Utiliser la rotoscopie, en 2019, c'est forcément marcher dans les traces d'A Scanner Darkly, film d'animation indé en prises de vues réelles qui a retourné le cerveau du public en 2006 (du moins : le cerveau des trois spectateurs assez cramés du ciboulot pour tenter l'expérience).
Or marcher dans les traces d'A Scanner Darkly, c'est forcément marcher aussi dans celles du grand Philip K. Dick, auteur du roman d'origine et expert en altérations de la conscience, drogues, déstructuration de la réalité et schizophrénies en tous genres.
ça tombe bien, c'est un peu de tout ça dont il est question dans Undone, en plus intimiste et en plus sophistiqué - plus féminin, aussi, peut-être - si tant est que cela veuille dire quelque chose.
Porté par une bande sonore d'une efficacité trop redoutable pour être honnête (ces violons, mon dieu, ces violons !), Undone a le charme hors du temps de ces jeux narratifs indés dont les esprits un peu borderline se nourrissent avec avidité : Virginia, The Unfinished Swan, What Remains of Edith Finch, ... Ses protagonistes sont entourés de la même aura de dinguerie douce-amère, de la même atmosphère poético-mélancolique artificielle, dans des décors pastels dégoulinants de lumière et de créativité.
Au-delà de réjouissantes arabesques narratives, le scénario reste assez convenu, au fond, avec cette pseudo-enquête en forme de pétard mouillé et ces causes-à-effets plein d'effets papillon ; mais qu'à cela ne tienne !
Le charme, comme la vérité, est ailleurs.
Il tient tout entier à cette galerie de personnages abîmés, titubants, férocement imparfaits, interprétés avec une justesse exemplaire (pour un peu, on tomberait amoureux), qui se déchirent à coups de sarcasmes égoïstes et se réconcilient d'un regard par-dessous, monstres ordinaires et anges déchus portant chacun le poids de leur humanité, au point d'en être tout à la fois détestables et sexy. Clichés, peut-être, un peu, mais pas plus que chacun de nous - et par conséquent : authentiques.
Un charme qui tient aussi à cette audace chronologique (d'une intelligence structurelle exemplaire), qui prend le parti d'anéantir le plus immanents de nos points de références, pour mieux nous réapprendre la vie à l'aune de ce qui est important, non pas dans un état d'anarchie paresseuse qui consisterait à aligner les séquences au petit bonheur la chance mais au contraire, en reconstruisant sa logique à la mesure de ses ambitions, aussi déroutantes que chargées de sens, avec une minutie qui force le respect.
Car si l'aspect fantastico-policier n'est pas désagréable en soi, c'est dans le rapport à autrui qu'Undone brille avec les honneurs, enchaînant les moments de grâce avec une constance insolente - associant sens de la formule et maîtrise des silences évocateurs, transformant chaque échange en valse à contre-temps.
Mieux que cela : en réinventant l'espace-temps, la série ouvre une perspective nouvelle sur les petits et grands moments de l'existence, qu'elle ne traite plus de façon linéaire (l'"avant" d'abord, l'"après" ensuite) mais en les regroupant par unités de sens, de manière à ce qu'ils s'éclairent mutuellement - et les personnages avec eux. Ainsi chaque évènement prend-il une dimension nouvelle en s'insérant dans un puzzle à plus grande échelle - que nous avons souvent tendance à perdre de vue, au quotidien, faute de recul.
On se serait aisément satisfait de cette approche joliment didactique (sans être moralisatrice pour autant) mais celle-ci passe hélas au second plan lorsque la trame tente de raccrocher ses wagons et redevient plus linaire (toutes proportions gardées).
Il n'en demeure pas moins que par sa précision de chaque instant, dans l'écriture, la construction, jusque dans sa réalisation avant-gardiste-à-l'ancienne, Undone s'impose comme la démonstration de force d'artistes aussi doués que réfléchis.
Alors pourquoi seulement huit petits épisodes ?