Me, où Mme Tremond et son petit fils donnent à Laura le tableau dans lequel elle se perd). Cette dernière dit ne connaître aucun Palmer. Où sommes-nous alors ? Un indice peut-être : la femme qui joue ce rôle est la vraie propriétaire de la maison. Et si nous étions tout simplement dans notre réalité ? Notre monde à nous, celui de 2017, où le désenchantement a pris le dessus et où le rêve inhérent à Twin Peaks a totalement disparu ? Peut-être est-ce ce que comprend Laura, se mettant à crier à s'en rompre les cordes vocales. Déclenchant par là même une coupure d'électricité dans ce qui était sa maison et la fin définitive de la série. Générique.
Laura murmure quelque chose à l'oreille de Cooper. Comme au début de la saison. Et si elle lui disait tout simplement au revoir ?
Publication originale sur likeinthemoviesblog.wordpress.com