"Twin Peaks" a toujours été "à part". Soap opera bien corsé et enveloppé de secrets à une époque où le paysage télévisuel n'avait rien de comparable à offrir, l'oeuvre expérimentale de David Lynch et Mark Frost a emporté pendant deux saisons ses fidèles dans un univers ambigu et imprévisible. Mais la fiction a été rejointe par la dure réalité en 1991, faisant voler en éclat les histoires en cours dans un season final cauchemardesque et incomplet que n'achèvera pas davantage Fire Walk With Me, "ultime" voyage dans un Twin Peaks sombre et désespéré.
Vingt-six ans se sont écoulés et le rendez-vous inespéré donné en 1991 a eu lieu. On nous avait présenté cette saison comme "Twin Peaks: The Return", mais on ne nous avait pas précisé que c'était nous qui retournions à Twin Peaks et non l'inverse. "Twin Peaks", la série, va désormais bien au-delà de Twin Peaks, Washington. Les enjeux dépassent les frontières nationales, mais aussi métaphysiques - Fire Walk With Me s'ouvrait sur la destruction d'un poste de télé, et la nouvelle saison ne reviendra pas sur cette décision. David Lynch et Mark Frost sont sortis de cette "lodge" qu'est le cadre télévisuel qui a vu naître leur oeuvre, et dissertent sur le vrai fond de l'histoire, le seul qui les intéresse désormais : la réalité. Notre réalité contient la fiction, puisque nous la créons, mais nos créations sont-elles alors réelles ? "We live inside a dream", la perturbante assertion de Phillip Jeffries, semble être le point d'ancrage de l'architecture phénoménalement complexe de "Twin Peaks: The Return".
Lorsque les hommages aux acteurs décédés incluent un hommage à un personnage de la série, faut-il comprendre que ce sont les acteurs ou leurs personnages qui vivent et meurent ? Les deux à la fois ?
Qui est le rêveur ? Le spectateur, assimilant des personnages qui existent dans la fiction et les matérialisant, en s'appropriant leurs traits de caractère, leurs répliques ou leurs tenues ? Gordon Cole lui-même, rêvant de notre réalité et apercevant le nom de son interprète ? Dale Cooper, qui semble aboutir ultimement à notre dimension lorsqu'il frappe à la porte de la maison des Palmer et y rencontre la (bien réelle) propriétaire des lieux ?
Finalement, notre réalité est-elle plus légitime que celle montrée à l'écran ?
Si "Twin Peaks" ne répondra jamais clairement à ces troublantes questions, cette saison théorise un continuum entre le réel et le fictif, entre l'actuel et l'alternatif. Il n'y aura pas de fin à "Twin Peaks", car il n'y aura pas de fin à la réalité. Il n'y aura pas de limite aux histoires de "Twin Peaks", car il n'y aura pas de limites aux histoires de la réalité.
"Twin Peaks: The Return" ne nous laissera jamais "retourner" d'où nous venions, car c'était simplement une partie de nous.
"Twin Peaks" ne ressemble au final à rien de ce que quiconque pouvait souhaiter, et c'est pourtant le voyage que nous obtenons, aussi inquiétant, ambitieux, perturbant et fascinant que cela puisse être. Littéralement un "chef-d'oeuvre".